COMMENTAIRE Avec le Servette FC

Le miroir du football

Le Servette FC est à l’agonie. L’ajournement de faillite déposé devant le juge ne fera que repousser de quelques jours ce qui paraît une évidence. Qui l’aurait cru, il y a deux ans encore? Dans ces colonnes, nous pleurions la déliquescence du football suisse. Les clubs de Sion, Lausanne et Lugano tombaient comme des feuilles mortes. Seul Servette, qui inaugurait en grande pompe son stade, tenait du rescapé dans ce paysage sinistré.
Et voilà que le club, longtemps ambassadeur du football helvétique, sombre à son tour. Grandeur et décadence d’un emblème… Depuis près de 120 ans, les «grenat» tenaient le haut du terrain. Etat dans l’Etat, le Servette FC était un lieu de pouvoir. Derrière l’épopée sportive qui suscita de formidables passions, la politique et l’affairisme se disputaient le prestige attaché au club. Le terrain des Charmilles a englouti de véritables fortunes et engendré des fidélités peu raisonnables. Si le Servette se retrouve en pleine banqueroute, c’est que le milieu footballistique n’a pas pris la mesure des changements. Ces deux dernières décennies, il a vécu comme si la carte du football n’avait pas été redessinée par la globalisation.
Le constat est valable à une large échelle. La plupart des clubs européens sont pris de crampes financières. Le phénomène, décernable depuis la fin des années 1980, s’est accéléré avec l’«arrêt Bosman», qui a libéralisé le marché des transferts et, surtout, transformé les clubs en véritables entreprises.
Pour avoir longtemps vécu dans un univers virtuel, que les spectateurs observaient à travers les chiffres aberrants des transferts, le football s’est progressivement coupé de ses bases. Il s’est enfermé dans une bulle «spéculative» qui a généré du dégoût jusque dans les rangs de ses supporters.
Le football est le miroir du pouvoir économique. Ce n’est pas un hasard si la Suisse romande apparaît aujourd’hui comme un désert footballistique. Car les centres de décision ont progressivement migré vers la Suisse alémanique. Et si, contrairement à Aarau récemment, Lausanne et Genève n’ont pas réussi à décrocher la manne financière miraculeuse, c’est parce que le football romand n’est plus compétitif à l’échelle industrielle qui est désormais la sienne.


Patrice Borcard
13 janvier 2005

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