Commençons
par ce qui est le plus visible: des montagnes d'argent s'accumulent.
Dans le cas de l'aide aux victimes d'Asie du Sud, on parle de plus de
quatre milliards de dollars. Il est légitime que le citoyen généreux
veuille en savoir un peu plus sur la destination de cet argent, et sur
les systèmes de contrôle de son utilisation.
L'argent afflue parce qu'il a été demandé et que
les donateurs potentiels ont été informés du sort
de populations qui souffrent d'un conflit ou d'une catastrophe naturelle
(tremblement de terre, inondation, sécheresse, tsunami, etc.).
Les organisations caritatives ne peuvent cependant se contenter d'images
TV pour lancer leurs appels de fonds. Elles doivent analyser en détail
et par endroit les besoins réels à couvrir et évaluer
les montants nécessaires. Les situations sont très diverses
et engendrent des besoins différents.
Une situation de famine entraîne principalement la mise sur pied
de programmes d'alimentation et de centres nutritionnels thérapeutiques,
alors que la guerre exige notamment des programmes chirurgicaux, de
recherche de disparus ou de visites aux prisonniers. Mais les besoins
varient également en fonction de la géographie et des
coutumes des populations. Des populations urbaines n'ont pas les mêmes
habitudes que des populations rurales, des populations africaines ont
des styles de vie autres que des populations européennes. D'où
la nécessité pour les organisations demandeuses d'être
aussi spécifiques et précises que possible et ainsi de
correspondre à la vraie nature des besoins.
Toujours du côté des demandeurs, il faut décider
de la politique de collecte de fonds. Lors des appels ad hoc pour des
crises nouvelles (conflit ou catastrophe naturelle), la question ne
se pose pas, mais elle est cruciale pour les appels annuels concernant
les crises qui durent, en général liées à
des conflits. Faut-il rechercher des montants uniquement pour les besoins
fermement établis? ou au contraire prévoir de possibles
nouveaux besoins? Le CICR, par exemple, opte pour une approche très
restrictive. En cas d'insuffisance de ressources, il demande des rallonges.
Lorsque les situations sont totalement imprévisibles pour des
raisons de développement politique, il est sage de demander un
minimum; en cas de dégradation, un nouvel appel peut être
lancé le moment venu, comme cela s'est pratiqué quand
débuta la deuxième intifada en Palestine.
Le
coût de lefficacité
Le donateur a aussi raison de s'inquiéter du pourcentage de ses
contributions destiné aux frais administratifs. Spontanément,
on rêverait de dons entièrement reversés aux bénéficiaires.
En réalité, il s'agit là d'une fausse bonne idée
dès qu'il s'agit de programmes d'une certaine envergure. Autant
les petits projets comme l'Hôpital Nicole Niquille de Lukla
au Népal peuvent être menés à bien
par des bénévoles ici en Suisse, autant l'efficacité
de programmes nationaux est fonction du professionnalisme de celles
et ceux qui les gèrent. Et cela se paie. Il en va de même
pour toute la logistique. L'acheminement rapide des biens dépend
de moyens de transports technologiquement adaptés.
Par ailleurs, le lancement d'un «pipeline» alimentaire en
Europe ou aux Etats-Unis suppose une infrastructure compétente
au siège des organisations. Sur le terrain il faut aussi mettre
en place les moyens qui permettent d'éviter la corruption. Il
n'est pas rare qu'on entende dire que les coûts administratifs
du CICR sont importants. C'est vrai, mais il y a une explication. Opérer
en situation de guerre coûte plus cher qu'en cas de catastrophe
naturelle, car il y a une série de négociations à
mener dans les capitales et aux barrages de sécurité pour
pouvoir acheminer l'aide alimentaire et médicale à ses
vrais destinataires et qu'elle ne soit pas confisquée par des
combattants. En bref, l'efficacité a un coût.
Cela dit, il est tout aussi important que les organisations limitent
au maximum le montant de leurs frais fixes
et les fassent figurer de maniè-re transparente dans leurs comptes.
Une
aide coordonnée
Les catégories
de chercheurs de fonds sont de diverses natures. Par souci de clarté,
distinguons:
a) les organismes spécialisés de l'ONU (HCR, PAM, UNICEF,
etc.);
b) le CICR (et les autres branches de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge
international);
c) les ONG (les grandes, les petites) indépendantes ou politiquement/religieusement
marquées.
