VEVEYSE Mirko Cuni, enseignant spécialisé

La surdité dans les écoles

Depuis six ans, Mirko Cuni enseigne à des enfants souffrant de malentendance et de surdité. Au niveau cantonal, trente-quatre de ces élèves sont intégrés, partiellement ou totalement, dans des classes normales. Une solution qui, si elle demande des adaptations à tous les intervenants, semble la meilleure.


Le langage des signes et ses mystères sensibilisent toute la classe, comme l’a constaté Mirko Cuni, qui transmet ici trois mots: «vacances», «école», «élève»

 

Mirko Cuni, 28 ans, est enseignant spécialisé depuis six ans. Neuchâtelois habitant Corminbœuf, il suit des élèves sourds et malentendants en Veveyse, en Gruyère, en Sarine et dans la Broye. Il a participé hier à une journée d’information sur la surdité, à l’école d’Attalens (voir ci-après).

– Vous enseignez à des enfants sourds et malentendants. Comment se passe votre travail?
Ça dépend de plusieurs facteurs. Du degré de surdité de l’enfant, de ses facilités ou difficultés, de ce qu’on vise avec le projet d’intégration. Il existe deux types de cas. Il y a les élèves qui sont scolarisésà l’Institut Saint-Joseph – mon employeur, à Villars-sur-Glâne – et qui sont intégrés quelques heures par semaine dans des classes, de l’école enfantine à la fin du Cycle d’orientation. Et les autres, qui sont à temps complet dans une classe de leur commune. Le nombre d’unités de soutien (des périodes de cinquante minutes) qu’on peut leur octroyer diffère. Dans notre service, on privilégie vraiment la seconde option, avec deux enseignants en classe.

– Comment collaborez-vous avec l’enseignant titulaire?
Lorsqu’un projet est mis en place, nous devons nous mettre d’accord sur notre mode de fonctionnement. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne peut plus rien changer en cours d’année scolaire. Il peut y avoir des variations en fonction de l’évolution de l’enfant, de sa facilité. Concrètement, on peut par exemple se partager la classe en deux, ce qui réduit le bruit de fond et permet à l’enfant de plus s’exprimer. On peut aussi diviser la classe en petits groupes ou travailler par ateliers.

– Pas facile d’enseigner en tandem…
Avec la grande majorité des enseignants, ça se passe très bien. L’intégration ne serait pas possible sans leur participation. A chaque rencontre, ils nous préparent un bilan, nous renseignent sur ce qui s’est passé, dans quel domaine l’élève a rencontré des difficultés, s’il n’a pas eu le temps de faire un exercice. Certains ont parfois l’impression qu’on marche un peu sur leurs plate-bandes: c’est leur classe. Ils sont quelquefois gênés par la présence d’un autre adulte. C’est comme si l’inspecteur était là. Ils ont l’impression que quelqu’un contrôle leur travail et ça peut les mettre sous pression. A nous de leur montrer que nous ne sommes pas là pour les juger, mais pour aider les enfants à progresser.

– Partager la classe, travailler en petits groupes… Ça ne retarde pas les autres élèves?
On a déjà entendu ce genre de remarques. Elles viennent souvent d’une méconnaissance et d’une peur – infondée! – du problème. C’est pourquoi nous participons aux réunions de parents, nous les informons de notre rôle dans la classe. On leur explique qu’au final tout le monde en profite. Les adaptations faites, surtout au niveau visuel, aident aussi les autres enfants.

– Quelles sont les difficultés que vous rencontrez le plus fréquemment?
Le défi principal pour les enfants sourds et malentendants, c’est de comprendre tout ce qui se dit. Certains utilisent la lecture labiale. Ils ont besoin de voir le visage de la personne qui parle pour la comprendre. On demande donc aux enseignants de ne pas s’exprimer en même temps qu’ils écrivent au tableau. Un élève sourd a aussi besoin de plus de temps et de concentration. Autre difficulté: la langue des signes, qui nécessite des interprètes. Ou encore d’éventuelles interventions externes, comme des codeuses interprètes en LPC (langage parlé complété). Il s’agit d’un code utilisé pour faciliter la lecture labiale. Par exemple, «pain», «bain» et «main» sont des sosies labiaux. Un signe est donc rajouté à chacun d’eux pour qu’ils soient compréhensibles.

