BUSINESS Marco Trabucchi, agent dans le football

Shevchenko a ouvert la porte

Depuis trois ans, Marco Trabucchi partage sa vie entre le domicile familial de Matran, Milan, Moscou et Londres. Sa profession? Agent de joueurs de football en partie et intermédiaire entre les agents et les clubs surtout. Une trajectoire de vie que le Fribourgeois doit pour beaucoup à sa rencontre avec Andrei Shevchenko, attaquant vedette de l’AC Milan.


Dans le métier, Marco Trabucchi (au centre) peut côtoyer du beau monde, comme le hockeyeur Alexei Yashin (New York Islanders, ici avec son amie, une actrice américaine) et le footballeur Andrei Shevchenko

 

Il mène une vie de gens du voyage, à cette différence qu’il porte une cravate. Depuis trois ans, Marco Trabucchi travaille dans les coulisses du football professionnel. Agent de joueurs en partie et intermédiaire entre agents et clubs surtout, le Fribourgeois quitte souvent son domicile de Matran pour Milan – «La plaque tournante du football italien» – Moscou ou encore Londres.
Vivre du ballon rond à 31 ans, Marco Trabucchi le doit surtout à Andrei Shevchenko, la star ukrainienne. «Je l’ai rencontré en 1999, quand il a rejoint l’AC Milan, et nous nous sommes liés d’amitié.» A l’époque, l’Italo-Russe – son père est Italien et sa mère Russe – étudiait l’économie dans la cité lombarde, tout en fourbissant ses armes dans le sport professionnel. «Je m’occupais de joueurs de hockey russes qui venaient évoluer en Europe», expose-t-il. Cette année-là, Marco Trabucchi avait permis à Alexei Yashin – joueur russe de NHL alors en conflit salarial avec les Senators d’Ottawa – de venir parfaire sa forme avec Milan, après un passage par Kloten. C’est à cette occasion que le Fribourgeois avait fait la connaissance d’Andrei Shevchenko, grand passionné de hockey. «Andrei m’a alors introduit dans le milieu du football et m’a ouvert des portes. Quand j’ai vu que j’avais de l’intérêt pour ce sport et surtout les moyens de m’y imposer, je me suis décidé à prendre une licence d’agent de joueurs.»
Actuellement, Marco Trabucchi investit avec un associé sur des jeunes joueurs de talent – principalement des Italiens, des Russes, des Ukrainiens et des Anglais – dans l’espoir de les placer dans des grands clubs d’ici deux ou trois ans. Pour le reste – son activité principale – il met en relation agents de joueurs et clubs italiens, russes ou anglais. Le Fribourgeois nous livre les facettes du métier.

– Comment devient-on agent de joueurs de football?
Il faut d’abord passer un examen auprès de l’association nationale du pays de résidence. L’obtention de la licence donne ensuite le droit de travailler en tant qu’agent. Mais là, seule la possibilité d’exercer cette profession est donnée. Le plus difficile, c’est le reste, à savoir de réussir à s’introduire dans un milieu qui est très fermé.

– Pourquoi est-ce difficile de faire son nid dans le football?
Tout le monde ou presque peut devenir agent. Mais passer à l’acte pratique est une autre histoire. Les agents ne manquent pas et certains sont là depuis longtemps. Or, les clubs font souvent confiance aux mêmes personnes en matière de transferts.

– Quelles sont les qualités d’un bon agent?
Il faut être un bon médiateur entre les desiderata des joueurs et ceux des clubs. Pour être bien introduit auprès des clubs, l’agent doit avoir une bonne réputation. Dans mon activité d’intermédiaire entre les agents et les clubs, le plus important est de pouvoir collaborer sur un bon réseau d’agents, en qui je peux avoir confiance.

– Quel rôle tient l’agent dans la carrière d’un joueur professionnel?
C’est un conseiller qui doit orienter son client de manière la plus professionnelle et la plus éthique possible. Une grande partie du travail consiste à pouvoir offrir plusieurs alternatives, afin que le joueur puisse choisir dans quel club, voire dans quel pays il souhaite évoluer.

