GRUYÈRE Aide humanitaire en Namibie

«De petits bonheurs à garder»

Volontaires pour une ONG, Sarah Buchs et son ami Bruno Brechbühl ont transmis un peu de leur savoir-faire en Namibie. De retour à Bellegarde après trois ans, ils espèrent garder ce goût des choses simples qu’ils y ont appris. Rencontre.


En Namibie, la petite Mai était un vrai centre d’intérêt

 

«On a appris à être heureux de pouvoir acheter un litre de coca par semaine.» De leurs trois ans passés en Namibie, Sarah Buchs, 33 ans, et Bruno Brechbühl, 35 ans, aimeraient garder ce bonheur des petites choses. Partis pour le compte de l’ONG Interteam, basée à Lucerne, ils sont revenus quelques jours avant les fêtes. Le cœur gros de souvenirs, leur valise dans une main, serrant celle de leur petite fille Mai, 2 ans, de l’autre. Leur retour à la vie occidentale se fait en douceur, dans la neige et sous le soleil de Bellegarde, au sein de la famille de Sarah.
«L’important là-bas, c’est de survivre. Tout le reste, c’est des plus.» Voyageurs dans l’âme, ils avaient envie de faire «autre chose» quand ils se sont mis en quête d’un travail au sein d’une organisation humanitaire. C’est en surfant sur internet qu’ils ont trouvé Interteam, une ONG fondée en 1964, dont l’objectif principal est de transmettre des connaissances dans des domaines aussi divers que l’agriculture, la sylviculture, l’éducation, la santé ou encore la construction.

Savoir-faire à donner
Après une année de démarches, de cours et de tests, Sarah et Bruno ont découvert l’Afrique. Les premiers contacts n’ont rien eu d’un choc. Sauf peut-être au niveau thermique. «Mes longues tresses rastas n’ont pas résisté longtemps. Après une semaine, j’ai tout rasé», rigole Sarah. Installé au nord de la Namibie, à proximité de la frontière angolaise, le couple occupait une maison annexe à la mission, à Oshikuku, un petit village de 800 habitants. Cuisinière à gaz, eau courante – «quand il y avait de l’eau» – douche, jardin avec des arbres… «On était bien. Même s’il y avait des scorpions et de grosses araignées que je n’appréciais pas du tout», poursuit Sarah Buchs, en grimaçant.
S’ils habitaient la mission, c’est que le poste de travail décroché par Bruno Brechbühl concernait la formation des apprentis de l’atelier de cette dernière, dédié à la construction d’églises et à la rénovation d’habitations. Mécanicien de précision, le Fribourgeois s’est chargé de consolider la structure permettant de recevoir les jeunes et de former les futurs enseignants et responsables. Quant à Sarah Buchs, institutrice de profession, elle est partie comme accompagnatrice, avec pour mission de créer un nouveau poste. Sur place, elle a participé à la «formation continue des enseignants», notamment au niveau de la géographie.

Des solutions en marge
«Les volontaires d’Interteam n’arrivent pas avec de grands moyens ou des projets de grande envergure, explique le couple. Tu débarques avec ton savoir-faire et tu essaies de le transmettre.» L’objectif étant que ce qui a été mis en place se poursuive après le départ des membres de l’ONG. En quittant Oshikuku à la fin décembre, Bruno, confiant, a donc passé les rênes à un jeune Namibien et à trois de ses collaborateurs. Le poste de Sarah a, lui, été repourvu, et même augmenté, puisque deux familles vont s’établir sous peu à la mission.
«Le système scolaire est en pleine évolution et dispose de peu de moyens, note la jeune femme. Il faut inculquer aux enseignants qu’ils peuvent emprunter des chemins de traverse, contourner les obstacles. Même s’ils ne disposent que d’un seul livre pour leur classe.» Les instituteurs ont également des lacunes importantes dans leur propre éducation. A l’image de cette prof de géographie qui, après un cours sur le climat, a fini par demander à Sarah: «Mais alors on ne peut pas marcher sur les nuages?»

