Directeur scientifique
du laboratoire Serolab, basé à Lausanne et Remaufens,
le docteur Michel Mpandi travaille depuis trois ans à lélaboration
dun vaccin anti-tabac. Ce chercheur dorigine congolaise,
notamment docteur en pharmacie de lUniversité de Toulouse
et docteur en immunologie de lInstitut suisse de recherche expérimentale
sur le cancer, décrit les grandes lignes et lavancée
de ce projet lancé voilà près de quinze ans.
Comment
fonctionne ce vaccin antitabac?
Michel Mpandi. Comme un vaccin traditionnel. On administre une substance
qui produit des anticorps chez le sujet, et ces anticorps réagissent
lorsque lorganisme entre à nouveau en contact avec cette
substance. La différence, cest que notre cible nest
pas un agent infectieux, mais la nicotine. Selon les connaissances actuelles,
cest elle qui est à lorigine de la dépendance.
Elle passe facilement dans le sang et atteint très rapidement
le cerveau. Là, elle stimule la libération de la dopamine,
une substance qui procure aux fumeurs une sensation de bien-être.
Le vaccin vise à neutraliser ce mécanisme.
Comment?
Il faut savoir que la nicotine nest pas perçue par notre
système immunitaire. Lastuce consiste à faire en
sorte quelle le soit, en la couplant à une protéine
reconnue, quon appelle une molécule porteuse. De cette
façon, notre organisme peut fabriquer lui-même les fameux
anticorps, qui viendront par la suite sagglomérer à
la nicotine pour former une immense molécule incapable de parvenir
au cerveau. Au final, le fumeur ne trouvera plus de plaisir à
fumer!
A qui
sadresse ce vaccin?
Essentiellement aux fumeurs endurcis. Des études ont montré
que les moyens conventionnels présentent un taux déchec
denviron 90%. Or, un vaccin a lavantage de modifier la capacité
de lorganisme lui-même à agir contre la nicotine.
Cest beaucoup plus efficace que des substances étrangères,
sans pour autant devenir une solution miracle. Et nos observations sur
les souris ont montré que les effets secondaires il y
en a forcément sont sans gravité. Théoriquement,
on pourrait aussi vacciner des non-fumeurs à titre préventif,
mais cela pose pas mal de problèmes éthiques.
Quel est
le rôle précis de Serolab dans lélaboration
de ce vaccin?
Nous sommes lun des quatre partenaires impliqués. Il y
a dabord linventeur du principe de ce vaccin, le docteur
genevois Erich Cerny, de la société Chilka Ltd. Il y a
ensuite lEcole polytechnique de Lausanne, qui a notamment dirigé
la thèse de Céline Henzelin-Nkubana, aujourdhui
collaboratrice de Serolab. Cette chercheuse a «construit»
le vaccin: elle a développé un système qui permet
dagglomérer plusieurs molécules de nicotine sur
la même substance porteuse, de façon à provoquer
la réponse la plus intense possible. Cest la spécificité
de notre vaccin par rapport à ceux conçus par nos concurrents.
Ensuite, une équipe de lInstitut de biochimie de lUniversité
de Lausanne, dirigée par le professeur Jacques Mauel, a sélectionné
la molécule porteuse parmi une bonne dizaine de candidates. Jai
participé à cette phase en tant que post-doctorant, avant
de travailler chez Serolab.
Et maintenant?
Serolab soccupe de toute la partie immunologique, par le biais
dexpérimentations sur les animaux, ceci depuis environ
huit ans. Quatre chercheurs y travaillent. On analyse la réponse
des anticorps, la concentration de produit nécessaire, les interactions
éventuelles entre les anticorps et dautres substances naturelles
du corps, etc. Serolab a une longue expérience dans ce domaine.
Quand
ce vaccin sera-t-il commercialisé?
Actuellement, nous avons terminé les tests immunologiques sur
les souris: les résultats sont concluants et nous tenons la bonne
combinaison. Nous allons nous attaquer aux essais toxicologiques sur
les gros animaux, ce qui prendra quelques semaines, puis aux tests cliniques
sur lêtre humain. La durée de cette phase très
coûteuse dépendra du financement que nous aurons (lire
ci-contre). Serolab aurait ensuite les moyens techniques de produire
ce vaccin, mais rien nest décidé sur ce plan. Ce
qui est certain, cest quil faudra encore bien cinq à
dix ans avant de trouver notre vaccin sur le marché.
Un
David, plusieurs Goliath
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«Un
futur block-buster», comprenez un produit phare: cest
le destin que le docteur genevois Erich Cerny promet à
son invention, le vaccin anti-nicotine développé
par sa société Chilka Ltd, Serolab, lEPFL
et lUniversité lausannoise. Mais le quatuor lémanique
nest pas seul sur la brèche. «Nous lavons
été durant les premières années
détude, dès 1990, explique Erich Cerny.
Mais depuis cinq ans, le sujet intéresse pas mal de multinationales
dont les moyens dépassent largement les nôtres.
Actuellement, trois sociétés, le groupe zurichois
Cytos, lAnglais Xenova et lAméricain Nabi,
ont déjà annoncé quils ont ou vont
terminer les tests cliniques de leur produit. Nous savons aussi,
par les milieux financiers, que quatre autres sociétés
privées vont commencer ces tests.»
De quoi condamner le projet développé par le quatuor?
«Ça va être la guerre, mais jai bon
espoir», estime le spécialiste en immunologie.
Motif: il détient les brevets européens et américains
qui protègent le principe dun vaccin dirigé
contre toute substance induisant une dépendance. «En
1996, la société américaine ImmuLogic,
qui fait aujourdhui partie du groupe Xenova, avait fait
recours contre le brevet européen. La bataille juridique
a été rude. Nous avons perdu en première
instance, mais finalement obtenu gain de cause. Le fait que
nous avions étudié la question bien avant les
autres a été décisif.»
Raison pour laquelle Erich Cerny entend bien attaquer en justice
Cytos, Xenova et Nabi. «Nous souhaitons que ces trois
sociétés nous achètent la licence dexploitation,
précise le chercheur. Nous avons en particulier fourni
à Cytos toute la technologie que nous avions développée,
en échange dune collaboration qui na pas
tenu ses promesses. Nous voudrions quon nous paie ce transfert
de connaissance.» Reste que la guerre sannonce là
encore plutôt rude. La société Cytos, par
exemple, confirme quelle réalise bien des tests
cliniques sur 300 fumeurs dans les hôpitaux universitaires
de Lausanne, Saint-Gall et Zurich. «Mais il sagit
dun vaccin basé sur une technologie que nous avons
développée nous-mêmes», souligne Claudine
Blaser, responsable de la communication du groupe zurichois.
Huit
millions à trouver
En attendant, la dizaine de personnes emmenées pilotées
par Erich Cerny compte poursuivre son travail. «Nous devons
réunir 8 millions de francs pour mener à bien
les tests cliniques. Il nous faut en particulier 2 millions
pour réaliser la première phase de ces tests,
destinée à prouver que notre vaccin ne porte pas
atteinte à la santé de non-fumeurs et quil
conduit effectivement à la création danticorps.
Nous avons déjà une partie des fonds nécessaires
à cette étape qui pourrait commencer dans six
mois. Deux multinationales, lune européenne et
lautre américaine, sintéressent à
ces premiers résultats et pourraient devenir nos partenaires.
Quant à la durée de la seconde phase, elle dépendra
de nos moyens financiers.»
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