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Madagascar

Le café est mort, vive le cacao

Fin du carnet de route publié dans différentes éditions de La Gruyère pour les 20 ans de la Fondation Action Madagascar. Nous quittons le Centre médico-chirurgical Saint-Damien d’Ambanja afin d’approcher la réalité d’une population essentiellement composée de petits paysans. Sombre de prime abord, cette réalité s’ouvre sur un horizon plus clément, avec de réelles perspectives d’avenir.


?Perspective réjouissante: la culture du cacao (ici au séchageest en plein essor (B. Maillard)

 

«Ici gît la Cafema. Usine à vendre.» L’épitaphe ne laisse place à aucune équivoque. Autrefois florissante unité de transformation de café, la Cafema n’est plus qu’une structure à la dérive avec ses 3600 m2 de hangars abandonnés. A l’extérieur, les traces de ce qui devait être un beau jardin tropical rappellent un passé plus glorieux; le présent appartient au désordre et à l’anarchie d’une broussaille qui reprend peu à peu ses droits. A l’intérieur, les torréfacteurs rouillent dans le temps; d’une capacité de 180 kilos chacun, ils produisaient huit tonnes de café toutes les huit heures. Un peu plus loin, les calibreurs où l’on tamisait le café fraîchement torréfié avant de l’aspirer dans les silos ne trembleront plus. Dernières traces de vie, sur la machine à emballer, sachets et rouleaux d’étiquettes semblent prêts à reprendre du service comme si l’activité allait repartir après la pause de midi.
Devant ce spectacle, le Père Stefano, toujours très attentif à ce qui se passe hors de la clinique, a le commentaire sobre. «C’est complètement surréaliste, comme une souris qui meurt de faim dans un magasin de fromages! Il y a autour de nous quantité de caféiers et ici, tout est parti à l’abandon.»
Quant à M. Didier, le dernier directeur de la Cafema, il raconte la fin de l’entreprise en 1994, évoquant la concurrence internationale, l’usure du matériel qu’on ne peut remplacer faute de moyens. Les gestionnaires de Tananarive, la lointaine capitale, investissent davantage dans les dépenses fastueuses que dans l’achat de pièces détachées. Il lâche aussi le mot privatisation, si cher aux chantres du libéralisme qui dictent leur loi au sein de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Or, dans le tiers monde, privatisation est souvent synonyme de mise à mort. D’ailleurs, le résultat de la mise en application des thèses ravageuses de l’OMC est là, devant nos yeux, dans cette usine vidée de sa substance, laissant sur le carreau des centaines de familles de producteurs. Sans parler des ouvriers qui travaillaient ici. Comme tant d’autres, M. Didier est au chômage.
Enfin… chômage est un bien grand mot dans un pays qui ne connaît pas les allocations. L’ancien directeur se débrouille comme il peut avec des petits boulots de consultant pour le compte de quelques ONG locales. Et les employés? Qu’ils se débrouillent. Et les paysans? Ils ne récoltent plus ce café dont aucun acheteur ne veut.
Finissons là ce sombre tableau et parlons plutôt du renouveau, car des perspectives plus réjouissantes existent bel et bien. Si Stefano songe, non sans d’excellentes raisons, à un commerce équitable qui permettrait de remettre la Cafema en fonction, les producteurs, de leur côté, font face aux modifications de l’environnement économique et s’organisent avec le soutien de l’AFDI (Agriculteurs français pour le développement international). Et ils ont dans leur manche un atout de premier ordre.