En gros, toutes ces organisations procèdent à la recherche
de fonds de la manière que nous avons décrite, même
si les plus petites n'ont pas toujours le personnel nécessaire
pour évaluer précisément les besoins. Si bien que,
parmi les petites ONG, il faut favoriser celles qui se concentrent sur
des projets de modestes dimensions bien identifiés (un hôpital,
une école, etc.).
Les différentes organisations se distinguent quant aux sources
de financement. Grosso modo, l'ONU s'adresse aux Etats, la Croix-Rouge
et un bon nombre de grosses ONG sont financées en partie par
des gouvernements et en partie par des privés. Quelques rares
ONG (en particulier OXFAM, MSF et MDM) ont un financement presque exclusivement
privé.
A relever que certaines organisations de nature religieuse mènent
des programmes problématiques, car elles choisissent leurs projets
non pas en fonction des besoins uniquement mais aussi du rattachement
religieux des populations victimes. C'est ainsi qu'un bon nombre d'organismes
musulmans refusent d'aider des victimes non musulmanes. Un problème
similaire se pose avec les riches pays du golfe Persique qui ne financent
que des organismes qui respectent leur politique. Un simple coup d'il
à la liste des pays donateurs pour l'Asie du Sud suffit pour
s'apercevoir que ces Etats n'ont débloqué que des montants
insignifiants par rapport aux autres donateurs. Il s'agit là
d'un des problèmes majeurs du financement de l'aide humanitaire
problème d'autant plus grave en l'occurrence que la majorité
des populations victimes sont d'origine musulmane.
La sophistication croissante de la présentation des appels
aux gouvernements surtout fait qu'une coordination entre les
plus grands s'impose. Par exemple, depuis maintenant environ une dizaine
d'années, l'ONU et la Croix-Rouge internationale (CICR et Fédération
des Croix-Rouge et Croissant-Rouge) comparent leurs appels annuels et
les présentent en commun pour permettre d'éviter les doublons.
Toutes ces précautions ne suffisent parfois pas à éviter
le chaos de l'aide. Mais cela est avant tout le cas dans les crises
très médiatisées. Pour une de ces situations, il
y en a des dizaines d'autres où les organisations d'aide ne se
bousculent absolument pas. Il faut noter que le CICR, avec MSF, est
une des seules institutions qui continuent d'aider dans la durée,
même lorsque l'argent manque.
Abréviations:
CICR: Comité
international de la Croix-Rouge, Genève
MDM:
Médecins du monde
MSF: Médecins sans frontières
ONG: organisation non gouvernementale
ONU: Organisation des Nations Unies
HCR: Haut-commissariat aux réfugiés
PAM: Programme alimentaire mondial
UNICEF: Fonds des Nations Unies pour l'enfance
OXFAM: grande ONG britannique
Une
utilisation sous contrôle
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Et
quid du contrôle de l'utilisation des fonds? Régulièrement,
les organisations bénéficiaires doivent rendre
compte en détail aux donateurs des programmes réalisés.
La plupart des gouvernements veulent même vérifier
directement sur le terrain. Ces mêmes gouvernements imposent
aussi des règles strictes d'utilisation de leurs fonds.
En particulier, ils fixent un laps de temps durant lequel les
fonds doivent être adéquatement employés.
Sinon, l'argent doit être restitué. De leur côté,
les organisations s'équipent d'outils de gestion qui
permettent de mesurer les résultats obtenus grâce
aux contributions reçues. A cet effet, le CICR s'est
doté d'une méthode de budgétisation exigeante
appelée Planning for results et appliquée à
l'ensemble de ses opérations.
Ce système d'appels de fonds, de contrôle et d'évaluation
n'est bien sûr pas sans faille et devra encore être
affiné, également du côté des populations
bénéficiaires, car le statut de victime ne justifie
en rien le laxisme dans la gestion des ressources et encore
moins la corruption. Mais l'on touche là à des
questions psychologiquement et politiquement très délicates,
car ce genre d'exigences est souvent interprété
comme un nouvel impérialisme du riche Occident sur le
pauvre Sud.
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