Il
est huit heures, Romont séveille. Déserte, la ville
est comme anesthésiée par le coup de massue asséné
la veille: la nouvelle de la suppression, chez Tetra Pak, de 131 postes
de travail sur 241. Jeudi matin, les commentaires allaient bon train
dans les cafés. Les mines étaient graves. On nentendait
que le bruissement des pages des journaux. Chacun ou presque, à
Romont, dans la Glâne, en Gruyère, en Veveyse et ailleurs,
a un parent, un ami, un voisin ou une connaissance qui travaille dans
la multinationale suédoise.
Lannonce des mesures que lEtat et ses partenaires ont promis
dengager pour redynamiser la Glâne et favoriser la réoccupation
des locaux qui seront désertés dans lusine de Romont
les laisse sceptiques. Personne ne croit au lapin sorti du chapeau du
magicien
Le phénomène de la délocalisation
et de la mondialisation est devenu une réalité implacable.
Une sorte dépée de Damoclès sur la tête
de bien des travailleurs.
On sen inquiète dautant plus que «la Chine
pose ses grandes pattes partout», sénerve un interlocuteur.
Chacun a compris quil y a désormais non plus quatre, mais
cinq pouvoirs: il faut dorénavant compter avec léconomie,
qui a ses propres règles du jeu dans le cadre que lui impartit
la législation. «Tetra Pak a annoncé un plan social
et un plan de retraite anticipée. Mais ça ne change rien
au fait que cest une multinationale qui marche bien. La réalité,
cest quelle veut gagner plus», dit Héribert
Kolly, de la commission dentreprise Tetra Pak.
«Ça couvait sous le manteau», dit Francis Mauron.
Architecte retraité au franc-parler affirmé, il qualifie
la décision de Tetra Pak de «vacherie». «Cette
histoire a eu du plomb dans laile dès que le siège
social de Tetra Pak sest déplacé à Pully
(VD). Romont est zone sinistrée. Les employés licenciés
ne retrouveront pas de sitôt du boulot. Pour moi, il est plus
que probable que lentreprise va finir par liquider le site»,
estime-t-il en prévoyant un «deuxième voyage dans
deux ans».
«Comme Calida!» Une dame dOrsonnens, qui sest
jointe à la tablée, se souvient de Calida, ex-fleuron
romontois qui, il y a quelques lustres, sétait délocalisé
«en Hongrie pour la production et en Inde pour sa comptabilité.
Mais le pyjama produit dans des pays où les salariés gagnent
quelques centaines deuros par mois na pas baissé
de prix quand il revient dans les magasins suisses. La qualité,
oui!» Et cette personne de rappeler une autre affaire romontoise
qui avait défrayé la chronique des années 1990:
le mirifique projet de construction dune usine de cellulose, sous
le nom de Charmant AG
«Et si les pouvoirs publics étaient indirectement fautifs?»
sinterroge Yves Ayer, responsable de la Feuille fribourgeoise
à Romont. «Tetra Pak importe par le train, mais exporte
par la route. Laugmentation de la taxe poids lourds a dû
jouer
un rôle. Les camions prennent lautoroute à Matran
ou à Vaulruz. Je me demande si, depuis le temps quon réclame
une réelle amélioration de la route Romont-Vaulruz, labsence
de liaison autoroutière directe depuis Romont na pas influé
sur la décision de Tetra Pak. Avec le coût des transports,
cette délocalisation était logique.» Mais «le
personnel de Tetra Pak a un avantage par rapport à celui du Parc
automobile de larmée», lui aussi dans la tourmente,
enchaîne Jacques Ayer, frère dYves: «Le premier
a quinze mois devant lui pour essayer de se retourner, le second ne
sait toujours pas où il en est.» Et les Ayer de sinquiéter,
aussi, des retombées de la décision de Tetra Pak sur la
place de Romont, des commerçants étant des fournisseurs
du géant suédois.
«On nest sûr de rien». Daprès lécrivain
et historien Jean-François Rouiller, qui a travaillé six
ans chez Tetra Pak dans les années 1980-1990, des employés
disaient il y a déjà une bonne dizaine dannées,
que lentreprise ne pourrait pas survivre à plein régime
«Ceux qui arrivent aujourdhui à la retraite doivent
être soulagés! Pour bien dautres, ça fait
peur». Car sils ont des titres professionnels lamineurs,
imprimeurs, opérateurs, etc. ils ne sont pas pour autant
au bénéfice dun CFC officiel dans leurs branches
de spécialisation chez Tetra Pak. Retrouver du travail pourrait
donc être difficile.
«Une catastrophe pour la Glâne!» décrète
Conrad Brodard, aubergiste du Lion dOr à Romont. «Comme
maison suédoise, Tetra Pak dispose à Romont dune
usine pi-lote. Beaucoup détrangers viennent la visiter».
