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Interview mystère

«C’était un rêve de gosse»

Parler d’eux sous un autre jour: «La Gruyère» propose cet été l’interview mystère d’une dizaine de personnalités du Sud. L’occasion d’aborder tous les sujets, sauf ceux pour lesquels on les interroge habituellement. Cinquième épisode avec un homme plutôt rat des champs que rat des villes.


«La ville? Il y a des murs de chaque côté»

 

Où et quand êtes-vous né?
Je suis né à Gruyères, le 28 septembre 1951.

– Votre tout premier souvenir?
Très difficile à dire, ce sont des choses vagues… Mais je crois que mon premier vrai souvenir, c’est la foudre qui est tombée sur le donjon du château de Gruyères. J’étais vraiment très petit et on était super bien placés pour voir les orages qui arrivaient sur la Haute-Gruyère.

– Quand avez-vous su avec certitude ce que vous vouliez faire de votre vie?
Quand j’étais gosse, c’était un rêve. Mais je le croyais impossible, parce que je pensais que ce travail était seulement à la portée des riches. C’est seulement quand j’ai commencé mon apprentissage de sellier tapissier que j’ai su que je ferais ce que je fais.

– L’image que les gens ont de vous ressemble-t-elle à ce que vous pensez être réellement?
Aucune idée. Parfois, je suis un peu étonné, je trouve que les gens exagèrent. Dans le fond, j’ai l’impression que je suis vraiment comme le commun des mortels. Je suis un homme comme un autre. Le job que je fais, je le considère comme un métier normal.

– Un défaut reproché et qui est malheureusement vrai?
J’ai un grand défaut que j’essaie de corriger: je suis souvent en retard. Et ce n’est pas sympa vis-à-vis de ceux avec qui j’ai rendez-vous. Des fois, je trouve que les gens sont d’une tolérance inouïe avec moi. Ils devraient m’engueuler plus souvent, ils m’aideraient à changer un peu. Même avec la meilleure volonté du monde, j’oublie des choses. Si j’ai un rendez-vous à cinq heures du soir, j’ai beau l’avoir noté dans mon calepin, je peux partir à quatre heures et demie pour une petite virée, en l’oubliant complètement. Et puis, après, je suis dans tous mes états…

– Quel est le travail le plus étrange que vous ayez réalisé jusqu’à maintenant?
Les trucs les plus abracadabrants que j’ai effectués dans ma vie, c’est à l’armée. C’est là que l’on fait les choses les plus incroyablement – comment dire ça? – inutiles.

– Vous êtes une personne plutôt nature: qu’est-ce qui vous gêne en ville?
Il y a des murs de chaque côté… La ville, c’est fermé. On aperçoit juste des bouts de nuages et de ciel quand on dresse la tête. La nuit, les étoiles disparaissent dans la lumière. La pauvre lune parvient à peine à se faire remarquer entre deux immeubles. Et la ville a vraiment pris des allures tragiques. La voiture est devenue la reine et je pense qu’on va se planter avec elle. Mais, en même temps, il existe des villes extraordinaires. Une des plus jolies que j’aie vues jusqu’à présent, c’est Fribourg. La vieille ville est d’une beauté… Et si on va à Paris, il y a de tels trésors! Donc, bien sûr, tout n’est pas négatif.

– Un combat que vous avez abandonné?
Celui de la protection de la nature. Il y a vingt ou trente ans, j’étais un fieffé optimiste, mais aujourd’hui… L’humanité est en train de faire un choix et il se fait dans une inculture totale de la nature. Politiques en tête! Dans les parlements, les seuls à être plus ou moins proches de la nature, ce sont des chasseurs. Donc, là, on est foutus. Ils ont une vision tellement unilatérale de la nature! Quant aux autres, leur contact avec la nature se résume à la promenade dominicale avec le chien. L’avenir de la Suisse? Un immense centre industriel avec des grands magasins.

