GRUYÈRE Concours d’alcool fort

Un café bullois sur la sellette

Un concours d’alcool fort organisé dans un café bullois a failli tourner au drame. Le 17 décembre, deux des cinq participants ont été admis – dans un coma éthylique – aux urgences de l’hôpital de Riaz. L’un d’eux avait une alcoolémie de 4,07‰. La justice a ouvert une enquête pénale contre la tenancière du restaurant pour mise en danger éventuelle de la vie ou de la santé d’autrui.


But du jeu: boire en moins de deux minutes douze verres d’alcools variés
(arch. J.-R. Seydoux)

 

«J’ai été scandalisé par le comportement de cette personne qui a organisé le concours dans un établissement public. Comme j’ai été informé quelques jours après, j’ai immédiatement pris contact avec l’exploitante pour lui interdire ce jeu», explique le préfet Maurice Ropraz. Plus de deux semaines après avoir pris connaissance des faits, le magistrat se dit encore «fou de colère» à cause de «ce jeu stupide».
Comme autorité de surveillance, le préfet a prévenu par téléphone et dans deux courriers l’exploitante que son restaurant pourrait être fermé et sa patente retirée si un tel concours était de nouveau organisé. Le magistrat gruérien a reçu les appels téléphoniques des parents des deux jeunes qui ont été hospitalisés à Riaz. Il a demandé à la gendarmerie un rapport de dénonciation pénale sur lequel le juge d’instruction va poursuivre ses investigations. Une enquête pénale a en effet été ouverte.
Tout a commencé le vendredi soir 17 décembre: un café-restaurant de la ville de Bulle a mis sur pied un concours d’alcool fort. Cette soirée a été annoncée par de la publicité, faite via des flyers.
La finance d’inscription était de 30 francs. But du jeu baptisé Xupito, très en vogue semble-t-il en Australie: boire en moins de deux minutes douze verres d’alcool fort, le vainqueur gagnant une bouteille de whisky. Dans le langage des initiés, c'est se faire «12 shooters». Pour pimenter la chose, des alcools qui ne vont pas très bien ensemble – ayant un effet répulsif – étaient proposés. Il y avait entre autres de la sangria, du Ricard, de la vodka, du rhum et de la tequila.
Ce soir-là, cinq participants se sont inscrits. Tous des hommes âgés de 19 ans à plus de 30. Il y avait en fait une véritable mise en scène, souligne Maurice Ropraz. L’animateur, qui faisait aussi office de DJ, appelait sur scène toutes les trente minutes un participant. Sur une table trônait l’horloge égrenant les secondes, et bien sûr les fameux douze verres pouvant contenir de 2 à 4 cl. Ça signifie que le concurrent, s’il buvait les douze verres, ingérait plus de deux décilitres et demi d’alcool fort en un temps record, avec les dangers que cela implique (lire ci-dessous l’interview du Dr Abril).

Mise en scène soignée
La mise en scène soignait les détails puisqu’il y avait même une bassine prévue pour la personne qui serait malade… Elle a servi au troisième concurrent qui a jeté l’éponge. Le premier s’est arrêté après avoir bu six verres. Le troisième a gagné en une minute et 53 secondes, alors que les choses ont mal tourné pour les deux derniers buveurs.

Une première, le concours
Le quatrième a battu le record de la soirée, en descendant les douze verres en 59 secondes, avant de s’écrouler quelques instants plus tard devant l’établissement public. L’ambulance l’a transporté à l’Hôpital du Sud fribourgeois, à Riaz. Celle-ci était de nouveau requise plus tard dans la soirée afin d’emmener le dernier buveur qui a d’abord tenu le choc des «12 shooters», avant de s’effondrer plus d’une heure après l’ingestion du cocktail explosif. Un certificat médical précise qu’un des participants avait une dose d’alcoolémie de 4,07‰…
Interrogée, la tenancière du restaurant minimise l’affaire: «On a pris conscience après. Ça faisait partie d’un programme d’animation pour novembre et décembre mis sur pied par mon bras droit qui a vu ça en Australie. Depuis quatre ans que je suis ici, nous faisons des tournois d’échecs, des animations musicales et littéraires. C’est la première fois que ce concours était organisé. J’ai fait confiance. Mais, à ma connaissance, il n’y a pas une loi qui interdit ce jeu avec l’alcool. Et puis ces gens sont tous adultes.»

