COMMENTAIRE

Affaire Claerstream
La boîte de Fouché

On ne peut évoquer Dominique de Villepin sans faire référence aux grandes figures de la France historique. L’actuel premier ministre en est pour quelque chose, lui qui s’est ingénié dans ses ouvrages à mélanger littérature et politique, histoire et légende. L’homme a du panache et de l’éloquence, du coffre aussi pour affronter la tempête de l’affaire Clearstream. Mais si l’hôte de Matignon vibre lorsqu’il fait le rappel des triomphes napoléoniens, il ne doit pas oublier qu’ils se soldèrent par la déchéance de l’empereur et son abdication.
Il y a du Bonaparte chez de Villepin. Il y a aussi du Fouché, l’homme des basses œuvres que le premier ministre louait dans sa fresque sur Les cents jours.
Et à suivre les derniers rebondissements de cette affaire d’Etat au nom prédestiné – Clearstream signifie «clair courant»! – il semble bien que le deuxième est en train de tuer le premier. De Villepin ne sortira pas indemne de cette sombre histoire où se croisent menteurs et manipulateurs, sans que l’on sache vraiment qui tient les premiers rôles.
Que penser d’un régime où le premier ministre utilise l’appareil de l’Etat pour abattre son rival, chef du parti majoritaire? L’affaire Clearstream éclaire l’état de déliquescence dans lequel se trouve le chiraquisme, englué dans de glauques manigances et paralysé par les rivalités intestines. La crise ne se limite pas à de secrètes tractations initiées par un corbeau introuvable: elle déstabilise l’Etat, décrédibilise le pouvoir et fait le lit des extrémismes, toujours prompts à reprendre le refrain du «tous pourris».
Triste spectacle d’une fin de règne qui semble sombrer dans des affres dignes du Watergate. L’affaire secoue une France déjà chahutée par le rejet populaire du CPE, les émeutes des banlieues et le refus de la Constitution européenne. Conviction: ces crises se nourrissent des mêmes racines, celles d’un règne chiraquien à la désolante vacuité, charpenté par une vie politique entièrement dédiée à la quête du pouvoir pour le pouvoir.
Ce climat délétère commence à inquiéter une droite qui mesure le potentiel explosif de la guerre fratricide dans laquelle se sont engagés Villepin et Sarkozy. Dans le rôle idéal de la victime, ce dernier sait que la prise de l’Elysée passe par une «rupture» avec le chiraquisme finissant. Mais cette affaire Clearstream, qu’il a médiatiquement manipulée, peut aussi se retourner contre lui. Il est temps pour lui aussi de refermer la boîte de Pandore. Patrice Borcard

Patrice Borcard
6 mai 2006

Une I Gruyère I Veveyse/Glâne I Fribourg I Sports I Magazine

Droits de reproduction et de diffusion réservés © La Gruyère 2003 – Usage strictement personnel