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Oscars
Le mérite de scorsese

On avait fini par s’habituer: à chaque nouveau film de Martin Scorsese, ce géant du cinéma recueillait une pluie de nominations aux oscars et repartait au mieux avec des récompenses mineures. Il est l’un des plus extraordinaires cinéastes vivants, mais jamais encore l’Académie américaine des arts et sciences du cinéma ne l’avait reconnu comme meilleur réalisateur ou n’avait consacré une de ses œuvres comme le meilleur film de l’année.
Cette injustice a donc pris fin dimanche: avec Les infiltrés (actuellement sur les écrans bullois), Scorsese reçoit enfin ces deux récompenses ainsi que celles du meilleur montage et de la meilleure adaptation. Et l’on ne peut que se réjouir de le voir reconnu par ses pairs, avec un film cinglant et sanglant, mené de main de maître par un réalisateur qui fait preuve à chaque seconde d’un amour du cinéma sans égal.
Reste que ces oscars-là laissent comme un léger goût non pas amer, mais trop sucré. Ils sentent le bon sentiment et le rattrapage. Certes, à 64 ans, le réalisateur de Mean streets, de Raging Bull ou encore des Affranchis reste dans une forme resplendissante. Mais Les infiltrés, film brillant, très au-dessus de la moyenne hollywoodienne, ne constituent pas son chef-d’œuvre. Quitte à réparer cet oubli, n’aurait-il pas mieux valu, parmi ses productions récentes, récompenser Gangs of New York, qui avait un autre souffle, une autre ampleur?
Mais voilà, le milieu avait déjà ignoré Kubrick (qui n’a eu que des oscars techniques, un pour 2001, quatre pour Barry Lyndon), il ne pouvait pas passer plus longtemps à côté de Scorsese. A moins que le cinéaste lui-même se soit assagi au point d’entrer dans le rang. Peut-être que s’il a enfin été récompensé c’est parce que, malgré la violence et l’ironie des Infiltrés, son cinéma est devenu plus consensuel. A l’époque, Taxi Driver ou La dernière tentation du Christ ont bien été nominés aux oscars, mais dérangeaient trop pour gagner. Du coup, on ne peut s’empêcher de penser à la phrase d’Erik Satie à propos de la Légion d’honneur: «Ce n’est pas tout que de la refuser, encore faut-il ne pas l’avoir méritée.» Emu, Scorsese a évidemment accepté ses oscars. Aujourd’hui, il les mérite.

Eric Bulliard
27 février 2007

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