«Cette semaine,
nous avons reçu de nouveaux casiers pour le vestiaire. Jai
vu que quelquun avait déjà inscrit le nom de Lucien
sur lun deux. Cest une petite intention qui compte.»
Pour avoir manqué quasiment une saison en 1999, Emmanuel Buchs
connaît bien ce quest en train de vivre son coéquipier
au FC Bulle Lucien Dénervaud. Blessé le 6 août dernier,
le jeune espoir gruérien ne refoulera par un terrain avant le
printemps.
La rupture du ligament croisé antérieur (LCA) représente
le cauchemar des footballeurs. Mais si, il y a trente ans, cette lésion
signifiait une fin de carrière, aujourdhui la chirurgie
et la physiothérapie permettent des retours impressionnants.
Comme celui de Tranquillo Barnetta, blessé le 9 octobre 2004
contre Israël, déjà à son meilleur niveau
en équipe de Suisse en juin dernier aux îles Féroé.
Pour comprendre les différentes phases de la rééducation
du genou, Emmanuel Buchs, Lucien Dénervaud, mais aussi le physiothérapeute
Fabrice Perret, du Centre ITS à Fribourg, et le Dr Jean-Marie
Scholler, médecin chef du département orthopédique
de lHôpital du Sud fribourgeois, expliquent leur travail.
Diagnostique
Dr Scholler: «Il faut considérer ce moment comme
un instant dramatique pour le joueur. Il était à 100%
de ses moyens et, dun coup, il ne peut plus marcher et il souffre.
Nous devons le mettre au clair sur la situation très rapidement.
Il ne sagit toutefois pas de le rassurer, car la lésion
peut être très grave.»
Lucien Dénervaud: «Sur le moment, jétais
au fond. Après ma blessure, à Malley, notre physio Fabrice
Perret mavait dit que le genou tenait bien. Il ma avoué
plus tard que ce nétait pas à lui de faire un diagnostique,
mais au médecin, qui venait le lundi soir au stade. Jétais
vraiment mal, je me demandais comment revenir à niveau. Parce
que ça marchait bien pour moi, je métais fait ma
place dans léquipe. Et là, je me blessais après
dix-sept minutes de jeu, lors du premier match de championnat. Quand
le Dr Scholler ma parlé de douze mois avant de rejouer
au foot, tout le monde sest excité autour de moi. Moi,
jai juste eu envie de partir. Ensuite, jai reçu plein
de messages de joueurs, ça ma fait du bien.»
Lopération
(un mois environ après le choc)
Dr Scholler: «Pour le genou, sil ny a pas de
lésions gravissimes comme des fragments osseux cartilagineux,
qui doivent être traités très rapidement, on va
plutôt attendre que le genou se calme avant dopérer.
Pour bien reconstituer le ligament, il faut le remplacer au moyen dune
greffe. On utilise une partie du tendon rotulien, avec une baguette
osseuse en haut et une en bas. Les morceaux dos étant dans
des tunnels damarrage. La guérison se fait os contre os
avec la fixation du nouveau ligament qui, petit à petit, va se
revasculariser. Maintenant, il y a aussi la possibilité de prendre
des allogreffes, cest à dire une greffe dun donneur
décédé. Si le tendon rotulien nest pas bon
ou déjà accidenté, par exemple.»
La mobilité
(sitôt après lopération)
Dr Scholler: «Une des principales difficultés est de
récupérer lextension complète du genou. Parfois,
une mauvaise cicatrisation peut empêcher une récupération
complète. Et si lextension narrive pas très
vite, le genou peut sankyloser. Toutefois, cela peut se régler
avec une arthroscopie.»
Lucien Dénervaud: «Dès le lendemain de lopération,
jai commencé à travailler la flexion du genou. Après
deux jours, jétais déjà à 90°,
cétait bien. Quant à lextension, je sais quelle
doit revenir très vite, sinon elle risque de ne plus revenir
du tout. Je force un peu dessus. Quand je ny arrive pas tout seul,
je demande à Fabrice de mettre du poids sur le genou. Supporter
la douleur, cela dépend des gens. Mais je sais que je dois passer
par là.»