High tech in the green, comme on dit: haute technologie dans la verdure
«Pour lhôtellerie-restauration romontoise, cest
une clientèle importante qui va peut-être disparaître.
Le choc est dautant plus fort que rien na transpiré:
la décision de Tetra Pak est une surprise totale.» Et Conrad
Brodard de se montrer sceptique face aux mesures que pourraient prendre
lEtat et ses partenaires pour aider la Glâne: «On
a vécu des restructurations pour lhôpital, la police.
Après, il y a eu le PAA. Aujourdhui, Tetra Pak
»
«On
se pose plein de questions»
Agé de 44
ans, Héribert Kolly, membre de la commission dentreprise
de Tetra Pak, a vingt-deux ans de maison. «De formation, je suis
boulanger pâtissier. En septembre, jai commencé une
formation dopérateur sur machine automatisée chez
Tetra Pak», relève-t-il avec dérision. «Quest-ce
que vous voulez que je vous dise? Comment prendre la nouvelle? Je vais
faire quoi? Moralement, je me pose plein de questions. Je ne suis pas
allé
travailler hier. On verra demain!» dit ce père de famille.
«Ceux qui nont jamais été confrontés
à une tuile pareille ne peuvent pas comprendre. On ne peut rien
faire. Sinon se dire quon a un salaire garanti jusquà
fin 2006 et quinze mois pour retrouver du boulot.»
Une réunion de la commission dentreprise était prévue
hier, pour traiter de points internes. Héribert Kolly a été
informé de lintention du syndicat Unia de convoquer une
séance avec le personnel de Tetra Pak. Armand Jaquier, le responsable
régional dUnia-Fribourg,
parlait dagender cette rencontre mardi ou mercredi prochain. Pour
autant que le personnel le souhaite
Pour lheure, «le
syndicat na reçu aucune demande», a déclaré
Armand Jaquier à lATS (Agence télégraphique
suisse), dans un communiqué daté de jeudi. Le syndicaliste
reste néanmoins persuadé «quil existe une
marge de manuvre pour les employés. Conformément
aux dispositions de la loi sur la participation en cas de licenciement
collectif, les collaborateurs ont été consultés
et ont jusquau
2 novembre pour faire des propositions. Normalement, ces dernières
pourraient aboutir à une reconsidération de la décision
de fermeture partielle».
Héribert Kolly se montre plus que réservé: «Pour
moi, cest de lutopie, on rêve!» Quoiquil
en soit, la production a repris chez Tetra Pak, jeudi à midi.
Le personnel a eu 24 heures pour encaisser le coup. Selon Jacqueline
Bugnon, porte-parole de lentreprise, «le travail a repris
sans grogne contre le management local, qui nest pas preneur de
la décision. Le directeur de la production, Serge Ramuz, lui-même
licencié, est allé à la rencontre du personnel.»
Personnel peu désireux de faire des déclarations à
la presse, par ailleurs. Non quil ait reçu des consignes
de la direction, dit Héribert Kolly. Mais parce que les gens
sont choqués.
Les
autorités en soutien
|
La
Direction de léconomie et de lemploi veut soutenir
les 131 collaborateurs de Tetra Pak qui perdront leur emploi à
la fin 2006. Comment? Dabord en organisant prochainement
des séances dinformation pour le personnel concerné.
Mises sur pied par le Service public de lemploi, ces séances
permettront de simplifier les démarches administratives
en vue dune inscription au chômage, indique la Direction
dans un communiqué.
Dès 2006, en accord avec la direction de lentreprise,
une cellule de placement sera créée à Tetra
Pak. Cette structure facilitera les recherches demploi des
collaborateurs. Des bilans professionnels, des cours spécifiques
en vue daméliorer laptitude au placement, ainsi
que des techniques de recherche de travail seront organisés
au sein de cette cellule. Celle-ci fonctionnera tant que son besoin
sen fera sentir.
La Direction de léconomie, en collaboration avec
le préfet de la Glâne, la Région Glâne-Veveyse,
les autorités communales et les milieux des entreprises,
déterminera une vision économique et une politique
régionale pour le district. Le conseiller dEtat Michel
Pittet «souhaite en effet quau-delà des mesures
immédiates et nécessaires, cette politique contribue
encore davantage au développement économique et
social du district», poursuit le communiqué. Enfin,
la Promotion économique du canton, avec Tetra Pak, déterminera
laffectation future des locaux qui seront disponibles.
Cette stratégie a été élaborée
après réunion, hier matin, de Michel Pittet, du
préfet de la Glâne Jean-Claude Cornu, du syndic de
Romont Jean-Dominique Sulmoni, de léconomiste de
la Région Glâne-Veveyse Véronique Schmoutz,
et des organes de lEtat concernés.
|
Une
I Editorial I Veveyse/Glâne
I Fribourg I Sports
Droits
de reproduction et de diffusion réservés © La Gruyère
2003 Usage strictement personnel
|