VEVEYSE - AU TRIBUNAL Fusillade entre clans

Des gitans à feu et à sang

Il y a un peu plus de quatre ans, deux «chefs» de clans de gitans stationnés en Sarine en sont venus aux armes à la suite d’une dispute entre enfants ayant dégénéré. Avec un fusil à pompe, un Suisse de 34 ans a grièvement blessé un quadragénaire espagnol. Jugement aujourd’hui.

Forces de police, fouille corporelle au détecteur de métal, examen des sacs à main: il fallait montrer patte blanche, hier à Châtel-St-Denis. Pour deux jours, à la suite de la récusation du Tribunal de la Sarine par décision du Tribunal cantonal, le Tribunal pénal de la Veveyse a «hérité» de l’affaire de la sanglante bagarre survenue dans le camp des gitans de Posieux, en décembre 1998.
La journée d’hier a été axée sur la lecture de la vingtaine de pages de l’ordonnance de renvoi, sur les subtilités du maniement de deux modèles de fusil à pompe par une spécialiste de la police et sur l’audition des principaux protagonistes de cette affaire.
Le premier, 34 ans, originaire de Suisse alémanique, est prévenu de lésions corporelles graves et simples, de mise en danger de la vie d’autrui, voire de contrainte, de délit manqué de meurtre ou délit manqué de meurtre passionnel.
Le second, d’origine espagnole, la quarantaine, est prévenu de mise en danger de la vie d’autrui. Ces deux prévenus sont «des gens du voyage». La bagarre en question a pris racine dans une querelle entre des enfants de ce camp de gitans. Une dispute qui a dégénéré: des couteaux auraient été sortis. Et les adultes s’en sont mêlés.

«Cassez-vous!»
Selon le prévenu sur qui pèsent les plus lourdes charges, l’épouse de l’autre homme impliqué dans cette affaire a appelé ce dernier sur son téléphone portable. S’est ensuivie une altercation entre les deux hommes. L’épouse a alors ordonné à l’un de ses fils, âgé de 12 ans à l’époque, d’aller chercher un fusil à pompe dans leur mobile home, où fut trouvé, ultérieurement, tout un arsenal. Muni de cette arme, l’Espagnol a menacé la famille adverse. «Mon fils savait charger ce genre de fusil, J’étais sûr, à 100%, que l’arme était assurée. Je la dirigeais vers le bas, en balayant l’espace, pour leur dire: “Cassez-vous!” Je ne voulais faire de mal à personne, je voulais qu’ils partent de ma parcelle», a-t-il dit au tribunal présidé par Pascal L’Homme.

Comme un déclic…
Mais l’autre prévenu a vu rouge. «Quand l’épouse a dit à l’un de ses fils “Va chercher le fusil!”, ça m’a fait un déclic. J’ai pensé, en mon âme et conscience, qu’il aurait tiré sur ma famille. C’est un homme connu pour être dangereux. Il a fait de la prison en Italie pour trafic de stupéfiants. Alors j’ai couru chercher un fusil à pompe dans le mobile home de mon beau-frère, j’ai pris deux cartouches et j’ai chargé l’arme.» C’est alors qu’il a visé dans la direction de l’Espagnol, en pensant, dit-il, que le fusil était chargé de balles d’autodéfense. Et il a tiré, sans coup férir. En disant simplement à l’autre: «Si toi tu ne tires pas, moi je tire!»
A noter que ce prévenu suisse a lui aussi un passé judiciaire. En 1996, il a été condamné à trois semaines de prison avec quatre ans de sursis pour agression…

150 plombs dans le corps
L’Espagnol s’est effondré, grièvement blessé. Sur la base des radios faites à l’hôpital, il ressort qu’environ 150 plombs de 2,5 à 3 mm ont été retrouvés dans son corps. Les mains et la paroi thoracique et abdominale ont été touchées, certains dommages étant permanents: l’amputation d’une phalange de la main gauche et une greffe difficile sur un autre doigt, notamment. L’homme a du reste montré au tribunal, aux avocats et au Ministère public les «bosses» et lésions des plombs, toujours présents dans son organisme.
L’un des fils de ce prévenu a par ailleurs dû se faire extraire un grain de plomb d’une narine. S’ajoutent les suites psychologiques pour tout ce «clan», perturbé par les événements. Le prévenu a expliqué qu’au moment du drame, il était en «reconstruction» familiale. Or, il est aujourd’hui divorcé. En outre, son mobile home a pris feu, peu après cette affaire. L’origine serait criminelle, mais le coupable n’a pas été identifié.

Verdict aujourd’hui
Les témoins ont défilé durant tout l’après-midi. Leur audition se poursuivra ce matin. Viendront les plaidoiries, le réquisitoire du substitut du procureur, puis le verdict. Complexe, cette affaire a révélé, en filigrane, de lointaines haines de clans.

 

Marie-Paule Angel
20 février 2003

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