Paysans en marche
A Ambanja, nous avons rencontré Noviasy, l’énergique président de l’ADAPS, l’Association pour le développement de l’agriculture et du paysannat du Sambirano.
C’est lui qui est à l’origine du regroupement des paysans de cette région essentiellement agricole. Sur les vingt-trois communes que compte le district, quinze ont déjà formé des coopératives et ont rejoint l’ADAPS avec des buts qui vont de la protection de l’environnement au développement des cultures vivrières (manioc, patates douces et maïs) et des cultures de rentes comme le cacao, la vanille, le poivre, l’anacarde et, pourquoi pas, le café puisqu’il pousse presque naturellement dans une région au climat particulièrement propice à ce type d’agriculture. C’est dire à quel point Noviasy lorgne avec intensité sur les installations de la Cafema. Gérée par les producteurs eux-mêmes, il serait possible de remettre l’usine en route, mais encore faut-il pouvoir acquérir les bâtiments et trouver de nouvelles installations. N’empêche que, dans sa vision des choses, Noviasy est tout proche de l’idée de commerce équitable que carressait Stefano. Une pure utopie? Non, tant il est vrai qu’en Europe des importateurs de cacao se déclarent prêts à soutenir le premier maillon de la chaîne de production dans ses efforts de développement. C’est le cas d’Ecom Agroindustrial Corporation LTD, une entreprise dont le siège est à Pully. Opérationnelle sur tous les continents dans le négoce du café, du cacao et du coton, elle est la première société importatrice de cacao aux Etats-Unis et fournit les principales multinationales. Avec le cacao, les paysans du nord-ouest de l’île tiennent une chance réelle de développement. Bien que très faible (5000 tonnes environ), la production malgache est très recherchée. Cas unique sur le marché, elle s’est même affranchie des cours mondiaux et le prix à la tonne (2500 euros) atteint le double du cacao de Côte-d’Ivoire (1300 euros). Le prix du cacao de Madagascar ne se discute pas.

Commerce équitable
Mathieu Vidal, responsable des achats pour l’Afrique, a rencontré Noviasy lors d’un passage à Ambanja au printemps dernier. «Je voulais rencontrer des intervenants de la filière cacao. Notre entreprise est assez impliquée dans le commerce équitable et nous avons plusieurs initiatives dans ce sens-là. Nous recherchons du cacao produit dans des conditions sociales, économiques et environnementales qui soient durables. Dans ce cadre, nous travaillons avec des coopératives de planteurs qui ont la capacité de travailler et d’amener la matière première jusqu’à FOB (free on board), ce qui sous-entend que la coopérative est elle-même exportatrice. C’est dans notre intérêt de défendre celui des coopératives.»
S’agissant du travail de l’ADAPS, Mathieu Vidal le juge plus que positif: «Il est important que ce développement initié par l’association se fasse en partenariat avec un négociant international, idéalement un chocolatier; il faut dépasser le niveau institutionnel des ONG et, si j’avais un conseil à donner à Noviasy, je lui dirais vraiment d’essayer d’intégrer dans leur projet un utilisateur final, négociant ou chocolatier. Nous serions tout à fait disposés à participer avec l’ADAPS à un projet commun, c’est un sujet de discussion qu’on peut laisser ouvert.» Le message est clair.
Mal partie avec l’enterrement de la Cafema, l’histoire se termine bien avec le cacao. Espérons qu’elle ne fait que commencer, que le sujet de discussion dont parle le collaborateur d’Ecom soit suivi d’effets.

Soirée de soutien à La Tour

Pour la Fondation Action Madagascar, qui fête cette année ses vingt ans d’existence, cinq groupes – Alain Morisod et Mady Rudaz, Arlette Zola, Laurent Brunetti, Bellinda et Nick Perrin – ainsi que le Chœur de la Confrérie du Gruyère s’investissent pour soutenir le centre hospitalier Saint-Damien à Ambanja, Madagascar.
Cette soirée concert aura lieu en présence du Père Stefano, ce dimanche 4 février, à 17 h, à la salle CO2 de La Tour-de-Trême.
Réservations: Office du tourisme de Bulle (026 913 15 46) ou www.labilletterie.ch. Pour toute information: www.actionmadagascar.ch.

 

Didier Schmutz
3 février 2007

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