L'Université
dont vous quittez le rectorat a-t-elle encore quelque chose à
voir avec celle où vous avez pris vos fonctions?
En huit ans, tout ne change pas. Le style de l'Université,
les caractéristiques fondamentales de bilinguisme, convivialité
tout cela existe encore. Mais il y a bien sûr eu passablement
de changements dans le contexte suisse. Dans le contexte fribourgeois
aussi: la Loi sur l'université a changé, nous avons revu
toute notre réglementation qui a induit une restructuration complète
de lUniversité. La restructuration européenne des
études est venue sy ajouter.
Des changements
trop nombreux?
Sur le plan suisse, on a changé le mode de financement,
dans l'idée de modifier aussi la culture des universités.
On a voulu insuffler une culture un peu plus orientée vers les
prestations pour sensibiliser les universitaires à cette dimension.
Ce qui était juste. Mais, en faisant cela, il ne faut pas perdre
de vue les missions fondamentales de l'université: faire un travail
à long terme, dans la formation et dans la recherche. Ce qui
suppose aussi une certaine sérénité.
On a mis un accent très fort sur les prestations, mais jai
souvent rappelé pendant ces huit années quon ne
doit pas remettre en cause l'essentiel de l'université. Si vous
formez un étudiant, vous ne le formez pas pour le premier lundi
après son examen, mais pour les vingt ou trente prochaines années.
Pour qu'il puisse saisir l'ensemble de l'évolution, se situer
dans cette évolution, réagir aux changements. Cela a un
prix. Il faut que les gens aient le temps de réfléchir,
de se former en profondeur, d'augmenter leur culture générale,
d'élargir leurs horizons.
On parle
beaucoup de financement privé de la recherche. L'université
devient-elle productrice de prestations et de biens plutôt que
de connaissances?
La mission de l'université, fondamentalement, dans le domaine
de la recherche, est d'en faire sur le long terme, de chercher dans
des domaines où, en somme, on ne sait pas exactement ce que lon
va trouver. C'est dans ce genre de recherche que se font les vraies
percées scientifiques. Quelqu'un a dit: «Vous ne découvrez
pas l'électricité en cherchant à améliorer
les bougies.» Lorsque vous travaillez sur un produit que vous
cherchez à perfectionner, c'est bien, vous le perfectionnez,
et ça vous aide à court terme. Mais les grandes percées
ne sont pas là. Quand on insiste sur le financement privé,
le risque est que celui qui finance, et c'est bien normal de son point
de vue, veuille une rentabilité à relativement court terme.
On perd de vue les objectifs à long terme. Il faut remarquer
que tous les pays industrialisés avancés investissent
plus dans la recherche fondamentale. Il y a en Suisse une tendance à
pousser les chercheurs vers les programmes plus orientés.
Est-il
toujours facile de répercuter les réformes à l'intérieur
de l'Université de Fribourg en renversant les statu quo désirés
par certains?
Non. Mais l'université doit aussi réagir aux problèmes
de la société, aux messages politiques qu'elle reçoit.
Dans ce sens, l'université a aussi changé. En essayant
de ne pas perdre son âme. Nous avons essayé d'installer
une culture de la qualité, avec un système dévaluations
visant à toujours mieux faire. Cette culture n'existait peut-être
pas d'une manière aussi systématique. Mais comme dans
la société, quand on change, il y a ceux qui changent
aisément et ceux qui regrettent un peu le passé.
Ces derniers
vont-ils rester dans l'université?
Je pense qu'ils resteront. Mais ils s'adaptent peut-être
un peu moins vite que les autres. L'adaptation est plus difficile pour
ceux qui sont là depuis longtemps. Comme dans les autres entreprises.
Fribourg,
ville universi-taire
L'Université s'engage-t-elle suffisamment
dans la vie fribourgeoise, notamment autour de la question de la «romandité»
de Ruth Lüthi ou dans la campagne pour le tribunal administratif
fédéral par exemple?
L'Université, en tout cas sous mon rectorat, a choisi délibérément
de ne pas s'engager dans le débat politique quotidien. On fait
bien de la politique, au sens le plus large, à long terme. Par
exemple sur le thème de l'Europe en montrant l'intérêt
de l'ouverture (n.d.l.r.: à travers les journées de l'Europe,
par exemple).
