MAGAZINE Mitterrand, dix ans après

Mythologie effervescente

Ce week-end marque l’apogée des cérémonies célébrant le dixième anniversaire de la mort de François Mitterrand, survenue le 8 janvier 1996. Des dizaines d’ouvrages, de sondages, de documentaires tentent, une fois encore, de percer les «mystères» du personnage.

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François Mitterrand, ici en 1980 sous les voûtes de la basilique de Vézelay, a patiemment sculpté sa statue (Jean Mounicq)

 

Dix ans que François Mitterrand a disparu! Et ces dix ans n’ont pas suffi pour essouffler l’intérêt que suscite
le personnage, pour endiguer la crue éditoriale générée par son parcours. En ces jours commémoratifs fleurissent livres, émissions télévisées, sondages et colloques qui retracent inlassablement la saga mitterrandienne. Mais que peut-on dire qui n’ait été abondamment écrit depuis que François Mitterrand est devenu un sujet éditorial, depuis que plus de 150 ouvrages tentent de cerner son énigme?
Il est une «nostalgie Mitterrand» alimentée par une garde rapprochée de fidèles, soldats de la mémoire présidentielle qui conservent une dette envers leur grand homme. Du conseiller spécial au chauffeur, du ministre au juge (même le juge Eric Halphen se fend d’une biographie – Mitterrand, ombres et lumière, Editions Scali), de la vedette du petit écran (Pascal Sevran et son mauvais Mitterrand, les autres jours) au président de la fondation qui porte désormais le nom de l’ancien président (Hubert Védrine, François Mitterrand, Gallimard), tous y vont de leur témoignage, de leurs anecdotes, de leur récit. Chacun façonne son Mitterrand.

Entré au Panthéon
Pour cet homme hanté par la trace qu’il laisserait, obsédé par sa postérité, pour ce monarque républicain qui avait minutieusement préparé sa sortie, sculpté jusqu’à la dernière heure la statue de sa légende, la mission est réussie. Dans les récents sondages, l’homme du 10 mai 1981 voisine avec de Gaulle, l’éternel rival, dans la mémoire des Français. Loin devant Giscard et Pompidou. La mort lui a offert ce que le combat politi-que lui avait refusé: il est désormais symboliquement installé dans ce Panthéon visité avec ostentation au jour de son intronisation.
Dans le déluge d’ouvrages publiés, il en est un qui tranche par le contenu et le ton. Le psychanalyste Ali Magoudi, qui accompagna Mitterrand tout au long de ses deux septennats, répond au vœu présidentiel: «Ecrire la nouvelle mémoire» du président. Seule restriction: «Faites ce texte pour le dixième anniversaire de ma mort.» Promesse tenue avec Rendez-vous1, un étonnant livre qui va alimenter le débat de ces commémorations. Magoudi analyse des propos inédits, traque le lapsus, éclaire les silences révélateurs, décrypte les arcanes de l’inconscient présidentiel qui tourne autour de son enfance et des personnalités marquantes du père et de la mère. Omniprésentes, l’idée de la mort – de cette mort qu’il tenta d’apprivoiser en domptant son cancer – et celle de la transcendance. Récurrente aussi la figure tutélaire de De Gaulle, le seul étalon politique que Mitterrand jugeait digne de lui. Par l’interprétation que s’autorise le médecin, ces pages ouvrent d’intéressantes voies pour l’examen du cas Mitterrand, de sa complexité naturelle et fabriquée.

Récolte posthume
On peut s’étonner devant tant de fascination, face à ce qui peut tenir de l’aveuglement de la part de personnes en mal de dévotion. Certitude: Mitterrand récolte de manière posthume ce qu’il a patiemment semé durant toute une vie. En s’entourant d’écrivains, d’intellectuels, de personnalités médiatiques, il savait que sa geste allait progressivement se transformer en mythologie, le plus sûr chemin vers une certaine immortalité… Mais on est en droit désormais, dix ans après sa disparition, d’espérer que les témoins et les hagiographes, les mémorialistes et les thuriféraires laissent la place à une approche historique plus neutre et impartiale.

1Ali Magoudi, Rendez-vous. La psychanalyse de François Mitterrand. Maren Sell Editeurs.

La série d’entretiens filmés à l’Elysée entre 1984 et 1986 entre François Mitterrand, le journaliste Pierre Jouve et le psychanalyste Ali Magoudi est diffusée pour la première fois à la télévision: France 5, dimanches 8 et 15 janvier, à 17 h


Patrice Borcard
7 janvier 2005

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