«Lorsque la
question des langues se pose dans le débat public fribourgeois,
on lanalyse souvent en regardant les dix dernières années.
La question est pourtant beaucoup plus longue et profonde.» Francis
Python, directeur du mémoire de Bernhard Altermatt et de la collection
Aux sources du temps présent qui le publie, rappelait hier, lors
de la conférence de presse de présentation du livre, la
longue histoire dun débat qui est loin dêtre
achevé dans le canton. Les polémiques virulentes autour
de lapprentissage par immersion, en 2000, lont encore montré.
Francis Python et Claude Hauser, responsables de la collection, saluaient
la publication du livre La politique du bilinguisme dans le canton de
Fribourg/Freiburg (1945-2000), Entre innovation et improvisation qui
vient combler une lacune: «Si des études en allemand existaient,
il manquait encore un tel ouvrage de synthèse en français.»
Synthèse, le mot est bien choisi, car Bernhard Altermatt, contrairement
à son titre, consacre 80 excellentes pages introductives à
un aperçu de lhistoire des langues dans le canton du Moyen
Age à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Dans les grandes
lignes, les deux langues sont présentes sur le territoire fribourgeois
dès lépoque médiévale. A partir du
XVe siècle, après lentrée dans la Confédération,
lallemand devient dominant. Et cest aux XVIIIe et XIXe que
le français reprend le dessus.
Trois phases
Lapproche de Bernhard Altermatt, qui nest autre que le fils
du professeur Urs Altermatt, actuel recteur de lUniversité
de Fribourg, est essentiellement institutionnelle. Il analyse le bilinguisme
à travers «les activités des autorités politiques»,
le fonctionnement administratif et judiciaire et lattitude du
système scolaire. Pendant la période quil analyse
systématiquement, des pierres dachoppement récurrentes
créent le débat: la possibilité pour les germanophones
de se faire entendre et signifier les décisions judiciaires dans
leur langue, les noms de localités, la langue des communes
La résolution de ces questions évoluera, dans la deuxième
partie du XXe siècle, au fil de la prise de conscience progressive
de lexistence dune véritable question des langues
dans le canton. Mais le mouvement va aussi dans lautre sens. Les
mesures adoptées pour lutter contre la discrimination de la population
germanophone du canton font évoluer la mentalité.
Lauteur distingue trois phases. Jusquen 1960, limmobilisme
prévaut. On poursuit la discrimination héritée
de XIXe siècle. La représentation alémanique dans
les sphères de pouvoir est mauvaise, laccès à
la formation pour les jeunes de langue allemande nest pas assuré.
Le bilinguisme nest tout simplement pas un thème du débat
public.
A partir des années soixante, sous limpulsion des revendications
de la population alémanique du canton, entre autres de la Deutschfreiburgische
Arbeitsgemeinschaft (DFAG), les choses commencent à changer.
Une prise de conscience du bilinguisme voit le jour. «Cest
la minorité, remarque Bernhard Altermatt, qui donne le ton.»
De nombreuses mesures dans les domaines du pouvoir, de ladministration
ou des écoles permettent de réduire linégalité
entre les deux populations fribourgeoises.
La troisième phase, qui commence avec les années huitante,
«se caractérise par une prise de conscience des avantages
du bilinguisme. On crée des points de rencontre, on favorise
les échanges.» Aujourdhui, le bilinguisme est même
devenu, du moins comme programme, une carte de visite que le canton
cherche à exploiter, remarque Francis Python: «En Suisse,
nous avons cette fonction de tampon entre les deux régions linguistiques,
mais nous ne lavons peut-être pas assez jouée.»
Il va sans dire que les périodes fixées par Bernhard Altermatt
sont des outils de travail et que lévolution de cette question
dans le canton ne suit pas une ligne continue. Faire de lhistoire,
ce nest par ailleurs pas seulement couper le temps en périodes.
Perspectives
de réflexion
Cest aussi mettre en perspective les événements,
comme le note Francis Python: «Un tel livre permet de prendre
de la distance. On voit comment le problème sest posé
et reposé. Mettre à plat ces événements
nous permet de voir que nous sommes dans une longue histoire et que
des équilibres se déplacent, des zones bougent. Il ne
faut pas salarmer si une commune passe dans une langue ou dans
lautre, ça sest fait constamment et ça continuera
à se faire. Les mythes de francisation et germanisation sont
actuellement des tigres de papier. Mais dans le temps, il y a eu ces
dominantes, alternativement, et on en a gardé de part et dautre
une image un peu terrifiante.»
Une image qui ressurgit à chacun des grands débats sur
la question. Celui sur lapprentissage par immersion, auquel Bernhard
Altermatt consacre un chapitre très complet, na pas dérogé
à la règle. Lauteur constate, en sappuyant
sur dautres exemples des trente dernières années,
que la seule manière de promouvoir le bilinguisme dans le canton
est de laisser le libre choix aux communes ou aux individus, car toute
tentative de limposer den haut semble vouée à
léchec.
Cest entre autres que le statut minoritaire de la partie germanophone
du canton est pour le moins paradoxal du point de vue de la partie francophone.
Cette dernière vit en effet dans une forme de schizophrénie:
majoritaire dans le canton, elle est fortement minoritaire dans lensemble
de la Suisse. Et il est probable que beaucoup des levées de bouclier
visent bien plutôt la grande Suisse alémanique que la Singine.
Les polémiques sapparentent parfois aux anciennes guerres
de religion. Francis Python note le lien entre les conflits confessionnel
et linguistique: «Quand le canton était fortement polarisé
religieusement, les problèmes linguistiques étaient cachés
derrière les problèmes confessionnels. Aujourdhui,
ils apparaissent à nu.»
Bernhard Altermatt,
La politique du bilinguisme dans le canton de Fribourg/Freiburg (1945-2000),
Entre innovation et improvisation, Aux sources du temps présent,
Université de Fribourg, 2003. Disponible en librairie ou au 026
300 79 23