Jamais de précédent
Le juge d’instruction Patrick Genoud n’est pas de cet avis: «La loi sur les établissements publics dit expressément que l’exploitant ne doit pas servir ou faire servir de l’alcool aux personnes manifestement prises de boisson.» En plus de l’infraction à la loi cantonale, il pourrait y avoir mise en danger éventuelle de la vie ou de la santé d’autrui. L’article 129 du Code pénal suisse prévoit des sanctions pouvant aller de l’emprisonnement jusqu’à la réclusion. Cela signifie que la patronne pourrait être condamnée à une peine pouvant aller de trois jours au minimum jusqu’à cinq ans au plus.
Hier, le juge d’instruction n’avait pas encore auditionné la tenancière. C’est la première fois que la justice fribourgeoise est confrontée à pareil cas: «Je n’ai jamais entendu parler de ce genre de concours dans un restaurant fribourgeois, annoncé en plus par une publicité.»

«Une dose mortelle»

Médecin généraliste, consultant au service d’alcoologie de l’Hôpital du Sud fribourgeois, à Billens, le
Dr Fernando Abril estime que le concours aurait pu tourner à la tragédie. Une dose d’alcoolémie de plus de 4‰ est en effet mortelle…

– A quel degré d’alcoolémie se situe le coma éthylique pour une personne qui n’a pas l’habitude de boire?
Je dirai qu’à partir de 2‰ le consommateur peut se retrouver dans le coma. S’il n’y a pas eu de décès dans l’affaire bulloise, c’est sans doute qu’il s’agit de personnes qui ont l’habitude de consommer de grosses quantités d’alcool. Avec 3‰ une personne qui n’a pas une dépendance à l’alcool peut mourir: elle tombe dans le coma éthylique et décède. Si le consommateur arrive à l’hôpital dans le coma, survit à tout ça, ça signifie vraisemblablement qu’il a une accoutumance. A 4‰, le risque de mort est bien réel. Boire à jeun et rapidement, le taux d’alcoolémie va monter à une vitesse folle! C’est une chose vraiment à éviter si l’on tient à sa santé.

– Quels peuvent être les dégâts physiques d’une telle absorption d’alcool?
Du côté des dégâts chroniques, il n’y en a pas beaucoup même avec une consommation unique excessive. Mais le risque de probabilités d’accidents explose soit avec la voiture, soit lors d’une chute dans les escaliers. C’est un risque évident par contre lors d’abus réguliers, la médecine enregistre des pancréatites, des inflammations du foie, des cancers de l’appareil digestif, sans parler des problèmes cardio-vasculaires.

– Dans votre consultation, avez-vous déjà été confronté à de tels taux d’alcoolémie?
A l’hôpital de Billens, non, mais par contre des confrères m’ont envoyé de jeunes patients alcooliques pour les traiter. Il n’y a pas longtemps j’ai reçu une fille de 13 ans qui avait fait déjà trois comas éthyliques. Plus, récemment, un enfant de 9 ans est arrivé chez moi avec un taux d’alcoolémie à 1‰. A mon avis, c’est une tendance qui se généralise. Lors de fêtes, les jeunes consomment beaucoup de limonades alcoolisées ou de la bière. Ce n’est pas normal de voir partout des panneaux vendant ces alcools. On les vend à des jeunes qui s’alcoolisent exactement de la même façon que s’ils consommaient des alcools forts. Il faut plus de temps pour y arriver, mais le résultat est bien là. Selon les statistiques, les adultes ont réduit leur consommation d’alcool ces dernières années, mais quelque 12000 écoliers de 11 à 16 ans boivent chaque jour en Suisse des boissons alcoolisées.

 

Christophe Schaller
13 janvier 2005

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