COMMENTAIRE

Mitterrand 1996-2006

La biographie perpétuelle

Il ne croyait pas si bien dire, François Mitterrand, lorsque, présentant ses derniers vœux en 1994, il assurait ses compatriotes que, croyant «aux forces de l’esprit, il ne les abandonnerait pas». Dix ans après sa mort, le fantôme mitterrandien rôde plus que jamais dans l’imaginaire hexagonal. Et les cérémonies qui président au culte du souvenir témoignent de l’influence mystérieuse et persistante que le personnage continue d’exercer. Tombent les révélations, éclatent de nouvelles polémiques, s’éclairent des pans d’ombre, rien n’y fait: Mitterrand exerce une identique fascination sur des Français qui font preuve d’une étonnante indulgence à son égard.
Alors que, ces jours, la machine commémorative participe à la consolidation d’une mythologie, largement initiée par l’intéressé, il n’est pas vain de s’interroger sur les causes de cet envoûtement. La tonalité des dizaines d’ouvrages et d’émissions qui éclosent à l’occasion de cet anniversaire apporte une part de la réponse. Ce n’est pas le bilan politique d’un double septennat qui passionne l’opinion, mais bien davantage le mystère d’un personnage romanesque. C’est cette énigme, habilement fabriquée, faite de vies parallèles et de vrais-faux secrets, de petits mensonges et de grands silences, que s’ingénient à perpétuer les encenseurs postmortuaires. L’objet de ce culte, en habile brouilleur de pistes, doit savourer sa victoire, lui qui sculpta jusqu’à son dernier souffle la statue de sa légende, mettant en scène ses propres funérailles, poussant le détail jusqu’à la couleur des roses qui devaient fleurir son auguste catafalque.
Cette «biographie perpétuelle» – l’expression est de Pierre Nora – dont est l’objet l’homme du 10 mai 1981 se nourrit aussi d’une demande plus collective. Car les commémorations tiennent d’une forme d’autocélébration. Comment comprendre le culte qui entoure ce «libertin du pouvoir» sans mesurer la nostalgie qui porte le souvenir du «dernier des grands présidents»? «Les grands hommes sont plus grands que nature dans le souvenir. Ce que nous vivons en eux, c’est à la fois le meilleur d’eux et le meilleur de nous», écrivait justement le philosophe Alain. Rien d’étonnant à ce qu’une majo-rité de sondés ait récemment placé, dans le Panthéon national, le pèlerin de Solutré devant le général de Gaulle. Mais si Mitterrand a gagné en première instance devant l’opinion, il n’est pas certain que le verdict soit le même face au tribunal de l’Histoire.

Patrice Borcard
7 janvier 2005

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