GRUYÈRE Anicet Laotaye

De Grangeneuve au Tchad

Des Bullois de l’association «Une fromagerie au Tchad» ont fait le voyage en Afrique, pour apporter chaudron et matériel fromager à Anicet Laotaye. Depuis la fin de son apprentissage à Grangeneuve, ce jeune Tchadien monte une laiterie dans son pays d’origine.


Une rue de Farcha, quartier de la capitale N’Djamena, au Tchad, avec un troupeau de zébus

 

Jean-François Cuennet et René Bussard sont rentrés d’Afrique ce week-end. Membres de l’association «Une fromagerie au Tchad», les Bullois sont allés visiter la laiterie en construction du jeune Anicet Loataye, 25 ans, qu’ils ont connu en Suisse. Ils racontent l’histoire peu ordinaire de l’amitié qui les lie à ce pays.
Dans les années nonante, le père d’Anicet Laotaye avait installé une fromagerie à N’Djamena, la capitale, où il produisait une sorte de parmesan sec et dur. Un fromage qui se conserve bien même quand il fait près de quarante degrés à l’ombre. L’homme avait aussi appris aux agriculteurs du coin à faucher l’herbe, afin de donner du foin aux zébus pendant la saison sèche. Car sans nourriture suffisante, les animaux ne produisent plus de lait.
Mais le père d’Anicet Laotaye est mort en 1998, et la ferme qu’il avait dirigée s’est trouvée à l’abandon. En digne héritier, le fils a décidé de perpétuer l’œuvre de son père. Le jeune Tchadien est donc venu en Suisse faire son apprentissage de fromager là où son père avait accompli le sien, c’est-à-dire à Grangeneuve (La Gruyère du 6 avril 2002).
Avec un CFC, une expérience des méthodes de l’alpage et un brevet cantonal en poche, le fromager est bien paré pour se servir du bagage professionnel acquis en Suisse. Mais pas question d’appliquer telles quelles les méthodes qu’il a apprises. Au Tchad, tout est plus difficile. Non pas que le lait manque: les troupeaux de zébus prolifèrent là-bas. Mais faute de moyens et de connaissances pour le transformer, les agriculteurs n’en produisent que la quantité dont ils ont besoin.

Un chaudron de 600 litres
En 2002, l’association «Une fromagerie au Tchad» s’est constituée sur l’initiative de Stéphane Gmünder, qui a sensibilisé ses amis Jean-François Cuennet et René Bussard. L’association s’est fixé pour but de soutenir Anicet Laotaye dans son entreprise, récolter des fonds et acheminer du matériel à Farcha, le quartier de N’Djamena où son père avait installé la fromagerie. Mais cet été, quand il est retourné dans son pays, Anicet Laotaye a trouvé un bâtiment dévasté, des murs écroulés, les anciennes installations fromagères de son père disparues. Il a fallu tout reconstruire à neuf. Anicet Laotaye s’y emploie encore aujourd’hui.
En décembre dernier, Jean-François Cuennet et René Bussard ont fait le voyage jusqu’au Tchad, à bord de 4x4 et d’un camion Unimog adapté aux conditions désertiques. Presque 5000 km au compteur, entre problèmes techniques et crevaisons, sur des pistes en très mauvais état. C’est que les transports sont extrêmement difficiles en Afrique: «Certains jours, notre moyenne ne dépassait pas 15 km/h», racontent les deux Gruériens, qui ont souffert de la poussière et des tempêtes de sable. Partis avec quatre autres membres de l’association, tous autant passionnés de l’Afrique qu’eux, ils ont roulé jusqu’à Gênes, où ils ont embarqué pour Tunis. De là, ils ont traversé la Tunisie, la Lybie et le Nigeria.
Une fois à Farcha, l’équipée a déballé l’indispensable du fromager: un chaudron en cuivre de 600 litres, une potence, une installation de cuisson au gaz, des bonbonnes, un frigo qui fonctionne au gaz et une quantité d’ustensiles (louches, tranche-caillé, bacs, passoires, etc.).

Autonomie financière
Grâce à l’aide suisse, Anicet Laotaye pourra dans un premier temps commencer la production de yogourt, très prisé dans la région, expliquent les deux voyageurs. Les installations devraient être prêtes dans le courant du mois de mars. La production du fromage suivra. La feta, qui se conserve dans de la saumure ou à sec, est envisageable, de même qu’une sorte de parmesan à pâte dure et sèche. Il s’agit de produire du fromage qui résiste à la chaleur du climat. La vente, une de ses sœurs se charge déjà de l’organiser.
Mais à terme Anicet Laotaye fera de sa ferme un centre de formation. La région s’enrichira de fromagers et d’agriculteurs respectueux des mesures minimales d’hygiène, en particulier lors de la traite du lait de zébu. Ils seront capables de sélectionner les bêtes et de fourrager, assurant une production régulière durant toute l’année. Un zébu ne donnant que 5 à 8 litres de lait par jour, rien à voir avec les quotas des vaches laitières suisses. Mais le cheptel tchadien est important et une demande existe: les agriculteurs attendent d’écouler leur production pour la transformer en fromage et en yogourt.
L’entreprise d’Anicet Laotaye est un espoir important pour la région. Elle permettra à de nombreux agriculteurs, qui représentent encore 80% de la population du Tchad, d’échapper à la pauvreté et à la faim. Un modèle de développement durable donc, avec les standards de qualité suisses, mais les moyens simples de l’Afrique. Anicet Laotaye compte s’installer dans la durée et vise l’autonomie financière de sa laiterie.

La question de l’hygiène

L’hygiène est une question cruciale au Tchad, quand il s’agit de manipuler des produits périssables comme le lait. En visite sur place, Jean-François Cuennet et René Bussard peuvent témoigner de la situation. A Farcha, dans le quartier de la capitale N’Djamena où se situe la laiterie d’Anicet Laotaye, les rues sont en terre battue, les cases en briques de terre non cuite qui s’écroulent après quelques années. Il n’y a pas d’égoût, les déchets jonchent les rues qui sont envahies par les troupeaux de zébus. En prévision des inondations annuelles dues à la saison des pluies, Anicet Laotaye a reconstruit sa laiterie en dur, c’est-à-dire en briques de terre cuite et maintenues par du ciment. Comme il a surélevé le bâtiment par rapport à la rue, l’eau n’entrera pas. Autre anecdote révélatrice de sa volonté de faire du bon boulot: Anicet Laotaye exige de ses employés qu’ils se douchent avant de travailler. Il a donc construit deux douches et des toilettes à l’intérieur du bâtiment de la laiterie.

 

Elisabeth Haas
13 janvier 2004

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