– Les agents ont-ils des droits et des devoirs?
Un agent licencié par une association nationale est reconnu au niveau international, soit par la FIFA. Il a dès lors le droit de traiter avec les clubs du monde entier. Reste que, pour l’agent, il est surtout question de devoirs. Pour avoir un nouveau client, il faut être certain que le joueur n’est pas déjà sous contrat avec un autre agent et qu’il est en fin de contrat avec son club. A ce moment-là seulement on peut lui proposer des offres pour la saison suivante. Ensuite, une fois qu’on travaille pour un joueur, on a des devoirs non seulement envers lui, mais aussi envers le club qui l’emploie. L’agent doit chercher à savoir quels sont les projets du club concernant ce joueur et voir si le club est intéressé à le transférer. On peut parler d’un devoir de suivi.

– Et le joueur, a-t-il des devoirs envers son agent?
Il faut différencier la Suisse des autres pays. A l’étranger, lorsqu’un joueur signe un contrat avec un agent, il est lié jusqu’au terme de ce contrat, qui peut être d’une durée maximale de deux ans. En Suisse, la situation est ridicule. Le joueur peut résilier son contrat – qui est considéré comme un contrat de mandat – en tout temps, sans aucun dédommagement envers l’agent.

– Quel pourcentage du salaire des joueurs est prélevé par les agents?
Je prends en général 5%, ce qui constitue la pratique moyenne. Il n’existe pas de taux maximal, mais il faut rester raisonnable pour demeurer concurrentiel.

– Le métier d’agent a parfois mauvaise réputation. Existe-t-il une charte d’éthique?
Il en existe une, qu’il faut signer. Les agents sont parfois critiqués. Mais dans le sport professionnel, leur rôle est indispensable. A plus forte raison dans le football où, par rapport à d’autres sports collectifs, en plus de l’aspect contractuel joueur-club, il y a toute une facette liée à la complexité des transferts entre clubs. C’est un aspect qui, à défaut d’être inexistant dans d’autres sports, est en tous les cas marginal.

– Depuis 1995 et l’arrêt Bosman, on a assisté à une multiplication des transferts et à une explosion des salaires. Du coup, le nombre d’agents a considérablement augmenté. Est-ce un métier toujours en vogue?
Le problème, ce n’est pas tellement le nombre d’agents, même s’il y en a beaucoup trop par rapport au marché. Mais ceux qui sont actifs et peuvent vivre de ce métier représentent une minorité. Dans le football italien, lorsque je me rends au mercato organisé chaque été à Milan, je vois des centaines d’agents. Mais en réalité, seuls une cinquantaine d’entre eux réalisent des transferts. Ceux qui ont les joueurs, le pouvoir et les moyens de travailler sont toujours les mêmes.

 

Des partenaires partout en Europe

– A côté de votre fonction d’agent de joueur, la partie la plus importante de votre travail est de servir d’intermédiaire entre les agents et les clubs. En quoi consiste concrètement cette activité?
Je réalise des transferts pour des clubs italiens, russes et anglais. J’ai un réseau d’agents qui se chargent de trouver des joueurs susceptibles d’être transférés dans ces pays. Quand un club a besoin d’acquérir un joueur qui évolue dans telle ou telle position, il va mandater trois ou quatre agents auxquels il fait confiance et avec qui il travaille depuis quelque temps. Ensuite, chaque agent propose deux ou trois joueurs qui correspondent au profil recherché. Le club fait ensuite son choix.

– Etes-vous rattaché à des clubs en particulier?
Non, je fonctionne comme indépendant. Par contre, je collabore assidûment avec des agents de divers pays, dans toute l’Europe, en Amérique du Sud et un peu en Afrique. Je leur demande de rechercher un joueur avec telle ou telle caractéristique: âge, nationalité, qualités techniques. Par exemple, l’an passé, le club de Dynamo Kiev m’avait mandaté pour dénicher un milieu de terrain ou un attaquant. Par l’intermédiaire d’un collègue agent FIFA au Nigeria, on a envoyé un jeune Nigérian de 18 ans. Yussuf est devenu titulaire, il joue en Ligue des champions et a été l’un des meilleurs joueurs contre Rome, Bayer Leverkusen et lors du match aller à Madrid contre le Real. Kiev l’avait payé 300000 dollars. Maintenant, après des prestations qui l’ont vu annuler Totti et Zidane, le club a reçu des offres pour 3 ou 4 millions.

