Faillite de lagriculture,
de la production de masse, de la grande distribution
Fin de la
mondialisation en raison des coûts prohibitifs du transport des
marchandises, disparition du tourisme à grande échelle,
et peut-être explosion de lEurope communautaire
Mise
en danger de nos démocraties, tensions sociales, nouvelles guerres
pour la possession des réserves pétrolières
Seule la survie à léchelle des régions sera
possible, sorte de retour à un mode de production antérieur
à la révolution industrielle.
Les perspectives dun monde où le pétrole bon marché
aura disparu sont saisissantes. Cette vision, Yves Cochet, ancien ministre
de lEnvironnement du gouvernement Jospin, la dressée
après une analyse serrée du secteur de lénergie
pétrolière. Lunique solution à ses yeux:
devenir une société de la sobriété.
Vous annoncez
ni plus ni moins la fin du monde tel que nous le connaissons, cest-à-dire
la fin dune société dont les bases reposent sur
la consommation de pétrole bon marché. Votre livre a même
des accents millénaristes. Comment être convaincu que nous
sommes à la veille dun changement majeur ?
Yves Cochet. Ce nest pas seulement une question de communication.
Je suis plutôt rationaliste et raisonnable, froidement statisticien,
et je fais de la politique depuis trente ans. Je crois que le monde
politique cest aussi vrai pour le milieu syndical ou associatif
se fonde maintenant sur des rivalités de personnes ou
sur la défense de valeurs que lon croît intangibles
mais cette façon de voir le monde date de trente ans,
voire du XIXe siècle.
Les propositions politiques des Verts échoueront lamentablement
sils ne changent pas leur manière de considérer
la question de lénergie et du pétrole. Cest
pourquoi je veux nous débarrasser de tous les a priori sur la
marche du monde. Essayons de le regarder le plus objectivement possible.
Cest pour cela que jai écrit ce livre.
Vous annoncez
pourtant léchec de toutes les politiques actuelles en matière
dénergies renouvelables. Nest-ce pas de votre part
une manière de noircir le trait pour mieux faire passer votre
propos?
Non, je persévère dans mes analyses. Jaimerais simplement
que nous évitions le choc à venir. Jai beaucoup
étudié les statistiques, fait de nombreuses interviews.
Ce qui est aujourdhui clair pour les spécialistes, cest
que la décroisssance du pétrole arrivera dans quelques
années. Lensemble de la production mondiale de pétrole
devrait atteindre son pic maximal vers 2007, puis décliner ensuite
de 2,5% par an.
Soyons
juste, tout nest pas noir dans votre vision de lavenir.
La diminution du tourisme de masse, la mise à mal de la grande
distribution et des transports aberrants de marchandises, la fin de
la mondialisation et même la démondialisation qui suivra
Prenons lexemple du tourisme de masse dont il est bon de préciser
quun milliard dindividus seulement en profite. La fin du
pétrole bon marché, cest la fin des billets davion
à prix cassé. Lindustrie du tourisme sera durement
frappée. Je pense même que Air France, British Airways
ou Lufthansa nexisteront plus en 2025. Quand à Easy Jet,
il va disparaître avant 2010.
Mais ce qui mintéresse, ce ne sont pas ce genre de prévisions,
mais les conséquences sociales et économiques qui résulteront
des prix forts du pétrole.
Et notamment
la solidité du système démocratique, dont lexpansion,
ces soixante dernières années, est liée à
un succès économique reposant sur un pétrole bon
marché.
Je dirais que lénergie bon marché permet une forme
de démocratie libérale, sans parler spécifiquement
du libéralisme. Si le pétrole devient plus rare et par
conséquent plus cher, je crains pour la survie de la démocratie
dans les formes actuelles, cest-à-dire mondialisée.
Avec un pétrole cher, la démondialisation nest pas
seulement liée à des questions de proximité pour
réduire les coûts, cest aussi une manière
de soutenir une démocratie de proximité plus locale, plus
régionale. Les grandes institutions comme lONU et lUnion
européenne nont pas beaucoup davenir.
Consommer
sur place, en labsence de chaîne de distribution alimentaire.
