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Boom de la construction

Villas, un secteur à risques

Le boom de la construction, en particulier dans le secteur des villas familiales, a provoqué en 2006 la création de 265 nouvelles entreprises dans le canton de Fribourg. Une concurrence qui ne profite pas forcément aux clients, susceptibles de faire les frais d’entreprises parfois peu scrupuleuses.


Situé en contrebas du deuxième tunnel de l’A12 à Avry-devant-Pont, à proximité d’un quartier d’habitation et du restoroute, un terrain appartenant au canton pourrait voir s’installer une entreprise horlogère genevoise

 

«On devait emménager en septembre 2006… Si tout va bien, on sera dans nos murs en septembre 2007!» Toutes les entreprises ne jouent heureusement pas avec la patience et le porte-monnaie de leurs clients de façon aussi éhontée que dans le cas de ce Fribourgeois, qui a dû prendre un avocat pour voir le chantier de sa villa reprendre vie. «Faites contrôler les contrats des entreprises générales par un avocat et vérifier vos projets par un architecte», conseille le malheureux aux candidats à la propriété.
Avec 265 nouvelles entreprises enregistrées dans le canton en 2006 pour le secteur de la construction – qui comprend aussi l’architecture, le commerce de matériel de construction, les bureaux d’ingénieurs et les sociétés immobilières – les futurs propriétaires ont l’embarras du choix. Et un risque accru de tomber sur des entrepreneurs peu scrupuleux, surfant sur la vague ascendante de la construction en appâtant leurs clients avec des prix concurrentiels et des délais utopistes (voir interview ci-dessous).
«On est dans le monde du tout tout de suite, regrette René Schouwey, secrétaire patronal à la Fédération fribourgeoise des entrepreneurs (FFE). On a peur de dire non et de risquer de perdre un client. On devrait être plus réaliste et donner des délais que l’on peut tenir.» Ce qu’osent malgré tout certains entrepreneurs. «Je préfère dire non à un travail plutôt que d’accepter plus que je ne peux gérer, relève notamment Claude Butty, codirecteur de Butty René et Fils SA, à Ursy, qui a vu son volume de gros œuvre augmenter de près de 30% en un an. Et certains bureaux d’architecture, comme Reno Conception SA, à Bulle, qui se spécialise depuis deux ans dans la villa clés en main: «Quand je dis que c’est pour l’été 2007, les gens font la tête, mais tant pis», glisse son directeur Jean-Marie Francey.

Le hic du second œuvre
C’est surtout du côté du second œuvre que ça coince, ainsi que le constatent quotidiennement les architectes. «La direction de travaux devient difficile, avoue le Bullois Olivier Charrière. Dans les gros chantiers, on a de la peine à ce que les entreprises mettent assez d’ouvriers. Et beaucoup de nouvelles entreprises, moins expérimentées, peinent à respecter le timing, Ce qui implique beaucoup de paperasse, de recommandés, de lettres, de PV!» Alors que le bureau O. Charrière SA croule sous le travail, avec une réserve qui va au-delà d’une année: «Du jamais vu en quinze ans!»
Au niveau cantonal, la réserve de travail projetée au 1er janvier atteint 365 millions de francs environ. «Soit une augmentation de près de 8% par rapport à 2006», relève Luc Pasquier, membre de la Société suisse des entrepreneurs (SSE). La totalité des volumes de commande se répartit de la manière suivante: construction de logements (105 mio), autres bâtiments privés (70 mio), bâtiments du secteur public (10 mio), génie civil public (150 mio) et génie civil privé (30 mio).
«L’augmentation touche plus le bâtiment que le génie civil», commente le directeur du secteur gravier de JPF SA. Avec près de 450 employés, l’entreprise gruérienne spécialisée dans le génie civil a vu son chiffre d’affaires augmenter de près de 10% en 2006. «Ce qui me chicane un peu, c’est que les problèmes liés à la villa influent sur l’image de marque de la branche», déplore Luc Pasquier.

Chiffres clés 2006

10700. Le nombre de nouvelles entreprises créées en Suisse, selon l’entreprise de renseignements commerciaux Credit-reform.
Dont 265 (226 en 2005) dans le secteur de la construction pour le canton de Fribourg, l’un des plus florissants avec le Valais et les Grisons.
3046. Le nombre de constructions autorisées dans le canton (+6,7% par rapport à 2005).
340 millions de francs. La valeur totale des constructions dans le canton (162 mio pour le bâtiment et 178 mio pour le génie civil).

«On atteint les limites de la saine concurrence»

En tant que directeur de la Fédération fribourgeoise des entrepreneurs (FFE) et membre de la commission de surveillance du travail au noir, Jean-Daniel Wicht pose un regard critique sur le boom que connaît le secteur de la construction.

– En quoi l’actuel boom de la construction n’est pas comparable à celui des années 1990?
Il faut effectivement nuancer. Il n’y a pas un boom de la construction dans tous les secteurs du bâtiment, comme dans les années 1990, mais un boom de la villa. Le génie civil a du travail, mais ce n’est pas la surchauffe. Il y a eu beaucoup de constructions de bâtiments locatifs ces trois dernières années, mais elles touchent à leur fin. Quant aux grands bâtiments pour l’Etat, l’Université de Pérolles II s’est achevée l’an passé et on attend l’Ecole des métiers. Mais il n’y a pas d’autres gros projets immobiliers. Les entreprises qui ne font que de la villa sont donc extrêmement bien occupées et les autres correctement, sans plus.

– En réponse à ce boom, 265 nouvelles entreprises ont été créées dans le canton en 2006. Une nouvelle offre que vous ne voyez pas d’un très bon œil?
La FFE n’est pas contre la concurrence. Au contraire! Il faut qu’il y ait de la concurrence, mais qu’elle soit saine et, aujourd’hui, on atteint les limites, en tout cas dans le domaine de la villa. Il y a des gens qui profitent de ce boom pour essayer de faire de l’argent. Tout le monde pense que c’est tellement facile d’être entrepreneur, qu’il suffit d’avoir une brouette, une truelle et de savoir mettre la mainà la pâte! Sans vouloir forcément tricher, certains nouveaux entrepreneurs ne connaissent pas les règles, ne savent même pas qu’ils doivent s’annoncer à la TVA. On voit des ouvriers pas assurés, d’autres à qui on retient une partie des assurances sociales, sans les reverser plus loin. Et des gens se font avoir par ces pseudo-entreprises.

– Serait-on si naïf au moment de construire sa maison?
Je suis toujours surpris de voir la façon dont les gens se décident à investir dans une maison sans demander des références aux maîtres d’état et rencontrer des personnes qui ont déjà construit. Pour acheter une voiture, ils vont la tester, mais là, ils construisent une villa à 500000 francs et quand on leur demande comment ils ont choisi l’entrepreneur: «C’était le meilleur marché!» Lorsqu’un entrepreneur ne paie pas ses charges sociales, c’est clair qu’il peut être plus concurrentiel sur le marché… Le problème, c’est que la profession n’est pas protégée. N’importe qui peut se dire entrepreneur. C’est le titre «entrepreneur diplômé» qui est protégé.

La Conférence cantonale de la construction va publier d’ici fin mars un petit guide de conseils basiques intitulé Construire avec succès


Claire-Lyse Pasquier
27 février 2007

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