– Alors, l’homme: parasite ou sommet de l’évolution?
Dans son sermon, un curé a dit un jour: «Remercions le Seigneur d’avoir fait de l’homme le couronnement de l’univers.» Eh bien, à ce curé, je lui montre un verre d’eau, et je lui pose la question: «Que serait le couronnement de l’univers sans ça?» C’est clair que, sur la Terre, l’eau est dix fois plus utile que l’homme. Et se placer au sommet alors que nous ne sommes qu’une boule microscopique perdue dans l’univers infini…

– La dernière fois que vous vous êtes senti ridicule?
Oh! je me sens souvent ridicule! Et toujours plus, parce que j’ai l’impression que les choses vont de plus en plus vite. Je me trouve parfaitement à ma place en fonction de ce que je vis et de ce que je fais, mais par rapport au reste, à ce monde qui va vite, vite, vite… Je me sens complètement en décalage.

– Si vous rencontriez Dieu, qu’aimeriez-vous qu’il vous dise?
J’aimerais qu’il me donne une réponse par rapport à la souffrance. Parce qu’elle est inhérente au monde depuis la nuit des temps. Les dinosaures ont souffert, les premières amibes qui sont arrivées dans l’eau, sur cette Terre, ont souffert. Si je rencontrais Dieu, j’aimerais lui demander la raison de tout ça et pourquoi le prix à payer est si exorbitant. Mais, par contre, ce que nous ne savons peut-être pas toujours voir, c’est qu’à côté de cela la beauté du monde est vraiment incommensurable. Et que chaque seconde de vie est un miracle.

Vos mains sont-elles le reflet de votre personnalité? En tout cas, j’ai de l’admiration pour les mains en général. C’est le plus bel outil qui existe. On peut tout faire avec: jouer du piano, fabriquer des cercueils comme des berceaux, peindre… Si l’homme les utilise pour faire le bien, il devient admirable.

Si vous pensez avoir mis un nom sur notre personnage mystère, envoyez-nous votre réponse à redaction@lagruyere.ch

 

Du tac au tac
Un livre. Dersou Ouzala, de Vladimir Arseniev. C’est l’histoire vraie d’un chasseur sibérien. Mais un véritable chasseur: il le faisait le ventre vide, lui.
Un film. La grande vadrouille. Je n’ai pas une énorme culture cinématographique, et j’aime bien aller au cinéma pour rire. La vie nous donne tellement de raisons de ne pas le faire…
Une star. C’est un monde qui ne m’intéresse pas trop, mais je dirais quand même Johnny. Même si je n’ai aucun disque de lui. Il a une gueule incroyable et il tient drôlement le coup!
Une musique. La Moldau, de Smetana. Ça me transporte.
Un objet de la vie moderne qu’il ne possède pas. Un ordinateur.
Sur sa table de nuit. Dersou Ouzala. Et aussi un autre livre, mais ça, c’est mon secret.
Son épitaphe souhaitée. Aucune, je ne veux pas de tombe. J’aimerais bien être brûlé et que mes cendres soient dispersées sous un arbre, par exemple. Et surtout pas de fleurs, pas de tombe, rien du tout. J’aimerais mourir comme un vrai païen.
Son juron préféré. Merde alors! Et parfois, zut!…
Une expression à laquelle il est allergique. Il y a quelques années, les hommes politiques utilisaient le terme «pragmatisme» à tout va. Leur nouvelle découverte, c’est «cela étant dit».
La mort, pour lui. C’est arrivé à bien trop de monde pour que ce soit quelque chose de mauvais. Et puis, dans le fond, la mort est la seule véritable justice connue actuellement: personne n’y échappe, le puissant comme le misérable.
Sa saison préférée. L’hiver, à cause du silence retrouvé.

Mystère élucidé
Harold Mrazek

Dans notre édition de mardi, la silhouette qui se découpait devant une fenêtre était celle du basketteur Harold Mrazek. Installé à Bulle, il a retrouvé Fribourg Olympic après plusieurs années passées dans le championnat de France. Trente lecteurs nous ont fait parvenir la bonne réponse.

 

Alexandre Brodard
29 juillet 2006

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