GLÂNE Licenciements chez Tetra Pak

Romont accuse le coup

Jeudi matin, la ville de Romont était comme anesthésiée par la fraîche nouvelle de la veille: la suppression de 131 postes de travail chez Tetra Pak. Réactions à l’heure du café et de la lecture des journaux, entre effarement, prise de conscience des effets pervers de la mondialisation et scepticisme vis-à-vis des mesures annoncées par les pouvoirs publics.


L’onde de choc ne s’arrête pas au périmètre de l’entreprise. Toute la région est consternée par la suppression de ces 131 emplois

 

Il est huit heures, Romont s’éveille. Déserte, la ville est comme anesthésiée par le coup de massue asséné la veille: la nouvelle de la suppression, chez Tetra Pak, de 131 postes de travail sur 241. Jeudi matin, les commentaires allaient bon train dans les cafés. Les mines étaient graves. On n’entendait que le bruissement des pages des journaux. Chacun ou presque, à Romont, dans la Glâne, en Gruyère, en Veveyse et ailleurs, a un parent, un ami, un voisin ou une connaissance qui travaille dans la multinationale suédoise.
L’annonce des mesures que l’Etat et ses partenaires ont promis d’engager pour redynamiser la Glâne et favoriser la réoccupation des locaux qui seront désertés dans l’usine de Romont les laisse sceptiques. Personne ne croit au lapin sorti du chapeau du magicien… Le phénomène de la délocalisation et de la mondialisation est devenu une réalité implacable. Une sorte d’épée de Damoclès sur la tête de bien des travailleurs.
On s’en inquiète d’autant plus que «la Chine pose ses grandes pattes partout», s’énerve un interlocuteur. Chacun a compris qu’il y a désormais non plus quatre, mais cinq pouvoirs: il faut dorénavant compter avec l’économie, qui a ses propres règles du jeu dans le cadre que lui impartit la législation. «Tetra Pak a annoncé un plan social et un plan de retraite anticipée. Mais ça ne change rien au fait que c’est une multinationale qui marche bien. La réalité, c’est qu’elle veut gagner plus», dit Héribert Kolly, de la commission d’entreprise Tetra Pak.
«Ça couvait sous le manteau», dit Francis Mauron. Architecte retraité au franc-parler affirmé, il qualifie la décision de Tetra Pak de «vacherie». «Cette histoire a eu du plomb dans l’aile dès que le siège social de Tetra Pak s’est déplacé à Pully (VD). Romont est zone sinistrée. Les employés licenciés ne retrouveront pas de sitôt du boulot. Pour moi, il est plus que probable que l’entreprise va finir par liquider le site», estime-t-il en prévoyant un «deuxième voyage dans deux ans».
«Comme Calida!» Une dame d’Orsonnens, qui s’est jointe à la tablée, se souvient de Calida, ex-fleuron romontois qui, il y a quelques lustres, s’était délocalisé «en Hongrie pour la production et en Inde pour sa comptabilité. Mais le pyjama produit dans des pays où les salariés gagnent quelques centaines d’euros par mois n’a pas baissé de prix quand il revient dans les magasins suisses. La qualité, oui!» Et cette personne de rappeler une autre affaire romontoise qui avait défrayé la chronique des années 1990: le mirifique projet de construction d’une usine de cellulose, sous le nom de Charmant AG…
«Et si les pouvoirs publics étaient indirectement fautifs?» s’interroge Yves Ayer, responsable de la Feuille fribourgeoise à Romont. «Tetra Pak importe par le train, mais exporte par la route. L’augmentation de la taxe poids lourds a dû jouer
un rôle. Les camions prennent l’autoroute à Matran ou à Vaulruz. Je me demande si, depuis le temps qu’on réclame une réelle amélioration de la route Romont-Vaulruz, l’absence de liaison autoroutière directe depuis Romont n’a pas influé sur la décision de Tetra Pak. Avec le coût des transports, cette délocalisation était logique.» Mais «le personnel de Tetra Pak a un avantage par rapport à celui du Parc automobile de l’armée», lui aussi dans la tourmente, enchaîne Jacques Ayer, frère d’Yves: «Le premier a quinze mois devant lui pour essayer de se retourner, le second ne sait toujours pas où il en est.» Et les Ayer de s’inquiéter, aussi, des retombées de la décision de Tetra Pak sur la place de Romont, des commerçants étant des fournisseurs du géant suédois.
«On n’est sûr de rien». D’après l’écrivain et historien Jean-François Rouiller, qui a travaillé six ans chez Tetra Pak dans les années 1980-1990, des employés disaient il y a déjà une bonne dizaine d’années, que l’entreprise ne pourrait pas survivre à plein régime… «Ceux qui arrivent aujourd’hui à la retraite doivent être soulagés! Pour bien d’autres, ça fait peur». Car s’ils ont des titres professionnels – lamineurs, imprimeurs, opérateurs, etc. – ils ne sont pas pour autant au bénéfice d’un CFC officiel dans leurs branches de spécialisation chez Tetra Pak. Retrouver du travail pourrait donc être difficile.
«Une catastrophe pour la Glâne!» décrète Conrad Brodard, aubergiste du Lion d’Or à Romont. «Comme maison suédoise, Tetra Pak dispose à Romont d’une usine pi-lote. Beaucoup d’étrangers viennent la visiter». High tech in the green, comme on dit: haute technologie dans la verdure… «Pour l’hôtellerie-restauration romontoise, c’est une clientèle importante qui va peut-être disparaître. Le choc est d’autant plus fort que rien n’a transpiré: la décision de Tetra Pak est une surprise totale.» Et Conrad Brodard de se montrer sceptique face aux mesures que pourraient prendre l’Etat et ses partenaires pour aider la Glâne: «On a vécu des restructurations pour l’hôpital, la police. Après, il y a eu le PAA. Aujourd’hui, Tetra Pak…»

