FRIBOURG Publication historique
Un inventaire du bilinguisme

Aussi vieille que le canton, la présence de deux langues ne cesse de susciter le débat à Fribourg. Le mémoire de licence de Bernhard Altermatt, défendu en histoire à l’Université de Fribourg, fait le point.


L’historien Bernhard Altermatt, 26 ans, a présenté hier aux médias un livre qui ne manquera pas d’alimenter le débat cantonal sur les langues

«Lorsque la question des langues se pose dans le débat public fribourgeois, on l’analyse souvent en regardant les dix dernières années. La question est pourtant beaucoup plus longue et profonde.» Francis Python, directeur du mémoire de Bernhard Altermatt et de la collection Aux sources du temps présent qui le publie, rappelait hier, lors de la conférence de presse de présentation du livre, la longue histoire d’un débat qui est loin d’être achevé dans le canton. Les polémiques virulentes autour de l’apprentissage par immersion, en 2000, l’ont encore montré.
Francis Python et Claude Hauser, responsables de la collection, saluaient la publication du livre La politique du bilinguisme dans le canton de Fribourg/Freiburg (1945-2000), Entre innovation et improvisation qui vient combler une lacune: «Si des études en allemand existaient, il manquait encore un tel ouvrage de synthèse en français.»
Synthèse, le mot est bien choisi, car Bernhard Altermatt, contrairement à son titre, consacre 80 excellentes pages introductives à un aperçu de l’histoire des langues dans le canton du Moyen Age à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans les grandes lignes, les deux langues sont présentes sur le territoire fribourgeois dès l’époque médiévale. A partir du XVe siècle, après l’entrée dans la Confédération, l’allemand devient dominant. Et c’est aux XVIIIe et XIXe que le français reprend le dessus.

Trois phases
L’approche de Bernhard Altermatt, qui n’est autre que le fils du professeur Urs Altermatt, actuel recteur de l’Université de Fribourg, est essentiellement institutionnelle. Il analyse le bilinguisme à travers «les activités des autorités politiques», le fonctionnement administratif et judiciaire et l’attitude du système scolaire. Pendant la période qu’il analyse systématiquement, des pierres d’achoppement récurrentes créent le débat: la possibilité pour les germanophones de se faire entendre et signifier les décisions judiciaires dans leur langue, les noms de localités, la langue des communes…
La résolution de ces questions évoluera, dans la deuxième partie du XXe siècle, au fil de la prise de conscience progressive de l’existence d’une véritable question des langues dans le canton. Mais le mouvement va aussi dans l’autre sens. Les mesures adoptées pour lutter contre la discrimination de la population germanophone du canton font évoluer la mentalité.
L’auteur distingue trois phases. Jusqu’en 1960, l’immobilisme prévaut. On poursuit la discrimination héritée de XIXe siècle. La représentation alémanique dans les sphères de pouvoir est mauvaise, l’accès à la formation pour les jeunes de langue allemande n’est pas assuré. Le bilinguisme n’est tout simplement pas un thème du débat public.
A partir des années soixante, sous l’impulsion des revendications de la population alémanique du canton, entre autres de la Deutschfreiburgische Arbeitsgemeinschaft (DFAG), les choses commencent à changer. Une prise de conscience du bilinguisme voit le jour. «C’est la minorité, remarque Bernhard Altermatt, qui donne le ton.» De nombreuses mesures dans les domaines du pouvoir, de l’administration ou des écoles permettent de réduire l’inégalité entre les deux populations fribourgeoises.
La troisième phase, qui commence avec les années huitante, «se caractérise par une prise de conscience des avantages du bilinguisme. On crée des points de rencontre, on favorise les échanges.» Aujourd’hui, le bilinguisme est même devenu, du moins comme programme, une carte de visite que le canton cherche à exploiter, remarque Francis Python: «En Suisse, nous avons cette fonction de tampon entre les deux régions linguistiques, mais nous ne l’avons peut-être pas assez jouée.»
Il va sans dire que les périodes fixées par Bernhard Altermatt sont des outils de travail et que l’évolution de cette question dans le canton ne suit pas une ligne continue. Faire de l’histoire, ce n’est par ailleurs pas seulement couper le temps en périodes.

Perspectives de réflexion
C’est aussi mettre en perspective les événements, comme le note Francis Python: «Un tel livre permet de prendre de la distance. On voit comment le problème s’est posé et reposé. Mettre à plat ces événements nous permet de voir que nous sommes dans une longue histoire et que des équilibres se déplacent, des zones bougent. Il ne faut pas s’alarmer si une commune passe dans une langue ou dans l’autre, ça s’est fait constamment et ça continuera à se faire. Les mythes de francisation et germanisation sont actuellement des tigres de papier. Mais dans le temps, il y a eu ces dominantes, alternativement, et on en a gardé de part et d’autre une image un peu terrifiante.»
Une image qui ressurgit à chacun des grands débats sur la question. Celui sur l’apprentissage par immersion, auquel Bernhard Altermatt consacre un chapitre très complet, n’a pas dérogé à la règle. L’auteur constate, en s’appuyant sur d’autres exemples des trente dernières années, que la seule manière de promouvoir le bilinguisme dans le canton est de laisser le libre choix aux communes ou aux individus, car toute tentative de l’imposer d’en haut semble vouée à l’échec.
C’est entre autres que le statut minoritaire de la partie germanophone du canton est pour le moins paradoxal du point de vue de la partie francophone. Cette dernière vit en effet dans une forme de schizophrénie: majoritaire dans le canton, elle est fortement minoritaire dans l’ensemble de la Suisse. Et il est probable que beaucoup des levées de bouclier visent bien plutôt la grande Suisse alémanique que la Singine. Les polémiques s’apparentent parfois aux anciennes guerres de religion. Francis Python note le lien entre les conflits confessionnel et linguistique: «Quand le canton était fortement polarisé religieusement, les problèmes linguistiques étaient cachés derrière les problèmes confessionnels. Aujourd’hui, ils apparaissent à nu.»

Bernhard Altermatt, La politique du bilinguisme dans le canton de Fribourg/Freiburg (1945-2000), Entre innovation et improvisation, Aux sources du temps présent, Université de Fribourg, 2003. Disponible en librairie ou au 026 300 79 23

Charly Veuthey
18 décembre 2003

Une I Editorial I Gruyère I Veveyse/Glâne I Sports I Magazine

Droits de reproduction et de diffusion réservés © La Gruyère 2003 – Usage strictement personnel