La remusculation
(trois ou quatre semaines après)
Dr Scholler: «A partir de là, on peut aller en piscine
travailler le cardio, mais surtout pour le genou. Le vélo vient
très tôt également, dès que le blessé
parvient à faire le tour de la pédale. Sils y a
plusieurs phases de rééducation, elles se chevauchent
et se complètent.»
Lucien Dénervaud: «Jen profite également
pour muscler mon dos, car javais des problèmes dadducteurs.
Concernant ma jambe, Fabrice prend les mesures à chaque séance.
Jai besoin de connaître lévolution de la rééducation,
de savoir ce quil fait. A ce jour, jai perdu trois centimètres
de muscle au-dessus du genou. Ça fait mal de voir son mollet
et davoir limpression que ce nest pas le sien.»
Fabrice Perret: «On utilise notamment le tapis roulant.
Je corrige sa démarche pour éviter les boiteries plus
tard. Car sil tente de modifier sa démarche pour compenser
sa douleur, il risque de souffrir ailleurs. Je lui donne également
un programme individuel.»
La proprioception
(après six semaines)
Dr Scholler: «On commence cette phase très vite. Par
des exercices déquilibre, on travaille le positionnement
du membre dans lespace.»
Fabrice Perret: «Les sportifs sont très impatients.
Il faut les rassurer, leur donner des délais, leur montrer quils
font des progrès. Le physio nest pas un psy, mais souvent
ils nous font part de leurs craintes. Sils sont abattus, jessaie
de donner des exemples comme celui de Barnetta. En général,
ils aiment bien connaître ce qui se passe et apprennent leur anatomie.
Connaître son corps est une bonne chose pour la suite. Le plus
important est de les écouter et de les accompagner. Comme on
va se côtoyer pendant six mois, mieux vaut avoir un bon feeling.»
Sports dans laxe
(après six semaines), course à pied (après trois
ou quatre mois), puis jeu avec la balle (après six mois)
Dr Scholler: «Pour un sportif, recommencer à courir
est en général un grand moment. Le reste du travail continue
de se faire en parallèle. Si cela se passe bien, il peut allonger
toujours plus les foulées.»
Emmanuel Buchs: «Après cinq mois, je me souviens
que la frustration était horrible. Je pouvais courir sans aucune
douleur, javais limpression de pouvoir recommencer à
jouer. Mais le médecin ma dit que je risquais une nouvelle
rupture, quil fallait huit ou neuf mois pour que le greffon cicatrise.
Comme ma blessure était sévère, jai fait
confiance au staff médical et jai attendu.»
Retour à
la compétition (après neuf à douze mois)
Dr Scholler: «Cest une période de battement.
Le sportif doit gérer son retour de forme et sa peur. Il y a
tout un travail de reprise de confiance. Cest pour cela que lon
arrive vite aux douze mois annoncés.»
Emmanuel Buchs: «Jétais très anxieux
que mon genou ne relâche. Puis jai vu que je pouvais recevoir
un coup, et quil tenait bon. Le Dr Scholler ma dit que mon
genou opéré était maintenant plus solide que lautre,
cela ma donné confiance. Mais il ma fallu trois mois
pour oser tacler à nouveau. Aujourdhui, je ne ressens plus
aucune douleur.»
«On
passe du nous à ils»
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Pour
le Dr Jean-Marie Scholler, la rééducation peut,
de nos jours, être plus agressive. «On sest
rendu compte que les moyens de fixation de la greffe étaient
bons. Et le fait de travailler très tôt, par phénomènes
dadaptation des tissus, amène une amélioration
de la cicatrisation.»
Cela nempêche par les sportifs de vivre neuf mois
difficiles: «Jallais voir les matches, mais la frustration
était terrible, se souvient Emmanuel Buchs. Dailleurs,
javais lexcuse un peu facile pour éviter dy
aller: trop froid, trop de pluie
Dans cette situation, on
fait partie de léquipe sans en faire partie. Dailleurs,
on ne dit plus nous, mais ils
ont
gagné ou perdu.» Lucien Dénervaud vit la même
chose: «Cest dur dassister aux matches. Mais
le foot me manque trop, alors jy vais. Je peux remercier
mes coéquipiers, notre préparateur physique et notre
physio qui me motivent. Le plus pénible, cest de
ne plus toucher de ballon. Je ne lai plus fait depuis le
6 août, et je sais que je dois attendre encore cinq mois!
