GLÂNE Violence juvénile

Affaire de pouvoirs publics

Alerté par les Chemins de fer fédéraux à la suite de l’agression d’un mécanicien, le préfet de la Glâne entend en finir avec le groupuscule de jeunes qui hante Romont depuis deux ans. Mais pour Jean-Claude Cornu, la crise réclame une réponse politique, sur le long terme.


Familier des transports publics, le magistrat a eu l’occasion d’en découdre avec quelques jeunes perturbateurs. Et constate qu’un sentiment d’insécurité a gagné les voyageurs

– Un petit clan d’irréductibles fait régulièrement parler de lui à Romont. De qui s’agit-il?
Ils sont une quinzaine, âgés de 15 à 20 ans. Tous bien connus de la police, du juge des mineurs et du cycle d’orientation. Une poignée d’entre eux est d’origine étrangère, ce qui est normal pour un chef-lieu dont la communauté étrangère représente un tiers de la population. Mais la question des nationalités est mineure. Leur dénominateur commun réside plutôt dans l’oisiveté. Ils ne travaillent pas, ne sont pas inscrits au chômage, n’étudient pas, ne suivent aucun stage d’orientation. Ils passent leur temps à zoner. Certains parents se désintéressent de leur sort. D’autres sont totalement désemparés et impuissants.

– Ils sévissent depuis longtemps…
Oui, depuis deux ans environ. Et ils ne s’en tiennent pas aux incivilités. Ils ont à leur compte bon nombre de délits, essentiellement des dommages à la propriété. Ils frappent de manière cyclique, du côté du cycle d’orientation et du pavillon de la Condémine, et surtout du côté de la gare et dans les trains. L’animateur du centre de jeunesse s’est notamment fait démolir sa voiture. Il y a aussi eu des plaintes concernant des cas de resquille et de racket dans le train entre Fribourg et Romont. Sans parler des insultes adressées au personnel des chemins de fer et à la police locale. Et puis, il y a eu surenchère en début d’année: un mécanicien de locomotive a été agressé. Les CFF m’ont alerté et j’ai organisé une table ronde au début février, pour coordonner notre réponse.

– Un peu tard…
Pas du tout! Dès le printemps passé, une opération «Remparts» a été lancée. Un effort considérable, avec une présence très importante de la gendarmerie, destiné à cerner la problématique, à arrêter les gens, à les harceler en quelque sorte. Cela a abouti à des dénonciations, mais il a fallu des mois d’enquête. Il ne suffit pas d’avoir un soupçon: identifier les responsables d’une soixantaine de délits, commis par des groupes à géométrie variable, c’est un long processus. D’autant plus qu’avant toute condamnation, il y a toujours une tentative de conciliation. La Chambre pénale des mineurs, qui fait son maximum, a des effectifs réduits et doit traiter de cas similaires à Bulle, à Châtel, à Fribourg. Il faudrait qu’elle soit mieux dotée et qu’elle puisse traiter les dossiers des jeunes dans de meilleurs délais.

– Dans l’immédiat, quels sont vos objectifs?
Il faut d’abord des moyens de coercition plus forts, pour casser ce noyau, même si les choses se calment, même si certaines condamnations sont déjà tombées. La police ferroviaire n’a pas de pouvoir en dehors des trains. Quant à la police locale de Romont, elle ne compte que deux hommes, dont les moyens d’intervention sont restreints. A mon sens, elle peut jouer un rôle, mais avec l’appui de la Police cantonale. De plus, les transports régionaux, à charge des cantons, ne disposent ni de contrôleurs, ni de système de vidéo surveillance. Là encore, ces lacunes tiennent à des motifs économiques.
Fribourg manque aussi d’un centre de détention ou de semi-détention pour adolescents, qui puisse leur inculquer des règles sociales de base et un projet de vie. Il n’y en a aucun dans le canton, qui ne dispose que d’une dizaine de places dans des institutions vaudoises ou valaisannes. Alors que les prises en charge durent plusieurs semaines! Il faudra également avoir le courage d’incarcérer certains jeunes dans des prisons adaptées.
En attendant, un vrai travail de réseau s’impose, qui mobilisera notamment les transports publics, la commune, les polices, les inspecteurs scolaires, le centre de jeunesse. Sur alerte, la préfecture, en charge de l’ordre public, officiera comme instance de coordination.

– Vous suivez d’autres pistes, moins répressives?
Oui. On doit faire quelque chose pour encadrer les jeunes qui ne s’intéressent pas aux sociétés traditionnelles. Le Canapé électrique est une initiative structurante bienvenue. Il faudrait aussi un éducateur de rue qui parte à la rencontre des autres jeunes. Le projet est entre les mains de la commune et soulève un problème financier. J’espère qu’il va se réaliser.
On constate aussi qu’il n’y a pas d’antenne psychosociale en Glâne. Or, derrière les excès de ces jeunes, il y a parfois des traumatismes familiaux que l’on pourrait déceler plus tôt. A plus long terme, on devrait aussi songer à des écoles de jour, qui prendraient en charge les élèves sur une plus grande durée, tant au primaire qu’au secondaire. Il faut désormais tenir compte des disponibilités des parents: les familles ne fonctionneront plus comme autrefois.

– Les jeunes auront-ils leur mot à dire?
Le Cycle d’orientation a toujours eu une grande culture du dialogue avec eux, et nous continuerons à les écouter pour cerner leurs difficultés et prévenir les conflits potentiels. Prochainement, nous organiserons une conférence: pas un débat d’experts, mais des témoignages de parents et d’élèves, lesquels conduiront aussi des réflexions en classe, avec leurs professeurs. Nous réunirons également les sociétés locales pour les sensibiliser aux ravages de l’alcool.

– La Glâne pourrait-elle avoir sa propre association Stop Violence?
On ne peut qu’être d’accord avec cette initiative gruérienne. Mais je n’envisage pas d’être le moteur d’une telle association en Glâne, même si je la soutiendrais. Je suis plutôt favorable à une action institutionnelle sur le long terme. La violence est une préoccupation qui doit d’abord être celle des pouvoirs publics, de l’école, de la police, et ensuite de la société civile. Si la sécurité et l’encadrement des jeunes sont une priorité, les politiques et les députés devront se donner des moyens de mettre en place les institutions qui manquent. Il faudra faire des choix.

Propos recueillis par
Stéphane Sanchez
15 février 2003

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