Le crapaud nest
pas seulement le sobriquet des Bullois, cest aussi le sauveur de
leur carnaval, voilà trente ans, par lentremise du journal
satirique Le Crapaud. «Lidée était de faire
des petits Canard enchaîné», confie lun des deux
initiateurs approchés fin 1975 par le FC Bulle, à qui le
chef-lieu doit son regain carnavalesque. Réunis autour dune
table et dun bon verre de vin, trois crapauds rédacteurs
ont exploré trente ans de satire politique et dhistoires
de villages, leur fond de commerce. Pour linterview, ils se sont
rebaptisé Dupond, Ribouldingue et Croquignol, pour ne pas faillir
à lanonymat de la mare aux crapauds.
«Peut-être que sous la torture, je donnerais des noms»,
plaisante le dernier des Dupond, qui a présidé à
la naissance du batracien. Tiré à 1600 exemplaires en février
1976, il fut bien malgré lui lancé par La Gruyère.
Gérard Glasson, dans un article publié le samedi de carnaval,
sen prenait violemment à ce vilain Crapaud qui avait osé
tourner en dérision son dernier rang au palmarès des parlementaires
fédéraux, publié dans le Blick.
Méchant
et mesquin
«Au lieu dêtre simplement rosse, il est méchant
et mesquin. Son style, qui devrait être spirituel, est vulgaire.»
Et le rédacteur en chef de conclure: «La mauvaise littérature,
hélas! a toujours fait recette
» Ce quil ne savait
pas, cest que son premier stagiaire était derrière
léditorial incriminé. Et lorsquil lapprit,
au détour dun bar, il le vira séance tenante. «Jai
quand même un peu paniqué, avoue Pierre Thomas, seul crapaud
qui ne tienne pas à son anonymat. Mais GG sest rendu compte
quil avait besoin de moi et ma réengagé le lundi!»
Il nen fallut pas moins pour lancer le Crapaud. Certains exemplaires
se vendirent même deux fois, 2 fr. 50 à lépoque.
«Larticle de GG nous a fait une réclame extraordinaire»,
sourit le dernier des Dupond. Indépendant depuis plus de vingt
ans, le Qrapaud ne verse plus ses bénéfices au FC Bulle.
Il tire à 5000 exemplaires, se vend à nouveau une tune
après avoir été 7 francs et est le premier
sponsor du carnaval.
Mais a-t-il conservé sa bave corrosive, celle-là même
qui le conduisit au Tribunal de la Gruyère en 1986, qui le jugea
coupable de calomnie envers le lieutenant de préfet une
peine allégée en injure par le Tribunal cantonal? Oui, si
lon répond à la mesure des plaintes déposées
contre le Qrapaud, puisque lavant-dernier numéro, en 2004,
a déclenché lire dun fromager. Non, si lon
en croit les crapauds eux-mêmes.
Manque de pointures
«Cest vrai quon est devenu un peu plus gentils»,
concède Croquignol. «Il faut dire quil y a une certaine
érosion au niveau politique», explique Ribouldingue. Ce qui
ne facilite évidemment pas la caricature. «Fini lépoque
des Pierrot Rime, des Gaston Dupasquier et des Gérald Gremaud»,
regrette le dernier des Dupond. «Taurais même pas idée
de dire du mal du nouveau directeur du Collège du Sud, poursuit
Croquignol. Tandis que Marcel Delley nous a bien inspirés
»
Et voilà nos trois crapauds qui parcourent les vingt-huit numéros
sortis en trente ans. Dégustent le menu politique dun édile
bullois, intitulé en 2000: «Il était jeune, il était
gros, il sentait bon largent des autres.» Jubilent intérieurement
à lidée davoir bien égratigné
son frère dans leur dernière édition (voir ci-contre).
Se souviennent de la fameuse soirée où Titi Dupasquier avait
interrompu une séance du conseil pour débarquer avec Pierrot
Rime chez limprimeur Perroud pour tenter de bâillonner le
Crapaud avant les élections communales du dimanche de carnaval.
«On ne bafouait pas les radicaux en particulier, comme on nous la
souvent reproché, mais la majorité politique, commente Ribouldingue.
On a suscité quelques susceptibilités durables.» «Et
peut-être écourté certaines carrières politiques»,
ajoute le dernier des Dupond. Ce quils oublient peut-être,
tout à la joie de souffler leurs bougies, cest quils
ont censuré un jour un article commandé à Pierre
Thomas, jugé un peu trop vachard avec Pierrot Rime. Ce qui prouve
que même les crapauds font parfois quelques concessions.
Claire-Lyse Donnet
Un
gratuit à cent sous
|
Relooké
pour loccasion aux couleurs du Matin bleu, le Qrapaud déverse
sa bave, en première page, contre lun des rares élus
UDC au Conseil général de Bulle. «Jveux
pas mdéshabiller pour le parti!» sexclame
la «rape à Dan» alors que «les caisses
sont vides». Le PDC Yves Menoud, avec sa nouvelle charge
de «ministre des représentations à lextérieur»
en prend aussi pour son grade, comme Cédric Castella (Ouverture)
pour ses vestes aux dernières élections.
Le Pâquier, traité de «village dirréductibles
bourri-ques» à cause de son refus de fusion
pour des raisons «ethniques» avec Gruyères
nest pas en reste. Les commerçants bullois
renvoyés dans le tunnel sous la Trême, le préfet
et sa pulpeuse Tyrolienne ainsi que l«homme qui murmurait
à loreille des chats» font la quintessence
du journal satirique. Le FC Bulle, à lorigine du
Crapaud en 1976, voit son rejeton se retourner contre lui. Avec
comme fil rouge les motions farfelues du député
Patrice Jordan, le journal remplit son rôle et égratigne
les édiles avec un humour tantôt vache, tantôt
gentil. Malgré la qualité des dessins, on peut toutefois
regretter labsence dune double page centrale.
|
|