Dailleurs, je ne sais pas si je saurai encore. Ma plus grande
crainte, cest de ne pas pouvoir jouer du tout le 2e tour.
Et puis, jai peur de ne pas pouvoir me sortir cette blessure
de la tête. Dautant que je me suis toujours blessé
dans les moments où les choses allaient bien pour moi.
Jen veux au Vaudois qui ma blessé. Au moins,
il aurait pu avoir un mot dexcuse et maider à
sortir du terrain.»
Lattaquant a-il tendance à se plaindre beaucoup?
«En rentrant de lopération, je devais être
assez pénible à vivre. Heureusement, mon père
avait congé, il a pu soccuper de moi. Ma copine a
aussi été très sympa. Je suis à lassurance
depuis laccident, mais les journées passent relativement
vite, entre le physio (deux fois par semaine), le fitness (trois
fois) et la stimulation musculaire avec un compex (tous les jours).
En dernière année dapprentissage de menuisier,
jen profite pour réviser mes cours. De ce point de
vue là, jappréhende déjà de
devoir me relever le matin!»
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La blessure du
genou
«Le sportif doit tout reconstruire»
Médecin chef
du département dorthopédie à lHôpital
du Sud fribourgeois, le Dr Jean-Marie Scholler revient sur les blessures
du genou, qui touchent un sportif sur dix.
Dr Scholler,
quels sports sont particulièrement touchés par les lésions
du genou?
Le foot, bien sûr, et le ski, spécialement depuis lavènement
du carving. Il y a aussi le basket, le tennis, surtout quand il se pratique
sur tapis, un sol qui permet le blocage du pied avec une torsion du
corps.
Y a-t-il
plusieurs stades de gravité?
Une simple entorse du genou se guérira toute seule. Mais en sport,
il sagit presque toujours du ligament croisé antérieur
(LCA). En plus, si le genou se déboîte fortement, un fragment
de cartilage, ou un fragment osseux cartilagineux, peut se balader à
lintérieur et nécessiter une intervention immédiate.
Cela peut donc aller de lentorse bénigne à une lésion
hyper grave.
Quels
facteurs feront que la rééducation sera plus ou moins
longue?
Sur une lésion aussi classique que la rupture du LCA, la rééducation
est très schématisée. Mais entrent en jeu les nuances
individuelles comme la musculature, la souplesse et lhabileté
technique, qui feront récupérer plus vite à certains.
Le rôle
du mental est-il aussi important quen compétition?
Oui! Le sportif part de zéro, il doit tout reconstruire. Il faut
transpirer, mouiller son t-shirt, répéter les exercices
jour après jour, cest dur et fatiguant. Mais en point de
mire, il y a lambition de revenir là où on était.
Dailleurs, les périodes où la rééducation
stagne sont les plus dures. Cest là que peut intervenir
la tentation du «petit truc en plus». Cest à
dire des produits interdits comme la testostérone, les corticoïdes
ou les stimulants. Pour un athlète, la tentation nest jamais
grande quand tout va bien pour lathlète.
Quest-ce
qui différencie la rééducation dun sportif
de celle de Monsieur Tout-le-monde?
Cela dépend des personnalités. Un ingénieur qui
voudra être rétabli pour ses vacances dhiver aura
la même motivation quun sportif qui veut retourner à
la compétition. Si le travail de base reste le même, les
exigences sont supérieures chez le sportif. Il a rapidement besoin
dune mobilité excellente, de sa force et de sa masse musculaire
pour reprendre ses entraînements. Tout va être plus intensif,
parce que les buts fixés sont plus élevés en performances.
Quand à Monsieur Tout-le-monde, il a surtout besoin de son genou
pour aller se promener ou pour prendre sa voiture et aller travailler.
En suivant
un programme moins poussé, ny a-t-il pas le risque de ne
pas se remettre aussi bien?
Bien sûr. Pour quun genou aille bien, il faut une bonne
opération au départ. A partir de là, le 50% restant
de la guérison concerne le travail de lindividu lui-même.
Il y a
trente ans, ce genre de blessure signifiait une fin de carrière
La grande période de développement de la chirurgie des
ligaments croisés du genou date de la fin des années 1970.
Auparavant, on essayait de contourner la difficulté en renforçant
lautre partie du genou. Souvent, il fallait passer du sport délite
au sport de loisir.
Une
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