ENVIRONNEMENT Dangers naturels

Le permafrost en cause

Chutes de pierre et éboulements semblent se multiplier en cette période de canicule. Sensible au problème, l’Office fédéral de l’environnement a dressé un aperçu de l’évolution du permafrost. Sa fonte, due au réchauffement planétaire, pourrait entraîner une augmentation des événements naturels. Le point avec le géologue fribourgeois Hugo Raetzo.


Depuis mercredi, l’accès italien au Cervin a été fermé aux alpinistes à la suite de plusieurs éboulements. Ces derniers sont vraisemblablement liés à la chaleur et à la fonte du permafrost

 

Accès italien au Cervin interdit depuis mercredi en raison de chutes de pierres, deux millions de m3 de roche qui menacent de s’effondrer dans la face est de l’Eiger, le col du Gothard bloqué des semaines après un éboulement qui a coûté la vie à deux touristes allemands… La liste des événements liés à la nature ne cesse de s’allonger ces dernières semaines. Hier, l’Office fédéral de l’environnement (OFEN) a annoncé la mise à disposition des cantons d’une carte indicative dressant un aperçu de l’évolution du permafrost – terme qui désigne un sous-sol gelé en permanence.
Le point avec le Dr Hugo Raetzo. Après avoir réalisé une thèse sur le cas du glissement de Falli Hölli à l’Université de Fribourg, ce géologue de St-Antoine travaille à la section risque géologique au sein de l’OFEN, en tant que spécialiste des glissements de terrain et des éboulements.

– Les chutes de pierre et les éboulements semblent se multiplier ces dernières semaines. Existe-t-il un lien avec les chaleurs inhabituelles que nous subissons depuis plus d’un mois?
Hugo Raetzo: Tous ces événements ne peuvent être liés au réchauffement climatique. Certains sont certainement dus à la chaleur que nous avons cet été, mais beaucoup de processus se préparent et se déroulent sur le long terme. Et on ne sait jamais, pour une grande masse, quand a eu lieu le facteur déclenchant. Par exemple, à Gurtnellen, sur la route du Gothard, l’instabilité du rocher qu’on a dû faire sauter n’a aucun lien avec la fonte du permafrost. La zone se situe à une altitude de 1600 mètres, soit en dessous de la limite du permafrost. Des événements de ce type sont statistiquement imprévisibles. D’autant qu’ils sont encore mal compris, notamment au niveau physique. On ne sait pas vraiment comment réagit la roche lors de températures élevées, ni quel est le rôle de la pression de l’eau dans les fractures. Par contre, les événements de cette semaine au Cervin et d’autres survenus en 2003 peuvent être clairement liés à la chaleur et à ses conséquences sur le permafrost. Mais tout n’est pas lié à ces deux éléments.

– On a quand même l’impression que ces événements sont plus fréquents et plus nombreux qu’au cours du siècle passé et des précédents…
La statistique est difficile à établir. Dans la zone du permafrost, les événements ont été plus nombreux en 2003, on l’a constaté. Mais les anciens événements de chutes de pierre et d’éboulements ne sont pas bien documentés et répertoriés. Difficile dans ces conditions de parler de record ou d’augmentation.

– Doit-on craindre que ce genre de phénomènes surviennent de plus en plus fréquemment?
Avec le réchauffement, le trend est à l’augmentation. Mais peut-être ne sera-t-il pas aussi marqué qu’on pourrait le craindre. Les zones de permafrost se situent dans les Alpes, où il n’y a pas un grand risque. Souvent, les villages et les infrastructures sont en dehors des zones d’atteinte. Pas de scénarios alarmistes donc, même s’il existe un danger pour les gens qui se baladent dans les montagnes, au-dessus de 2000 ou 2500 mètres.

– Et pour les mois à venir?
Si la météo continue sur la même voie au mois d’août, il est possible qu’on se refasse une année avec beaucoup d’événements. Le mois de juillet a peut-être préparé des choses qui vont tomber dans les semaines, les mois ou les années à venir. La déformation dans certains types de roche peut durer des dizaines d’années. Généralement, on ne sait pas quand les masses vont tomber, à moins d’effectuer des mesures détaillées qui montrent un développement clair, comme une accélération.

– Les mouvements des montagnes sont-ils surveillés de manière systématique?
Tout dépend d’où se situent les zones sensibles. Les sites ne sont surveillés que si un événement peut mettre en danger des vies humaines ou des infrastructures importantes. GPS, point géodésique, scanner à radar, scanner à laser, extensiomètre… Les possibilités de surveillance sont nombreuses. Elles sont donc adaptées au site en question, mais beaucoup ne sont pas instrumentés en raison des coûts. Nous sommes actuellement en train d’évaluer quelles méthodes pourraient être utilisées pour surveiller d’une manière générale les secteurs critiques. La surveillance par satellite pourrait jouer un rôle à l’avenir dans les hautes Alpes, là où la végétation est absente. Mais nous n’en sommes qu’au projet pilote.

– La fonte des glaciers, également liée au réchauffement planétaire, joue-t-elle aussi un rôle dans l’instabilité des montagnes?
L’Eiger bouge maintenant parce que le front du Untergrindelwaldgletscher est en train de se retirer, laissant du vide et de l’espace à la roche. La montagne bouge actuellement de plusieurs décimètres par jour. Ce qui est assez extraordinaire. La réaction est très rapide, très directe. Probablement due à la fonte de ces dernières années. Par contre, à Gurtnellen, les éboulements étaient actifs sur un plan de fracturation orienté vers la vallée, clairement lié au retrait glaciaire d’il y a 11000 ans. C’est intéressant de voir ces différences de réactions. Mais il faut se rendre compte qu’à l’échelle géologique, une réaction qui prend 100 ans pour se réaliser, reste une réaction rapide.

– Les Préalpes sont-elles concernées par la fonte du permafrost?
Le permafrost est présent dans quelques petits endroits cachés dans des creux. Mais d’une manière générale, le canton de Fribourg et ses Préalpes se situent à une altitude trop basse pour être concernés. En revanche, et on l’a vu l’été dernier, elles peuvent être touchées par des précipitations importantes, avec les conséquences qu’on connaît. Et, avec les chaleurs qu’on a en ce moment, quand il y a beaucoup d’humidité dans l’air, l’intensité des précipitations et des orages est plus forte.

Propos recueillis par
Sophie Roulin

 

Sophie Roulin
29 juillet 2006

Une I Editorial I Gruyere I Veveyse/Glâne I Fribourg

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