FRIBOURG Gens du voyage

Le canton retient deux aires

Granges-Paccot et l’agglomération de Bulle-La Tour sont appelées à accueillir chacune une aire de stationnement pour les gens du voyage de passage dans le canton. La décision du Conseil d’Etat, rendue publique hier, fait déjà des vagues.


Une aire d’accueil des gitans est prévue à Bulle-La Tour. La priorité va aux environs de la déchetterie touraine, à la sortie du village, direction Broc

 

Le coup par coup a assez duré. Insatisfaisante, dénoncée par des députés, la politique actuelle nourrit l’agacement et les ressentiments entre populations nomades et sédentaires. Le conseiller d’Etat Beat Vonlanthen, chargé de l’Aménagement, a justifié ainsi la décision gouvernementale d’ouvrir deux aires d’accueil pour les gens du voyage de passage dans le canton. L’une à Granges-Paccot et l’autre à Bulle/La Tour-de-Trême (voir encadré), chacune d’une capacité de 20 à 30 caravanes et d’une superficie de 2000 à 3000 m2.
L’Etat mettra à disposition les terrains nécessaires et assurera les frais d’aménagement, de gestion et d’entretien de ces infrastructures, a détaillé hier Beat Vonlanthen à la presse réunie à Granges-Paccot. Pour accompagner le magistrat, une série d’intervenants, dont le président de la Conférence des préfets, Jean-Claude Cornu. Rompant avec l’immobilisme de la dernière décennie, le conseiller d’Etat en fonction depuis l’été 2004 a en effet mandaté les préfets dans l’espoir de débloquer le dossier.
Résultat: le Gouvernement a fait sien le rapport du groupe de travail élargi, conduit par le préfet de la Glâne. Ce document, fruit de six mois de gestation, compte une quarantaine de pages et 200 annexes. Plutôt que de quémander l’autorisation des communes, voie vouée à l’échec, semble-t-il, le groupe Cornu est parti à la recherche de terrains appartenant au canton.
Les autorités locales et la population riveraine auront certes la possibilité de s’opposer à la modification du plan d’aménagement local. Mais en cas de blocage, l’Etat se réserve la possibilité de passer outre au moyen d’un plan d’affectation cantonal. Cette procédure-là prendra toutefois plus de temps, soumise qu’elle est aux voies de droit pouvant conduire au Tribunal fédéral. «Nous misons sur la concertation, mais sommes prêts à imposer une solution s’il le faut», ajoute Beat Vonlanthen. Les réactions dans les communes concernées (voir aussi ci-dessous)? «Ce n’est pas l’enthousiasme, pour parler par euphémisme», souffle le préfet de la Glâne.

Solidarité intercantonale
Après avoir étudié les solutions en vigueur en particulier dans les cantons de Vaud (Payerne-Boulex et Rennaz, près d’Aigle), du Valais (Martigny) et de Neuchâtel (Vue-des-Alpes), le groupe de travail est arrivé à la conclusion que la création de places officielles permanente est la meilleure solution. Conforme à exigences fédérales, elle permet de canaliser les gens du voyage vers des endroits appropriés. But: diminuer, voire supprimer, les stationnements sauvages. Cette année, la police a dénombré 182 jours de présence des gitans dans le canton, avec 17 tentatives et 55 installations de campement.
En ne retenant que des emplacements le long de la seule A12, n’encourage-t-on pas des caravanings sauvages dans les régions de Chiètres, Estavayer-le-Lac, mais aussi de Châtel-Saint-Denis? «En disposant de places officielles, nous pourrons nous montrer plus contraignants», rassure le préfet Nicolas Deiss, impliqué dans l’opération. Reste que la solidarité fribourgeoise aux efforts intercantonaux a ses limites: ouvrir une 3e aire sur l’A1 aurait pu amener les Vaudois à fermer leur stationnement payernois…

Aménagement sommaire
Concrètement, l’aménagement de ces aires restera sommaire: portique d’entrée pour surveiller les allées et venues grâce à la Gendarmerie, accès à l’eau, sanitaires, délimitation stricte de la place par des treillis, éclairage pour la sécurité et les contrôles. S’il salue la volonté politique des autorités de répondre au besoin des nomades, le porte-parole de la communauté tzigane suisse, May Bittel, de Genève, les incite à ne pas oublier les sédentaires. Une seule aire est mise à leur disposition, à Châtillon/Posieux. Insuffisant selon le pasteur Bittel.