– Vous êtes donc sans cesse en déplacement…
Je me déplace surtout au moment de conclure les affaires, pour avoir un contact direct avec les clubs, dans les pays où je travaille le plus: Italie, Russie et Angleterre. Visionner des joueurs, cela m’arrive quelquefois, mais je préfère m’appuyer sur des personnes de confiance, plus compétentes que moi et qui peuvent me signaler tel ou tel joueur. J’ai surtout des partenariats dans des pays comme l’Argentine, le Brésil et le Nigeria. En Europe, tous les agents ont un partenaire ou l’autre dans tous les pays.

– Qui rémunère l’intermédiaire?
Le club, qui le rémunère à la commission – établie à l’avance – une fois le contrat signé. Mais il faut savoir qu’un agent réalise peut-être un transfert tous les dix ou vingt joueurs proposés.


Dîner particulier avec un dirigeant de Chelsea

Depuis trois ans qu’il fréquente le milieu du football professionnel, Marco Trabucchi a rencontré du beau monde. Il a notamment collaboré pendant deux ans avec Boris Becker, dont la société gérait l’image d’Andrei Shevchenko, attaquant vedette de l’AC Milan. «J’étais le contact de Boris Becker et l’assistant du joueur ukrainien en Italie, expose le Fribourgeois. Je m’occupais de tout ce qui concernait les relations avec la presse et la publicité.» Voilà pour l’une de ses collaborations les plus marquantes. Mais l’homme en a aussi vu des vertes et des pas mûres.
Dimitri Bulykin, ce buteur russe que la Suisse ne voulait pas. En été 2002, Dynamo Moscou se trouvait en Suisse pour un camp d’entraînement. A Morat, où le club russe disputait un match amical contre Grasshopper, un dirigeant d’un club helvétique est venu observer Dimitri Bulykin. «Au terme de la partie, il n’avait pas été convaincu par ce joueur, se souvient Marco Trabucchi. Il m’a quand même demandé de lui fournir du matériel audiovisuel montrant l’attaquant russe en action. Finalement, il m’a dit que Bulykin n’était pas un buteur et qu’il ne possédait pas les qualités recherchées.»
Quelques mois plus tard, lors d’un match de qualification pour l’Euro portugais, la Russie atomisait la Suisse à Moscou, avec trois buts de… Bulykin. «Le lendemain, le dirigeant du club suisse m’a appelé pour me manifester son intérêt pour ce joueur, se souvient le Fribourgeois. Je lui ai répondu que ce n’était plus possible, car quand un joueur brille sur la scène internationale, il faut rajouter un zéro sur le contrat!» A l’époque de cette histoire, Bulykin avait mandaté le temps d’un été Marco Trabucchi pour que celui-ci lui trouve un club en Italie. Aujourd’hui, l’attaquant russe évolue toujours au Dynamo, mais est sur le point de rejoindre… Everton.
Confusion de joueurs. Il y a un an et demi, Marco Trabucchi accompagnait un entraîneur d’un club russe en Angleterre. Celui-ci désirait visionner un joueur de Derby County lors d’un match amical contre Ajax Amsterdam. «Peu avant la rencontre, j’ai eu un contretemps et j’ai dû me rendre à Londres pour rencontrer un dirigeant de Chelsea. J’étais en train de dîner avec le responsable du club londonien lorsqu’un collègue agent m’a appelé pour me dire que le joueur dont je m’occupais n’était pas sur le terrain. En pensant à cet entraîneur qui était venu expressément de Moscou via Francfort pour l’observer, j’étais mal. Après la rencontre, je lui ai téléphoné pour m’excuser. Mais je n’ai pas eu le temps de m’expliquer qu’il me disait que mon joueur lui avait fait une très bonne impression.»
Après renseignement, Marco Trabucchi a su que le Russe avait confondu son poulain avec un autre joueur. L’entraîneur a alors invité le joueur du Fribourgeois pour un camp d’entraînement… en pensant l’avoir déjà vu jouer. «Comme j’étais sûr de la valeur de mon joueur, je n’ai rien dit à l’entraîneur russe, raconte Marco Trabucchi. D’ailleurs, il lui avait beaucoup plu, même si au final l’affaire avait capoté pour des raisons financières.» Plus tard, Marco Trabucchi apprenait que l’accueil réservé du côté de Derby County avait été des plus chaleureux. «Il avait pu s’abreuver de gin et de whisky pendant tout le match.»

 

Alain Sansonnens
4 novembre 2004

Une I Editorial I Gruyere I Veveyse/Glâne I Fribourg

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