– Vous maîtrisez la langue des signes?
Oui, c’est une des conditions pour être engagé. Petit, j’étais fasciné par les personnes qui signaient sur les chaînes françaises, dans un coin de l’écran. Plus tard, j’ai suivi des cours organisés par la Fédération suisse des sourds, à Lausanne. Et trois éducateurs spécialisés, à St-Joseph, sont sourds et spécialisés en surdité. Ils peuvent nous aider.

– Ne serait-il pas plus simple pour tout le monde de regrouper ces enfants dans des classes spécialisées?
Même si ce n’est pas toujours évident, je suis convaincu du bien-fondé de l’intégration. Que ce soit pour l’élève sourd ou pour les autres enfants, à qui ça apporte une ouverture d’esprit vis-à-vis des personnes qui ont une différence. Et puis, ça marche: certains de mes élèves s’en sortent très, très bien. Il n’y aucune raison qu’ils suivent un enseignement spécialisé. Parce qu’ils sont suivis, qu’ils ont des enseignants motivés, un soutien logopédique… Ces enfants méritent d’être intégrés. De plus, ils n’auraient pas leur place dans l’enseignement spécialisé, puisque la plupart d’entre eux sont capables de suivre un programme régulier.

– Les enfants eux-mêmes sont-ils satisfaits d’être intégrés? Ne ressentent-ils pas d’autant plus leur différence?
Encore une fois, ça dépend de leur histoire personnelle, de la découverte de leur surdité. Mais je pense que la plupart se sentent bien. Un de mes élèves avait de la peine à accepter sa malentendance. Par ma simple présence, je lui rappelais son handicap. Il a fait son petit bonhomme de chemin et, maintenant, il est tout à fait à l’aise. Mais les problèmes, pour certains, auront tendance à survenir à l’adolescence.

– Combien d’élèves sont concernés dans le canton?
Cette année, trente-quatre. L’équivalent, comme postes d’enseignant, de cinq plein-temps (huit femmes et deux hommes).

– Un chiffre qui fluctue?
Ça augmente gentiment. L’année passée, il y en avait vingt-huit.

– Les enfants sourds sont-ils bien acceptés par les autres?
En règle générale, oui. Il y a très peu de moqueries. Les plus petits ressentent même une certaine envie. Leur copain a un appareil auditif, l’enseignant porte un micro… Il y a un côté mystérieux, qui tient presque du «superpouvoir». D’autre part, de plus en plus d’enfants suivis étaient déjà à l’école enfantine avec leurs camarades. C’est l’idéal pour eux. Par contre, les élèves en intégration partielle sont un peu plus parachutés dans l’inconnu. Mais un important travail de préparation est réalisé avec la classe afin que tout aille pour le mieux.

Une journée de sensibilisation

Sensibiliser de jeunes élèves au problème de la malentendance et de la surdité. C’est l’objectif du projet mis sur pied par la Jeune Chambre économique de Châtel-Saint-Denis et environs. Via sa commission «enfance», dirigée par la députée de Granges Gabrielle Bourguet. Un projet qui s’étend sur l’ensemble de l’année scolaire et auquel participent quatre classes d’Attalens (une d’école enfantine, une 2P, une 3P et une 4P).
Hier, plusieurs personnes sont intervenues auprès des élèves et de leurs parents, invités à participer à cette journée spéciale. Deux jeunes malentendants ont témoigné de leur expérience et ont répondu aux questions des petits. Une audioprothésiste a, pour sa part, présenté du matériel et des appareils auditifs destinés aux sourds et malentendants. Elle a également expliqué quels moyens techniques sont utilisés par les personnes souffrant de ce handicap pour se réveiller ou pour savoir que quelqu’un vient de sonner à la porte, par exemple. L’enseignant spécialisé Mirko Cuni a, lui, présenté l’implant cochléaire. Une oreille artificielle développée pour les personnes souffrant de surdité profonde

 

Alexandre Brodard
27 février 2007

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