GRUYÈRE L’Echo des Marches

Un Magnificat de Baeriswyl

A l’occasion de son 75e anniversaire, L’Echo des Marches de Broc crée un «Magnificat», composé par Henri Baeriswyl. Le chœur dirigé par Jean-Pierre Chollet en propose également une version discographique. Rencontre avec le compositeur qui décrit sa conception de la musique sacrée.


Henri Baeriswyl: «Ce Magnificat est un peu ma musique du dimanche, cette langue maternelle gardée en sommeil le temps d’une pièce plus difficile. Elle est souvenir, souvenir de beauté dont je ne sais si elle est passée ou à venir.»

 

Pour son 75e anniversaire, L’Echo des Marches de Broc aurait pu envisager un lointain voyage ou un spectacle «kermesse» comme il en éclôt un peu partout. Au contraire, par la commande d’une composition et son enregistrement (lire ci-dessous), il approfondit le sens de sa mission de chœur au service de la musique sacrée. Dirigé depuis vingt-deux ans par Jean-Pierre Chollet, L’Echo des Marches célébrera son anniversaire le dimanche 11 décembre. Auparavant, durant ce week-end, le chœur, accompagné par un ensemble instrumental, crée un Magnificat d’Henri Baeriswyl.

– Après des chefs-d’œuvre comme celui de Bach, comment écrire aujourd’hui un «Magnificat»?
Henri Baeriswyl. On peut avoir le sentiment que tout a été fait. Mais ma démarche se place dans la recherche de la beauté, que je crois extérieure à moi. Je suis convaincu que le monde spirituel existe. Quant à ma recherche, elle se fait en compagnie d’un chœur: il s’agit de prendre avec moi ceux qui sont chargés d’interpréter l’œuvre. Et cette rencontre est ancrée dans une tradition et dans un lieu, un lieu de pèlerinage – celui de la chapelle des Marches. Le thème marial a été imposé: il répond aussi à ma démarche.

– A propos de cette composition, vous écrivez qu’elle relève de votre «musique du dimanche», qu’elle tient d’une «langue maternelle gardée en sommeil». Quel sens?
Je suis entré en musique par la musique du dimanche. A l’âge de six ou sept ans, dans la paroisse de Surpierre, le grégorien était partout. J’ai grandi dans cette musique grâce à des gens comme Jean-Marie Barras, mon instituteur, Charles Jauquier qui chantait en soliste, ou Raphaël Mauron qui jouait à l’orgue chaque dimanche un choral de Bach. J’adorais cette musique qui s’est imprimée dans ma mémoire. Dans un contexte émotionnel religieux, ce fut pour moi l’approche d’une certaine beauté.

– Le grégorien charpente votre «Magnificat», dans lequel est inclus le «Salve Regina». Quels objectifs visez-vous avec cette utilisation?
Par son absence de hiérarchie dans les fonctions harmoniques, le grégorien crée un climat. C’est une musique qui n’utilise pas les modes actuelles, centrées sur l’extériorisation des sentiments. J’utilise donc le grégorien comme ossature de la pièce. C’est un cantus firmus qui tient de la voix principale. Quant au Salve Regina, il tient un peu du rôle du chœur à la greque: il est comme un commentaire plus populaire à la première partie.

– Vous dites avoir puisé dans votre «féminitude» l’inspiration de cette composition, qui possède une légèreté, une transparence.
J’ai en effet imaginé que cette jeune fille devait être heureuse et j’ai voulu que ce Magnificat lui corresponde. D’autant plus que j’ai souvent écrit des œuvres un peu nostalgiques, assez sombres. Quant à l’inspiration, j’ai essayé de me mettre en situation de tendresse et de douceur. Pour y parvenir, il faut oublier ses pudeurs. C’est une démarche intimiste qui consiste à fréquenter les zones de notre âme qu’on visite moins.

– A votre «musique du dimanche» correspond-il une musique de la semaine?
Je suis un polyglotte de la musique. Mon enseignement – je prends ma retraite l’année prochaine – m’a permis d’approcher et d’analyser de nombreuses œuvres, dont j’ai beaucoup appris. Je me sens rechargé comme une éponge et j’ai envie de dire des choses un peu nouvelles. Aussi, mon travail de composition est concentré vers des recherches plus actuelles, porté par un langage plus contemporain et dissonant. Preuves, la récente Symphonie de chambre créée au Conservatoire de Fribourg et le Quatuor à cordes créé à Shanghai par le Quatuor Florestan. Mais je passe facilement vers des compositions plus simples. Qui est le vrai Henri Baeriswyl? C’est celui qui fait les deux choses!

Broc, église, samedi 26 novembre, 20 h, et dimanche 27 novembre, 17 h

Une démarche exemplaire

Avouons-le: le disque que L’Echo des Marches de Broc a enregistré à l’occasion de son 75e anniversaire est simplement exemplaire. Exemplaire par sa démarche musicale, par la qualité de son interprétation, par l’esprit qui l’anime. Cet ensemble d’une bonne vingtaine de chanteurs voue l’essentiel de son énergie à l’animation liturgique. Sous la direction de Jean-Pierre Chollet, le chœur a développé des qualités vocales et une musicalité qui sont admirables pour un ensemble qui n’est pas un alignement de voix jeunes et sélectionnées. Car, dans l’esprit de service qui est le sien, L’Echo des Marches accepte tout le monde. Et le chœur brocois fait, lui aussi, face au vieillissement de ses effectifs.
Qu’importe! Le résultat musical est lumineux de vérité. Il suffit d’écouter le Regina caeli interprété en plain-chant par les hommes: souplesse, fluidité, musicalité, parfaite intonation. Cette prière ne possède pas uniquement un habit de belle facture, elle est éclairée de l’intérieur. Les voix féminines injectent dans O Maria Mater pia – une pièce anonyme du début du XVIIe siècle – ce même esprit: une manière d’aborder humblement la musique, de servir la pièce en respectant le style. Les deux œuvres de Llibre Vermell de Montserrat, écrites vers 1370, témoignent encore de la ferveur joyeuse qui coule dans les veines de cette musique sacrée. Quant au Salve Mater, composé pour l’occasion de l’anniversaire par Léon Tâche, un membre du chœur, il est rendu avec ce même sens de la ligne et de la transparence harmonique.
Mais c’est le Magnificat d’Henri Baeriswyl qui demeure la pièce principale de cet enregistrement. Construite autour de thèmes grégoriens, portée par un accompagnement musical qui fait la part belle à la harpe, cette pièce respire une sorte de plénitude heureuse, une tendresse et une transparence qui mènent l’auditeur au cœur de l’œuvre. Dès les premières mesures le cor et la harpe créent un climat de sérénité, à l’intérieur duquel la voix de la soprano Georgette Leu pénètre avec délicatesse. Chaque partie – il en est sept au total – dessine une ambiance particulière, qui prend appui sur le texte. Ainsi ce superbe début de Quia fecit, où violoncelle et violon invitent à la confiance. L’écriture devient plus rythmique et les doubles-croches des cordes animent le Fecit potentiam, partie où le chœur ne parvient pas à habiter tout l’espace vocal. Il est parfaitement à l’aise, par contre, dans les lignes grégoriennes du Salve Regina, parenthèse inscrite dans la partie du Gloria patri final. Cette composition de 34 minutes s’achève dans un feu d’artifice qui transporte l’âme de l’auditeur dans un sentiment d’éternité.

L’Echo des Marches, Magnificat de Henri Baeriswyl, ARTLAB 05504. Commande au 026 921 23 92.


Propos recueillis par
Patrice Borcard
24 novembbre 2005

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