Il ne croyait pas
si bien dire, François Mitterrand, lorsque, présentant
ses derniers vux en 1994, il assurait ses compatriotes que, croyant
«aux forces de lesprit, il ne les abandonnerait pas».
Dix ans après sa mort, le fantôme mitterrandien rôde
plus que jamais dans limaginaire hexagonal. Et les cérémonies
qui président au culte du souvenir témoignent de linfluence
mystérieuse et persistante que le personnage continue dexercer.
Tombent les révélations, éclatent de nouvelles
polémiques, séclairent des pans dombre, rien
ny fait: Mitterrand exerce une identique fascination sur des Français
qui font preuve dune étonnante indulgence à son
égard.
Alors que, ces jours, la machine commémorative participe à
la consolidation dune mythologie, largement initiée par
lintéressé, il nest pas vain de sinterroger
sur les causes de cet envoûtement. La tonalité des dizaines
douvrages et démissions qui éclosent à
loccasion de cet anniversaire apporte une part de la réponse.
Ce nest pas le bilan politique dun double septennat qui
passionne lopinion, mais bien davantage le mystère dun
personnage romanesque. Cest cette énigme, habilement fabriquée,
faite de vies parallèles et de vrais-faux secrets, de petits
mensonges et de grands silences, que singénient à
perpétuer les encenseurs postmortuaires. Lobjet de ce culte,
en habile brouilleur de pistes, doit savourer sa victoire, lui qui sculpta
jusquà son dernier souffle la statue de sa légende,
mettant en scène ses propres funérailles, poussant le
détail jusquà la couleur des roses qui devaient
fleurir son auguste catafalque.
Cette «biographie perpétuelle» lexpression
est de Pierre Nora dont est lobjet lhomme du 10 mai
1981 se nourrit aussi dune demande plus collective. Car les commémorations
tiennent dune forme dautocélébration. Comment
comprendre le culte qui entoure ce «libertin du pouvoir»
sans mesurer la nostalgie qui porte le souvenir du «dernier des
grands présidents»? «Les grands hommes sont plus
grands que nature dans le souvenir. Ce que nous vivons en eux, cest
à la fois le meilleur deux et le meilleur de nous»,
écrivait justement le philosophe Alain. Rien détonnant
à ce quune majo-rité de sondés ait récemment
placé, dans le Panthéon national, le pèlerin de
Solutré devant le général de Gaulle. Mais si Mitterrand
a gagné en première instance devant lopinion, il
nest pas certain que le verdict soit le même face au tribunal
de lHistoire.
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