«Il
ne faudrait pas quune fois les votations passées, on regrette
de ne pas avoir tout fait pour convaincre les gens.» Samedi, Bernard
Sottas a ouvert les portes de son usine de construction métallique,
à Bulle, pour promouvoir le oui à lextension de
la libre circulation des personnes. Comme bien dautres en Suisse:
sous le nom «Les entreprises sengagent», Economiesuisse
a mis sur pied, pour la première fois, une opération portes
ouvertes, en vue des votations du 25 septembre. Une centaine dentreprises
y ont participé, dont 25 en Suisse romande.
Chez Bernard Sottas, dautres entreprises bulloises se sont associées
à la manifestation. Notamment la scierie Despond, dont le directeur
(et conseiller national UDC) Jean-François Rime se trouvait sur
place, ou encore Bat-Mann Constructions et Fromage Gruyère. «Cest
loccasion dexpliquer au public que si lon ferme les
frontières, les entreprises vont devoir délocaliser, indique
Bernard Sottas. La Suisse travaille avec lextérieur et
cette votation est vitale pour léconomie.»
Reste que le public nest pas venu en masse à la rue de
lIndustrie. Sans doute en raison dune information donnée
tard ou dune météo qui incitait à la balade.
Bernard Sottas estime quune septantaine de personnes ont participé.
«Mais je suis content de lavoir fait. Les gens étaient
intéressés et nous avons pu répondre aux questions
de ceux qui avaient des craintes non justifiées.»
Succès
à la chocolaterie
Pour Economiesuisse aussi, le bilan est positif: dans tout le pays,
quelque 40000 personnes ont répondu présent. «Lidée
était aussi de faire passer le message auprès des entreprises,
afin quelles se rendent compte de limportance de cette campagne»,
explique Maryline Basset, responsable de projet à Economiesuisse,
qui se trouvait à Bulle.
De son côté, Nestlé Suisse a choisi Broc et sa chocolaterie
pour participer à cette journée. Le site a vu défiler
entre 500 et 700 personnes, estime son directeur Christophe Stettler.
«Compte tenu des circonstances, du fait que laction a été
communiquée tard, je considère que cest un succès»,
relève-t-il. Avant dajouter: «Certains sont venus
pour voir la fabrication du chocolat, mais beaucoup étaient très
intéressés par les votations et ont posé des questions
spécifiques. Cest une bonne chose, parce que cette votation
est importante pour nous.»
Enfin, un verre de lamitié était aussi servi à
Charmey, au Marché artisanal, en présence de Bernard Repond,
vice-président de lUnion suisse des arts et métiers.
Cette journée lancée par Economiesuisse intervenait alors
que le non à laccord sur la libre circulation des personnes
progresse. Selon un sondage du Matin Dimanche, 42% des personnes interrogées
se déclarent favorables à laccord et 39% le refuseraient.
Les quatre parlementaires
fédéraux ci-dessous répondront aux questions du
public ce jeudi 1er septembre, de 8 h à 12 h, sur la place du
Marché de Bulle
On dit
volontiers que le oui à lextension est gage de croissance
pour la Suisse. Quelles seraient les conséquences économiques
dun non à cet accord?
Urs Schwaller (PDC). «En Suisse, un franc sur deux
est gagné à létranger et un emploi sur trois
dépend directement de nos relations avec lEurope. Si nous
nacceptons pas cet accord, nous courons le risque dun déplacement
de plusieurs activités. Cest-à-dire que des postes
de travail vont quitter la Suisse pour simplanter dans ces nouveaux
pays.
»Pour pouvoir négocier et commercer avec dautres
pays, il faut des réglementations. Pour moi, il est peu crédible
de dire que lUnion européenne va accepter que nous ne réglementions
pas nos relations avec les dix nouveaux Etats membres. En cas de non,
mon souci est que, dune part, nous naurons pas accès
à ces dix nouveaux marchés et, dautre part, que
les quinze anciens soient appelés à revoir
toute la réglementation qui est en place aujourdhui. Quelques
entreprises en Suisse, grâce à lextension de cet
accord, auront la possibilité de produire et dexporter
davantage. Cest donc finalement dans lintérêt
des postes de travail en Suisse. Et ceci est valable non seulement pour
les industries qui exportent, mais aussi pour lagriculture ou
pour dautres secteurs qui ont tout intérêt à
élargir leur marché. Et le marché européen,
cest 450 millions de personnes, dont 75 millions issus des dix
nouveaux Etats.