Le bilinguisme est pratiqué ici, vécu jour après
jour. C'est une de nos richesses. De là à dire qu'on devait
intervenir dans un débat sur une élection, ce n'est pas
notre rôle. Sur le Tribunal fédéral, nous avons
donné notre appui, nous avons offert la collaboration de la Faculté
de droit, j'ai assisté à certaines séances, les
professeurs ont sensibilisé les parlementaires qu'ils connaissaient.
Mais c'est le rôle de la politique et non de l'Université
de s'impliquer dans ce débat.
Notre
caractère bilingue signifie nêtre ni vraiment romand
ni vraiment alémanique. Ne risque-t-on pas dêtre
à lécart des pôles lémaniques et alémaniques?
Le risque existe. Nous sommes romands et alémaniques. Cest
notre force, mais aussi notre problème parfois. Je crois pourtant
que lavantage de faire cette charnière entre les deux langues
est plus grand que les inconvénients. Car ce bilinguisme est
unique en Suisse et en Europe. Beaucoup détudiants viennent
le rechercher.
Le canton
fait-il assez pour lUniversité?
Le canton a pris, ces dernières années, et très
nettement, un engagement plus fort pour lUniversité. Cétait
vraiment nécessaire, car le financement fédéral
est plafonné. Il fallait donc que Fribourg sengage plus.
Le vote sur Pérolles 2 a été un signe très
positif. LUniversité est devenue, beaucoup plus largement
quavant, luniversité des Fribourgeois, pas seulement
celle de Fribourg.
Certains
se plaignent dun éclatement des sites. Les nouveaux bâtiments
de Pérolles 2 sont-ils un début de réponse?
Nous avons une vingtaine de sites dans la ville. Cest une
perte defficacité. La stratégie à long terme
est effectivement de regrouper lUniversité sur deux sites:
Pérolles, avec les nouveaux bâtiments de Pérolles
2 et Regina Mundi; Miséricorde où il faudra aussi une
extension. Elle est prévue entre les bâtiments actuels
et la gare. On retrouvera ainsi cet esprit où les gens se connaissent
dune faculté à lautre. Il ny a pas que
le travail détude quotidien à luniversité,
il y a tout ce quon acquiert simplement en voyant des gens: un
chimiste rencontre un théologien
Tous ces contacts ouvrent
lesprit.
Les hausses
des taxes universitaires pour les étudiants sont-elles justifiées?
Avec les hausses, Fribourg na pas dépassé la
moyenne suisse. Nous sommes encore dans un schéma détudes
peu coûteuses. En revanche, il y a une tendance vers une augmentation
beaucoup plus massive du coût des études. Je pense que
ce serait une erreur. Nous devons garder ces études universitaires
largement ouvertes pour tout le monde. Aussi parce que nous avons très
peu détudiants en Suisse par rapport au reste de lEurope.
Quavez-vous
retiré de cette expérience au rec-torat?
Normalement, on voit surtout sa faculté. Jai pu prendre
la dimension dune université, ici à Fribourg, mais
aussi sur le plan national. Il y a dans ce poste une dimension de discussions
avec les collègues dautres universités, avec les
autorités politiques et universitaires nationales. Jai
passé des années intéressantes. En même temps,
ces années nétaient pas faciles, car avec les changements
de toute sorte, une certaine pression sest fait sentir. Et jai
dû la répercuter dans lUniversité. Les décisions
ne sont pas toujours faciles à prendre et à porter. On
ne se fait pas que des amis.
Une
université en réseau
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Paul-Henri
Steinauer a été actif pendant huit ans dans une
Université de Fribourg en perpétuelle évolution.
Sous la pression des réformes universitaires suisses,
lUniversité a appris à sorganiser
en réseau et à développer ses «pôles
de compétence» pour se profiler là où
elle avait des points forts. Quitte à abandonner certaines
disciplines. Benefri, le réseau des universités
de Berne, Neuchâtel et Fribourg en est un exemple, même
si, aujourdhui, Neuchâtel lorgne vers larc
lémanique: «Benefri continue à fonctionner
très bien. Il est vrai que, dans quelques domaines, Neuchâtel
sest orienté clairement vers larc lémanique
et ça pèse un peu sur le réseau.»
Le réseau européen des universités est
aussi devenu, depuis quelques années, lune des
grandes priorités. Fribourg sest engagé
très activement dans la mise en place du système
de Bologne visant à une reconnaissance européenne
des cursus universitaires: «Très vite, nous avons
eu un consensus au Sénat et dans les facultés,
sur les objectifs de Bologne. Mobilité, transparence,
place universitaire européenne forte dans le monde méritaient
absolument quon sy engage.»
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Une
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