Apprivoiser les coutumes
Du coup, les trois ans pour lesquels les volontaires d’Interteam s’engagent ne sont pas de trop. «La première année, tu essaies de comprendre. La deuxième, tu bosses à fond. Et la troisième, tu prépares ce qui se passera après ton départ», fait remarquer Bruno. Car il faut connaître les us et coutumes et la façon de fonctionner des indigènes pour pouvoir leur transmettre des choses. Peu à peu, les deux Fribourgeois ont donc pris certaines habitudes, comme apporter une poule lorsqu’on est invité chez quelqu’un ou parler de l’heure en indiquant du bras la hauteur du soleil dans le ciel. «Après seulement, ils commencent à t’écouter», souligne l’institutrice.
Autre élément important aux yeux des deux Suisses: les volontaires ne prennent pas des postes de travail occupés par des locaux. En revanche, ils touchent les mêmes revenus qu’eux. «D’un point de vue éthique, c’est très bien. Quand on est les seuls Blancs dans un village, tous les habitants vous sollicitent. Mais quand on leur répond – et qu’ils se rendent compte – qu’on gagne le même salaire qu’eux, ils comprennent qu’on ne peut pas les soutenir financièrement.» Les volontaires apprennent eux aussi à vivre avec peu. Le camping est préféré aux hôtels pour les week-ends dans les parcs nationaux. «Pour autant qu’il reste de l’argent pour payer l’essence…»

 

Un joli cadeau de Noël

De leur séjour en Namibie, Sarah Buchs et Bruno Brechbühl ne ramènent pas que des souvenirs. C’est en terre africaine que leur petite Mai (diminutif de Maria) est née. «On a eu un sacré bol», commente la jeune maman, en repensant à sa grossesse. Une fois que la clinique privée située à 70 km de leur village lui a dit «c’est beaucoup trop risqué d’accoucher chez nous», Sarah est allée se faire ausculter dans la capitale Windhoek, à 800 km au Sud.
«Quand j’ai parlé de préparation à l’accouchement au médecin, il m’a répondu: “De toute façon, ce bébé, il finira par sortir…” J’ai aussi eu moins de contrôles, ajoute la Gruérienne. Heureusement, c’était mon premier enfant et tout c’est bien passé.» La naissance de Mai a participé à l’intégration du couple dans leur village. La petite en ramène d’ailleurs un nom owambo (ethnie dominante dans le nord du pays): Magano.
Un nom qui signifie cadeau. «Parce qu’elle est née juste avant Noël.» Et de mentionner l’amitié que le couple a liée avec une autre Jauner, Fabienne Metzger-Schuwey, installée depuis vingt ans dans la capitale namibienne, auprès de qui Sarah et Bruno ont trouvé conseils et hospitalité lorsque Mai est tombée malade alors qu’elle n’avait que six mois.
Pour le plus grand plaisir des femmes du village d’Oshikuku, Sarah portait souvent Mai de façon traditionnelle, à l’aide d’une couverture qu’elle plaçait dans son dos. L’occasion pour la jeune femme de les sensibiliser au fait que les enfants ne doivent pas rester en permanence sur le dos de leur mère. Mais que jouer dans le sable et partir à la découverte du monde était bénéfique à leur développement. «Les habitants n’appréciaient pas toujours mes conseils sur la façon de s’occuper de leurs enfants, ce qui ne les empêchait pas de me dire comment je devais m’y prendre», rigole l’institutrice.

La mort est omniprésente

Avec deux millions d’habitants seulement, la Namibie n’en reste pas moins l’un des quatre pays les plus touchés au monde par le sida. «A la mission, il y avait au moins trois à quatre enterrements par semaine.» Une omniprésence de la mort que les Fribourgeois ont dû apprivoiser. «Le rapport à la mort est différent», commente Sarah Buchs. Les femmes enceintes, par exemple, ne vont pas accoucher à l’hôpital. Elles savent qu’on va leur faire un test et probablement leur dire qu’elles sont séropositives, 30 à 40% de la population l’est. Elles préfèrent ignorer leur état de santé plutôt que de prendre des médicaments qui épargneraient leurs enfants.»
Un état d’esprit qui vient du fait que le futur, qu’on ne connaît pas, compte beaucoup moins pour les Namibiens que le passé. «Il n’existe même pas de mot owambo pour dire futur», ajoute la Gruérienne. D’où la difficulté de les faire se projeter dans trois ou cinq ans.


Sophie Roulin
7 janvier 2006

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