FRIBOURG Fouilles à arconciel
Deux bras tombés du ciel

Parmi les vestiges exceptionnels mis au jour dans la villa gallo-romaine d’Arconciel, deux bras en bronze intriguent. Ont-ils été arrachés à des statues honorifiques provenant peut-être d’Avenches? Le Service archéologique cantonal mène l’enquête.


Les deux bras droits en bronze mesurent environ 80 cm de long et pèsent dix kilos chacun

 

Mais à qui appartiennent les deux bras en bronze retrouvés lors des fouilles de la villa gallo-romaine d’Arconciel? C’est l’énigme qui intrigue les archéologues fribourgeois, en guise de rançon à leurs découvertes d’importance nationale. Les statues – les, puisqu’il s’agit de deux bras droits – mesuraient deux mètres et pesaient dans les 200 kg.
Ces «petits» colosses datant du Ier-IIIe siècle apr. J.-C. «n’ont rien à faire ici», a expliqué jeudi aux médias l’archéologue cantonal Claus Wolf. Aucun support approprié sur place, aucun autre élément de statuaire, sinon deux pans de vêtements en bronze. Non, les statues honorifiques appartiennent au monde urbain de l’Antiquité. Logiquement, l’archéologue cantonal et ses bras droits (!), Pierre-Alain Vauthey et Frédéric Saby, supposent donc que ces bronzes proviennent d’Avenches, capitale de l’Helvétie romaine.
Il s’agirait alors de notables ou de magistrats. «Peut-être ces pièces compléteront-elles le puzzle d’Avenches», ose Pierre-Alain Vauthey. Mais si les analyses devaient indiquer une provenance italienne, les espoirs les plus fous seraient permis. Et si c’était un empereur romain, à l’image de l’imposante statue équestre de Marc Aurèle à Rome (voir photo, à droite)? Pour sûr, on a affaire à du bronze de récupération, appelé à entamer une seconde vie sous forme d’outils ou d’éléments de parure.
«Les deux bras ont été retrouvés dans la cage d’escalier d’une salle souterraine. Un incendie a ravagé cette sorte de cave, enfouie 2,3 m sous charpente, qui servait de dépôt. Ils n’ont pu être sauvés par les occupants des lieux», raconte Pierre-Alain Vauthey. C’est cette salle, dotée d’un système d’évacuation des eaux d’infiltration, qui recelait la plupart des objets: éléments de porte, fibules (broches), pièces de monnaie (deniers, sesterces), bague en fer, fragments sculptés en marbre de Carrare, poteries, peintures murales, etc.
Non loin a également été mise au jour une structure de 12 m sur 6, creusée dans la molasse sur 80 cm d’épaisseur. Grâce à des poteaux et des parois étanches, cela constituait un bassin à fond plat, rempli d’eau au moyen d’un canal. Peut-être est-ce un vivier à poisson, imaginent les archéologues. Une découverte, là encore, exceptionnelle.
Reste à parler de la villa elle-même, et de son corps de bâtiment sis au lieudit Es Nés. Perché au bord d’une terrasse qui domine la vallée de la Sarine, l’édifice a été élevé au cours du IIe s. de notre ère, incendié au IIIe s. et réoccupée au moins au IVe s. Cette ferme de production agricole servait de cadre de vie à une centaine de personnes.
La partie habitation, flanquée de deux portiques de façade sur les côtés, mesure 34 m sur 24 et contient sept pièces de 55 m2. Si on ne connaît pas le loyer de l’époque, on sait que le niveau de vie y était élevé! Sans identité connue, le grand propriétaire s’est probablement enrichi par la production de tuiles ou de chaux. La Tuffière se situe juste de l’autre côté de la rivière.
Dans la partie agricole, encore inexplorée mais repérée par des vues aériennes, la présence d’une mosaïque en bon état n’est pas exclue. Du coup, le site d’Arconciel s’étend en tout sur plus d’une centaine de mètres. Il n’a de loin pas fini de livrer tous ses secrets. Une étude géoradar (ondes) sera encore menée prochainement puis, un jour, des campagnes de fouilles.

Un siècle de découvertes
A l’origine, tout est parti des bords de la Sarine, à 300 m en contrebas, avec la chute d’une falaise à la fin du XIXe s. Un trésor de 300 pièces de monnaie du IVe s. avait alors surgi de terre. D’autres trouvailles sporadiques ont ensuite été faites en 1901 et 1940, mais c’est seulement en 1986 que la villa fut repérée. Elle a fait l’objet de fouilles de sauvetage intensives depuis l’été dernier.
Un travail qui est aujourd’hui parvenu à son terme sans ralentir l’extension prévue du quartier d’habitation. Sur ces parcelles au riche passé archéologique, les ruines seront ainsi détruites petit à petit, sauf peut-être la salle souterraine pour laquelle une procédure est en cours. «La collaboration avec la commune a été exemplaire», relève Claus Wolf.
Le village sarinois abrite enfin deux nécropoles, l’une romaine trouvée en 1991, là où est édifié le bâtiment communal, l’autre datant du Haut Moyen Age (170 tombes), dénichée en juin dernier. Pas de doute: Arconciel est avec Vallon un haut lieu de l’archéologie fribourgeoise et ses ruines figurent au nombre des villas gallo-romaines majeures du pays.


Sébastien Julan
19 avril 2003

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