Cest une véritable révolution
Jai été très européen pendant des
années et jai occupé un siège de député
à Bruxelles entre 1989 et 1994. Cest une très belle
idée, lEurope, mais, simplement pour des raisons thermodynamiques,
ça ne marchera plus. Plus nos institutions seront locales, plus
elles auront une chance dêtre démocratiques. Nous
mourrons de faim si notre dépendance aux transporteurs nest
pas réduite. Jajoute que nous ne savons pas gérer
une société qui a une décroissance sur plusieurs
années. Nos modèles ont toujours tablé sur une
croissance continue. Je ne suis pas un partisan de la décroissance,
mais elle sera inéluctable pour des questions géologiques,
économique et géopolitique. Nous devons nous y préparer.
Notre
capacité dadaptation est pourtant formidable
Jai été chercheur pendant vingt-cinq ans. Cest
vrai, nos sociétés ont des forces exceptionnelles. Mais
je crois que la fin du pétrole bon marché marquera un
coup mortel, et ce coup arrivera plus vite que nous limaginons.
Nous sommes déjà à 60 dollars le baril. Quand il
sera à 200 dollars, voire plus, comment réagirons-nous
? Demain ne sera pas comme aujourdhui. Miser sur les énergies
durables nest pas envisageable à court terme. Il faudrait
un demi-siècle sans doute pour les adapter. Or, nous sommes dans
une course de vitesse. Je crains que la dépression pétrolière
naille plus vite que ladaptation économique. Ce que
nous pouvons faire, ce nest pas déviter le choc,
mais de lamoindrir dans ses effets sociaux et économiques,
cest-à-dire protéger les plus pauvres.
Les seuls qui ont anticipé ce choc, ce sont les Américains
car leur prospérité a été faite, historiquement,
sur un pétrole bon marché. Depuis vingt-cinq ans, ils
ont cette idée que le pétrole deviendra plus rare et plus
cher. Ils ont donc mis en place la seule politique cohérente
selon eux et dépensent des centaines de milliards de dollars
par an pour avoir du pétrole pour eux seuls. Ils emploieront
tous les moyens, notamment la guerre. Cest une politique que je
conteste totalement, mais cest une vrai politique.
Yves Cochet,
Pétrole apocalypse, Editions Fayard
LUkraine
et la caution démocratique
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Victoire
de la démocratie en Ukraine par larrivée
au pouvoir de Iouchtchenko, en novembre 2004! Yves Cochet porte
un jugement moins romantique sur cette élection. La sanction
par larme énergétique que la Russie vient
de prendre à lencontre de lUkraine semble
lui donner raison.
Il faut savoir, écrit Yves Cochet, que dans la partie
nord de la mer Caspienne, un énorme gisement dhydrocarbures
a été découvert en 2000. Il pourrait contenir
jusquà 30 milliards de barils de pétrole
et environ 4000 milliards de mètres cubes de gaz naturel.
Lacheminement de cette manne vers lEurope occidentale
ne peut valablement se faire que par lUkraine, car la
mer Caspienne est fermée; pas question de passer par
lIran, ni despérer dans les capacités
trop réduites du pipe-line Bakou-Tbilissi-Ceyhan vers
la Méditerranée, ni encore de traverser la Russie
ou les détroits du Bosphore et des Dardanelles, surexploités.
La solution sappelle lUkraine.
«Ce pays se devait de passer à lOuest lors
des élections de novembre 2004, écrit Yves Cochet.
Il fallait ly aider. Les Américains déployèrent
la fondation gouvernementale National endowment for democratcy
(NED) qui avait déjà servi à renverser
Milosevic à Belgrade en 2000, la fondation Open society
de Georges Soros, ainsi que la fondation Carnegie, et, pour
la manipulation médiatique, le groupe néoconservateur
Freedom house de Washington. Il a organisé des sondages
truqués indiquant une opinion ukrainienne majoritairement
en faveur de Iouchtchenko. Parallèllement, les fondations
américaines combinaient les manifestations spontanées
de la révolution orange à grand renfort
de bus remplis de manifestants, hébergés et chauffés
dans des centaines de tentes, distraits par les sound systems,
les shows laser et les écrans plasma. Kiev vaut bien
une masse de dollars
Lenjeu qui sest dénoué
en Ukraine entre 2004 et 2005 nest donc pas tant une question
de démocratie quune victoire souterraine des pétroliers
occidentaux contre les pétroliers russes et chinois.»
Et les mesures de rétorsion après lannonce
par Gazprom, le 6 juin 2005, de vendre à lUkraine
son gaz au prix européen, sont maintenant en place
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