 

«On se pose plein de questions»

Agé de 44 ans, Héribert Kolly, membre de la commission d’entreprise de Tetra Pak, a vingt-deux ans de maison. «De formation, je suis boulanger pâtissier. En septembre, j’ai commencé une formation d’opérateur sur machine automatisée chez Tetra Pak», relève-t-il avec dérision. «Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise? Comment prendre la nouvelle? Je vais faire quoi? Moralement, je me pose plein de questions. Je ne suis pas allé
travailler hier. On verra demain!» dit ce père de famille. «Ceux qui n’ont jamais été confrontés à une tuile pareille ne peuvent pas comprendre. On ne peut rien faire. Sinon se dire qu’on a un salaire garanti jusqu’à fin 2006 et quinze mois pour retrouver du boulot.»
Une réunion de la commission d’entreprise était prévue hier, pour traiter de points internes. Héribert Kolly a été informé de l’intention du syndicat Unia de convoquer une séance avec le personnel de Tetra Pak. Armand Jaquier, le responsable régional d’Unia-Fribourg,
parlait d’agender cette rencontre mardi ou mercredi prochain. Pour autant que le personnel le souhaite… Pour l’heure, «le syndicat n’a reçu aucune demande», a déclaré Armand Jaquier à l’ATS (Agence télégraphique suisse), dans un communiqué daté de jeudi. Le syndicaliste reste néanmoins persuadé «qu’il existe une marge de manœuvre pour les employés. Conformément aux dispositions de la loi sur la participation en cas de licenciement collectif, les collaborateurs ont été consultés et ont jusqu’au
2 novembre pour faire des propositions. Normalement, ces dernières pourraient aboutir à une reconsidération de la décision de fermeture partielle».
Héribert Kolly se montre plus que réservé: «Pour moi, c’est de l’utopie, on rêve!» Quoiqu’il en soit, la production a repris chez Tetra Pak, jeudi à midi. Le personnel a eu 24 heures pour encaisser le coup. Selon Jacqueline Bugnon, porte-parole de l’entreprise, «le travail a repris sans grogne contre le management local, qui n’est pas preneur de la décision. Le directeur de la production, Serge Ramuz, lui-même licencié, est allé à la rencontre du personnel.» Personnel peu désireux de faire des déclarations à la presse, par ailleurs. Non qu’il ait reçu des consignes de la direction, dit Héribert Kolly. Mais parce que les gens sont choqués.

Les autorités en soutien
La Direction de l’économie et de l’emploi veut soutenir les 131 collaborateurs de Tetra Pak qui perdront leur emploi à la fin 2006. Comment? D’abord en organisant prochainement des séances d’information pour le personnel concerné. Mises sur pied par le Service public de l’emploi, ces séances permettront de simplifier les démarches administratives en vue d’une inscription au chômage, indique la Direction dans un communiqué.
Dès 2006, en accord avec la direction de l’entreprise, une cellule de placement sera créée à Tetra Pak. Cette structure facilitera les recherches d’emploi des collaborateurs. Des bilans professionnels, des cours spécifiques en vue d’améliorer l’aptitude au placement, ainsi que des techniques de recherche de travail seront organisés au sein de cette cellule. Celle-ci fonctionnera tant que son besoin s’en fera sentir.
La Direction de l’économie, en collaboration avec le préfet de la Glâne, la Région Glâne-Veveyse, les autorités communales et les milieux des entreprises, déterminera une vision économique et une politique régionale pour le district. Le conseiller d’Etat Michel Pittet «souhaite en effet qu’au-delà des mesures immédiates et nécessaires, cette politique contribue encore davantage au développement économique et social du district», poursuit le communiqué. Enfin, la Promotion économique du canton, avec Tetra Pak, déterminera l’affectation future des locaux qui seront disponibles.
Cette stratégie a été élaborée après réunion, hier matin, de Michel Pittet, du préfet de la Glâne Jean-Claude Cornu, du syndic de Romont Jean-Dominique Sulmoni, de l’économiste de la Région Glâne-Veveyse Véronique Schmoutz, et des organes de l’Etat concernés.

 


Marie-Paule Angel
15 octobre 2005

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