 

Leurs réactions à chaud

Maurice Ropraz, préfet de la Gruyère: «Ce n’est pas forcément un cadeau pour le district. Il y a un problème à résoudre avec les gens du voyage. Leur proposer une structure fixe, fermée, avec une supervision permettra une meilleure gestion. Mais les communes choisies ne sont pas forcément enchantées. Cette décision pourrait susciter quelques inquiétudes de la part des voisins et des entreprises proches.»
Jean-Paul Glasson, syndic de Bulle: «L’enthousiasme n’est pas délirant de voir arriver une telle structure dans une commune. Tout en étant conscient du problème existant par rapport aux gens du voyage. Qu’on le veuille ou non, il y aura des réactions et des résistances de la part de la population et des entreprises voisines.»
Yves Menoud, syndic de La Tour-de-Trême: «Lorsqu’on a appris ce printemps où l’Etat envisageait d’implanter cette structure, nous avons réagi par courrier pour dire notre stupéfaction face à ce choix. Ce site est difficile d’accès. On le sait par expérience avec la déchetterie. De plus, le quartier du Praz devrait s’agrandir prochainement. Au même endroit devrait également être construite une route permettant d’accéder à la zone sportive de La Tiolleyre… Aucune commune ne se réjouirait de la venue d’une telle structure, mais là, le site nous paraît particulièrement mal indiqué.»
Christophe Maurer, directeur de l’entreprise Rocpan: «Les gens du voyage existent et on ne peut pas en faire abstraction! A chaud, je trouve que c’est une bonne chose de leur donner la possibilité de se rendre à un endroit défini. Cela permettra d’éviter le camping sauvage et de plus facilement maîtriser les situations. Que cet emplacement soit situé à 500 mètres ou à cinq kilomètres de mon entreprise, c’est pour moi la même chose.»
René Schneuwly, syndic de Granges-Paccot: «Nous avions été abordés par Claude Lässer, à la fin des années 1990. Et puis ce printemps à nouveau. Notre préavis est défavorable notamment parce que ce terrain peut servir de réserve pour la zone d’activité voisine. Nous regrettons d’être mis devant le fait accompli. Une information préalable à la population et aux entreprises était nécessaire. Là, on a le choix entre accepter ou être obligé de l’être. Ce n’est pas comme ça que nous concevons les rapports avec l’Etat, d’où notre déception. Nous étions ouverts jusqu’ici, mais nous serons désormais très présents dans la négociation…»

L’essentiel en résumé

Bulle/La Tour-de-Trême. Le site est compris dans le périmètre du remaniement parcellaire lié à la H189. Selon la présentation faite hier, la priorité va aux environs de la déchetterie touraine, à proximité de la route menant à Broc. Ouverture? Pas avant la mise en service de la route de contournement, prévue en 2009.
Granges-Paccot. Sur un terrain de 19600 m2 propriété du Service des ponts et chaussées au bord de la route menant de Fribourg à Morat (en face de Conforama). Sa réalisation pourrait intervenir dès 2007, laisse entendre le conseiller d’Etat Beat Vonlanthen, même si la planification des deux aires doit être menée simultanément.
Les coûts. L’investissement reviendra à environ 150000 fr. pour l’aire du sud du canton et à 300000 fr. pour le centre-nord. Cette dépense initiale de 450000 fr., à inscrire dans les prochains budgets, sera prise en charge par le canton, qui assumera aussi les frais de gestion et d’entretien, tout en prélevant une taxe auprès des gens du voyage. Le prix pourrait être de dix francs par caravane et par jour.
Les critères. Proximité d’un axe de circulation, d’un centre de police et d’une agglomération (attractive pour le commerce auquel se livrent les gitans). Mais éloignement relatif par rapport aux zones d’habitation. Une quinzaine de sites propriété de l’Etat répondaient à ces critères. Après analyse approfondie, six ont été retenus (La Sonnaz, Granges-Paccot, Bulle-La Tour, Bulle, Semsales et La Verrerie) avant le choix final.
Une commission permanente pour les gens du voyage est instituée par le Conseil d’Etat afin de concrétiser la décision présentée hier. Elle fera le point à fin mai 2006, puis sera chargée du suivi et, dès l’ouverture de la première aire, de la gestion et de la coordination générale. Elle dressera un rapport annuel. Présidée par Nicolas Deiss, préfet de la Sarine, et vice-présidée par Maurice Ropraz, elle se composera de représentants communaux, de la police et des travaux publics du canton. Elle entendra «de façon appropriée» les représentants des gens du voyage.


Sébastien Julan
24 novembre 2005

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