GLÂNE Lydie Thorimbert

Artiste glânoise consacrée

Employée des Ateliers de la Glâne, Lydie Thorimbert a dessiné avec frénésie pendant des années, en faisant fi des conformismes. L’artiste de Grangettes figure désormais, à titre posthume, parmi les 800 artistes de la Collection de l’Art brut, à Lausanne.


Les œuvres que Lydie Thorimbert a créées durant ses dix dernières années constituent un corpus cohérent, régi par ses propres règles
(photos Collection de l’Art brut)

 

«Lydie ne commentait et n’expliquait jamais ce qu’elle faisait. Elle créait par plaisir, gratuitement, sans penser à faire valoir ou à faire connaître ses dessins.» Et pourtant, à la grande satisfaction de sa sœur Edith, une double consécration posthume est venue couronner l’œuvre de Lydie Thorimbert: 178 dessins de l’artiste glânoise font partie depuis la fin 2005 des quelque 30000 pièces de la Collection de l’Art brut, à Lausanne. Et vingt-quatre d’entre eux sont présentés jusqu’au 29 janvier au Musée d’art et d’histoire de Fribourg, dans le cadre de son exposition sur Saint-Nicolas.
Atteinte de trisomie, Lydie Thorimbert a réalisé la plupart de ces œuvres durant ses dix dernières années, dans le cadre des Ateliers de la Glâne, à Romont. L’artiste, née en 1954 à Grangettes et décédée d’une leucémie en 2001, y travaillait depuis 1983. Elle avait profité de l’atelier papier fondé en 1998 pour déployer, avec une persévérance extrême, tout son talent. Et ce talent ne fait aucun doute, souligne Lucienne Peiry, directrice de la Collection de l’Art brut: «Lydie était une autodidacte, étrangère à l’art et à la culture, donc à mille lieues des conformismes. Elle créait en toute liberté, elle regorgeait d’inventivité et d’ingéniosité, avec une impertinence et une insolence remarquable. Elle a toute sa place dans notre collection.»
Couleurs vives et audacieuses, figuration naïve confinant au symbolisme ou à l’onirisme, personnages statiques et dépeints de face, utilisation du feutre (voire du crayon ou, très rarement, de la craie grasse): ses dessins ont quelque chose d’enfantin. «Elle a cette spontanéité, mais elle a aussi élaboré un système d’expression et un univers totalement personnels, qui font de son œuvre un corpus d’une cohérence évidente», explique Lucienne Peiry.

Tradition revisitée
Un même style traverse ainsi l’ensemble de la création. Travaillant sans esquisse ni croquis, «sans préméditation», Lydie Thorimbert ne revenait pas sur ses traits, où on lit pourtant l’exaltation et le rythme. Elle ignorait la perspective: seule comptait pour elle l’importance des objets, symbolisée par leur taille. Peu lui importait, également, l’envers ou l’endroit, de sorte que ses compositions ne manquent pas de désorienter le spectateur. Plusieurs thèmes assurent par ailleurs la cohésion de son œuvre: l’avent, Noël, Pâques, le printemps, la désalpe, nombre de rituels et de fêtes fribourgeoises qui rythmaient la vie familiale de l’artiste. D’où quelques figures obsessionnelles, comme celle de Saint-Nicolas et du Père Fouettard. «Il faut d’abord y voir une célébration, note Lucienne Peiry. Mais Lydie Thorimbert revisite ces thèmes traditionnels en les transformant avec espièglerie. C’est l’un des aspects les plus intéressants de son travail.»

Fribourgeois à l’honneur
Un travail que l’institution présentera en partie ce printemps, dans le cadre de l’exposition de ses nouvelles acquisitions. Les œuvres de la Glânoise, qui ont fait l’objet d’une donation de la famille et des ateliers de la Glâne, seront ensuite étudiées scientifiquement. «A plus long terme, je souhaiterais les exposer avec celles de feu Gaston Savoy et Pierre Garbani», dont les œuvres ont récemment été remises au musée par la maison Saint-Joseph, à Châtel-St-Denis (La Gruyère du 3 septembre). Les trois Fribourgeois ont d’ailleurs été découverts par le même artiste peintre, François Burnand, qui figure lui aussi dans le catalogue du musée.
Cette exposition pourrait être enrichie d’un film et d’une publication, selon les disponibilités de la Collection. Mais, pour Alexandre Waeber, directeur des ateliers glânois, l’essentiel est déjà fait: «Lydie accède au rang d’artiste. C’est une reconnaissance de son talent et une façon de dire que les personnes handicapées ne sont pas seulement marquées par la déficience, mais peuvent apporter quelque chose au paysage culturel.»

Japon, USA, Romont

On doit la Collection de l’Art brut au peintre français Jean Dubuffet, qui a découvert et théorisé ce genre en se passionnant pour les créations marginales, où il percevait «l’opération artistique toute pure, brute,
réinventée dans l’entier de toutes les phases par son auteur, à partir seulement de ses propres impulsions». Le musée, installé au château de Beaulieu, a vu le jour en 1976, grâce à l’importante donation que l’artiste avait laissée à la ville de Lausanne. Aujourd’hui, l’institution reçoit chaque année 30000 visiteurs en provenance d’Europe, d’Amérique et d’Asie, et prospecte dans le monde entier. «Nous venions de découvrir des œuvres au Japon et aux Etats-Unis, et des œuvres magnifiques nous attendaient à Romont!» sourit la directrice de la Collection, Lucienne Peiry. Laquelle n’a pas hésité à réserver une place à Lydie Thorimbert, aux côtés des 800 artistes de la Collection.


Stéphane Sanchez
7 janvier 2006

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