FRIBOURG Nicolas Betticher

Il abandonne la vie politique

Après avoir quitté l’organisation de la Cantonale des musiques, Nicolas Betticher a annoncé hier sa démission immédiate de ses mandats de député, de chef du groupe PDC et de président de la section PDC de la capitale. Sous le feu des critiques quant à sa double casquette, il opte pour l’Eglise et sa fonction de chancelier de l’Evêché.


Mgr Rémy Berchier et Mgr Bernard Genoud ont apporté leur soutien à Nicolas Betticher (à droite) qui a choisi l’Eglise plutôt que la politique

 

«J’annonce ma démission avec effet immédiat du Grand Conseil et de la présidence du PDC de la ville de Fribourg.» Ainsi s’achève de manière abrupte la carrière politique de Nicolas Betticher, qui reste membre du PDC. Il en a informé hier après-midi les (seuls) médias fribourgeois convoqués en toute hâte à l’Evêché, à Fribourg. «Je ne serai plus jamais candidat à des fonctions politiques», a ajouté celui qui œuvre comme chancelier de l’Evêché et que l’on voyait il y a peu encore accéder un jour à la préfecture ou au Conseil d’Etat.
Cette annonce fracassante intervient dans la foulée des remous provoqués par l’organisation de la Fête cantonale des musiques (FCM). Ce départ suit de près la démission de Nicolas Betticher, lundi, de la présidence du comité chargé de mettre sur pied cette fête en mai 2005 (notre édition de mardi).
Fidèle à lui-même et donnant le change, l’homme invoque «les nombreuses critiques» à son encontre, portant «sur son double engagement politico-ecclésial». «Ce n’est pas nouveau», mais il a tenu compte de l’«acharnement» actuel, lié à la FCM, et aux «amalgames» faits au sujet de la course au poste vacant
de chancelier d’Etat. «J’incarnerais un retour en arrière et l’envie d’actualiser un lien entre l’Eglise et l’Etat. C’est me faire beaucoup d’honneur!»
Les critiques émanent aussi de l’intérieur du diocèse, ajoute-t-il, en citant notamment les propos d’agents pastoraux qui estiment incompatibles ses activités temporelles et spirituelles. «En tant que chrétien, je ne vois pas d’incompatibilités dans mon double engagement. Mais à la longue, c’est n’est plus Nicolas Betticher qui est au centre de la polémique, mais l’Eglise. Et cela me pèse depuis de nombreux mois. La pression de ces derniers jours a été l’élément déclencheur.» Sa décision, malgré ses amis qui l’en dissuadaient, il dit ne pas l’avoir prise «dans la précipitation ni sous pression. A un moment donné, il faut prendre du recul et de la hauteur.»

Il a retiré sa candidature
Nicolas Betticher a admis par ailleurs avoir postulé pour le poste, mis au concours, de chancelier d’Etat. Mais après réflexion et un «discernement nourri, d’abord seul, puis avec Mgr Genoud», il a décidé de rester au service de l’Eglise. Hier, il a d’abord affirmé que le retrait datait de «bien avant les remous de ces derniers jours». Pressé de questions, Nicolas Betticher a fini par préciser que son choix remontait à jeudi, soit après les démissions de quatre membres du comité d’organisation de la Fête cantonale des musiques. Celles-ci sont intervenues mardi et mercredi, information relayée jeudi par la presse, soit précisément le jour où il dit avoir retiré sa candidature.
«Atteint» par l’article publié hier dans Le Temps, «blessé» par le fait que La Liberté le «traite de menteur», Nicolas Betticher ne jette pas la pierre aux médias. La presse a simplement relayé la campagne menée contre lui, analyse- t-il. A ce titre, il n’a pas tenu à commenter les propos virulents de son «camarade» au sein du groupe PDC du Parlement, Patrice Longchamp. A noter qu’André Schoenenweid est le premier des viennent-ensuite et qu’il fera, s’il l’accepte, son entrée au Grand Conseil.
Présents aux côtés de Nicolas Betticher, Mgr Bernard Genoud, évêque du diocèse, et Mgr Remy Berchier, vicaire général, ont assuré leur collaborateur de leur soutien et de leur amitié. Ils ont rendu hommage à son «dévouement inépuisable». Mgr Genoud, qui ne voit pas d’incompatibilité de la double casquette de Nicolas Betticher, s’est dit «touché et peiné par les critiques injustifiées et parfois malhonnêtes».
Agé de 43 ans, Nicolas Betticher est entré au service de l’Evêché en été 2001. Député au Grand Conseil depuis 2002, il est devenu chef du groupe PDC en janvier dernier, à la suite du départ de Dominique de Buman. Quant aux bisbilles liées à la Cantonale des musiques, elles sont apparues au grand jour il y a moins de trois semaines, à la faveur d’une assemblée extraordinaire tenue le 16 octobre à Neyruz. Les événements ont pris une tournure plus passionnée la semaine dernière.

COMMENTAIRE

Entre le trône et l’autel

La démission de Nicolas Betticher de tous ses mandats électifs ne touche pas seulement le destin d’un homme. Elle éclaire les liens complexes qu’entretiennent la politique et la religion dans une société démocratique. Car, la campagne et la polémique qui ont entraîné la chute de Nicolas Betticher trouvent peut-être une partie de leurs causes dans la personna-lité même du chancelier de l’Evêché. C’est pourtant davantage dans la double casquette religieuse et politique que se concentrent les tensions qui l’ont contraint à la démission.
Le député démocrate-chrétien n’est pas de ceux qui mettent le «c» partisan en berne. Par sa formation et sa trajectoire, il s’est forgé une image de conservateur catholique servant indifféremment le sabre et le goupillon. Cette sainte alliance fut érigée en modèle dans le Fribourg de la République chrétienne, où une carrière dans les hautes sphères de l’Etat impliquait une bénédiction religieuse. Ce modèle s’est brisé avec l’irruption du pluralisme. C’est contre une certaine incarnation de cet «ancien régime» fribourgeois que les adversaires de Nicolas Betticher se sont mobilisés.
Les flèches sont venues autant des milieux religieux – la semaine dernière encore, les agents pastoraux vaudois en décochaient de solides contre leur chancelier – que du PDC même, où le chef du groupe n’était pas en odeur de sainteté au sein des réformateurs. L’«affaire Betticher» éclaire la profonde division d’un parti incapable de se regénérer, constamment tiraillé entre ses différentes ailes.
Mais plus généralement, cette affaire pose la question de l’engagement religieux en politique. Jusqu’où des convictions religieuses peuvent-elles être exprimées dans le débat politique? La foi est-elle désormais incompatible avec un engagement civique? Le commissaire européen Buttiglione eut beau s’engager à ne pas mélanger foi personnelle et responsabilités publiques, il a été contraint de se retirer après avoir exprimé des convictions homophobes et misogynes. La comparaison est extrême mais elle n’est pas étrangère à la situation de Nicolas Betticher auquel est d’abord reprochée cette fréquentation du trône et de l’autel.
Au-delà de la personnalité, contestée, de Nicolas Betticher, la question mérite débat. Notamment au sein d’un PDC qui peine à clairement définir le sens qu’il attribue à la troisième lettre de son sigle dans une société sécularisée. Patrice Borcard

 

 

Sébastien Julan
4 novembre 2004

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