FRIBOURG Opéra de Fribourg

L’éternel jeu de la vérité

C’est désormais une tradition: l’Opéra de Fribourg présente sa première le 31 décembre. Sur le coup de 19 h à l’aula de l’Uni, les spectateurs découvriront une œuvre très peu connue de Rossini, «La pietra del paragone». Entretien avec son metteur en scène.


Pour sa mise en scène, François de Carpentries a imaginé un jardin alphabétique en guise de labyrinthe de verdure

 

– Après avoir monté des opéras à travers toute l’Europe, comment êtes-vous arrivé à Fribourg?
François de Carpentries. Un peu par hasard. J’avais depuis plusieurs années le projet de monter La pietra del paragone, car je trouvais étonnant que cet opéra soit si peu joué, étant donné le succès qu’il a rencontré lors de sa création à la Scala de Milan en 1812. Il y a quelques années, je l’avais proposé à l’Opéra de Rennes, mais la programmation des saisons suivantes était déjà établie. Il y a trois ans, le directeur de l’Opéra de Fribourg, Alexandre Emery, a eu également envie de monter cet opéra. Et lors de réunions de directeurs d’opéras de la francophonie, une coproduction est née entre Rennes et Fribourg.

– Est-ce que l’histoire de «La pietra del paragone» est encore d’actualité?
Oui, notamment grâce au rôle de la marquise Clarice. C’est une femme indépendante, qui a autant d’énergie que les hommes et qui ne se laisse pas soumettre. Cette œuvre est donc atypique par rapport aux traditions de l’époque et elle va à l’encontre des clichés du XIXe: l’héroïne soumise, éplorée, plutôt victime qu’actrice de la pièce. Avec le jeu du travestissement, la marquise Clarice force le comte Asdrubale à se découvrir et à révéler ses sentiments. Ce qui sonne aujourd’hui très moderne, parce qu’il y a une égalité de statut des personnages principaux.
La vérité des sentiments, se mettre moralement à nu devant l’autre, à être assez fort pour révéler ses faiblesses à l’autre, c’est le sujet central de La pietra. On assiste à une sorte de jeu de rôle, comme ça se faisait beaucoup au XVIIIe siècle: le jeu des passions était un jeu de société. Cela est redevenu à la mode aujourd’hui avec des émissions comme Loft Story. On place des gens dans un univers clos, hors de leurs différents milieux sociaux, on invente des activités et on observe ce qui se passe. Ici, au lieu de caméras, c’est l’œil du spectateur qui regarde les tensions, pulsions, paranoïas, passions, etc.

– Quel est votre avis sur la qualité de l’œuvre?
Le livret de Luigi Romanelli est très bien écrit. C’est du Rossini très proche de Mozart, pour lequel j’ai une fascination pour l’adéquation entre le texte et la musique dans ses œuvres. Ici, on retrouve cette même qualité. Cela nourrit la mise en scène. La qualité de l’écriture permet de créer des spectacles pétillants et vivants, avec, en même temps, une certaine cruauté, un certain déchirement des âmes et des nœuds dans le cœur, et ça j’aime bien! On voit des passions humaines en action, on voit des gens furieux, torturés, déchirés. Ça se finit bien, mais on a toujours une certaine amertume qui plane.

– D’aucuns comparent cette œuvre avec le «Così fan tutte» de Mozart…
On pourrait dire que La pietra est un double Così puisqu’il y a un double déguisement. Le sujet de l’intrigue est un peu similaire: on se travestit pour éprouver la sincérité des autres personnages. Et c’est d’ailleurs de là que vient le titre: La pietra del paragone signifie la pierre de touche, cette pierre noire avec laquelle on frotte un bijou en or pour juger de la qualité du métal. On dépose un peu d’acide sur la pierre et cela permet de tester la qualité du bijou, sans l’abîmer. C’est exactement comme cela que se déroule cet opéra. Mais à la place des bijoux, on a des êtres humains et ça fait mal!

– Le fait de monter un tel spectacle dans une salle qui n’est pas conçue pour l’opéra pose-t-il des problèmes?
Il est clair qu’il y a des inconvénients, comme les dimensions de la scène – large, mais peu profonde – qui provoquent de nombreuses contraintes. Mais le fait que cela se joue dans une université est tout à fait intéressant. La pietra met en scène des personnages qui sortent de différents milieux culturels, l’œuvre traitant de littérature, de poésie, de journalisme… La salle en forme d’amphithéâtre permet également une plus grande proximité avec le public.

– Quels sont les éléments principaux qui constituent la scénographie?
Ce jeu de l’amour et du hasard se déroule dans des jardins au XVIIIe siècle. Il y avait à l’époque la tradition des labyrinthes de verdure. Comme on parle beaucoup de littérature dans cet opéra et au lieu de construire un labyrinthe avec des haies, nous avons créé un jardin alphabétique, sous forme de massifs de verdure. Ce sont en fait des lettres qui évoluent tout au long de l’action, sans que les personnages s’en rendent compte. Elles servent de tables, de chaises, de murs, et gravitent autour des protagonistes.

Fribourg, aula de l’Université, les 7, 8, 12 et 14 janvier à 19 h 30 et le 16 janvier à 17 h. Les 21 et 23 janvier au Podium de Guin (19 h 30 et 17 h), les 9 et 11 février à la salle CO2 de La Tour (20 h 30), ainsi qu’à Besançon et Rennes. Voir www.operafribourg.ch. Location: 026 350 11 00

Une œuvre peu connue

Un comte (Asdrubale) forcé de se marier et qui réunit trois candidates dans sa maison de campagne afin de s’assurer qu’elles l’aiment pour lui-même et pas pour son argent ou son pouvoir.
Il y a là une marquise, une baronne et une cantatrice. Il n’est amoureux que de la première, même s’il s’en défend. C’est la seule du reste qui éprouve des sentiments réels à son égard. Duperies, déguisements et rebondissements s’enchaînent alors…
Telle est la trame de la comédie de Rossini que l’Opéra de Fribourg présente cette année sous la direction musicale de Laurent Gendre. Créée alors qu’il n’était âgé que de 20 ans, La pietra del paragone est considérée comme la première œuvre majeure du compositeur. Malgré cela, elle est quasi inconnue. Peut-être que son côté moderne avec un personnage féminin indépendant, actif et manipulateur a pu quelque peu déranger, le public de l’époque étant plutôt habitué aux rôles de femmes soumises.
Les chefs-d’œuvre de Rossini comme Le barbier de Séville, La Cenerentola, L’Italienne à Alger et Le Turc en Italie ont certainement fait de l’ombre à ce premier succès. De plus, cette œuvre compte quatre rôles principaux. Or, il était difficile de réunir autant de monde dans le système du vedettariat des XIXe et XXe siècles.

 

Propos recueillis par
Gonzague Monney
30 décembre 2004

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