»Nous sommes aujourdhui déjà très dépendants
de nos relations avec lEurope. Et je ne crois pas quelle
admette de continuer ces relations comme jusquà présent,
où nous choisissons un petit peu ce que bon nous semble. Pour
moi, cet accord est un contrat économique et je suis convaincu
que nous avons tout intérêt à ce que notre économie
puisse entretenir des relations avec les 25 pays de lUE.»
Comment
expliquer cette impression de décalage entre des travailleurs
plutôt réticents à cette extension et des syndicats
qui lui sont totalement acquis?
Christian Levrat (PS). «Il existe effectivement, au
sein des travailleurs syndiqués, des craintes à légard
dune sous-enchère salariale. Elles sont justifiées
et nous les comprenons. Mais ce dumping salarial nest pas un phénomène
nouveau. On le connaît depuis plusieurs années, et il nest
pas dû à la libre circulation des personnes mais à
des phénomènes internes à léconomie.
On peut relever le renforcement de la concurrence internationale et
sur le marché intérieur ou la course de plus en plus effrénée
aux profits des actionnaires, au détriment de la rémunération
des travailleurs.
»Mais avec cette extension de la libre circulation, on vote également
sur de nouvelles mesures daccompagnement qui viennent renforcer
la protection des travailleurs contre, précisément, la
sous-enchère salariale. On relèvera lextension facilitée
dune convention collective de travail (CCT) à toute une
branche à partir du moment où 50% des employés
de ladite branche y sont déjà soumis. Dans les secteurs
non conventionnés, possibilité est offerte aux cantons,
voire à la Confédération, dédicter
des salaires minimaux en cas de constat de dumping répété.
Voilà une mesure extrêmement concrète qui correspond
à des années de lutte des syndicats. Une autre mesure
étant évidemment lengagement promis par la Confédération
de 150 nouveaux inspecteurs du travail par les cantons.
»Bien sûr, il existe des craintes et de lincertitude
par rapport à la mise en uvre de ces mesures. Vrai que
les cantons ont tardé dans celle concernant les bilatérales
I. Mais la condition au oui des syndicats a toujours été
notre conviction de pouvoir faire respecter ce principe cardinal: tout
travailleur en Suisse est rémunéré à un
salaire suisse.»
Faut-il
craindre une explosion du chômage en Suisse, consécutive
à lextension de laccord sur la libre circulation
des personnes aux dix nouveaux Etats membres de lUnion européenne?
Jean-François Rime. «Le risque existe, mais
il nest pas grand. Au contraire, cette extension permettra de
conserver en Suisse des postes de travail pour lesquels on ne trouve
plus de main-duvre. Cet accord permettra aussi déviter
des délocalisations, dans lindustrie dexportation
notamment. Parce quune entreprise suisse qui doit travailler en
deux ou trois équipes et qui ne trouve pas de main-duvre,
eh bien elle délocalisera! Alors que si elle trouve de la main-duvre
quelle peut faire venir de létranger
elle va pouvoir conserver ces postes.
»Dautre part, cette extension est assortie de contingents
jusquen 2011 [n.d.l.r: la première année, 900 ressortissants
des dix nouveaux Etats pourront obtenir un permis de travail de longue
durée. En 2011, ils seront 3000], voire jusquen 2014. De
plus, sil y avait tout à coup un afflux massif de travailleurs
étrangers y compris ceux des 15 premiers Etats
le peuple pourrait être appelé à se prononcer à
nouveau sur la libre circulation en 2009, via un référendum.
»Les pays de lEst affichent certes des taux de chômage
élevés, mais aussi des taux de croissance à deux
chiffres. Dici 2011, voire 2014, ils auront donc eux aussi besoin
de leur main-duvre. Et puis la mobilité de ces gens
nest pas aussi évidente que ce que certains veulent prétendre.
Des freins existent, comme la culture, la langue ou la famille. Par
ailleurs, ce sont les individus au bénéfice dune
excellente formation qui ont le plus de mobilité: ainsi, si nous
réussissons à faire venir en Suisse des personnes très
bien formées, ce sera tout à lavantage de notre
pays.»
Quelles
seraient les conséquences politiques dun refus?
Jean-Paul Glasson (PRD). «Tout dabord, la libre
circulation fait partie des premiers accords bilatéraux. Nous
ne votons que sur lextension dun droit que nous avons déjà
accepté pour quinze Etats de lUnion européenne.
Les premiers accords bilatéraux étaient liés. Cest-à-dire
que lorsque nous avons voté les neuf accords du premier round,
il suffisait quun seul soit écarté pour que les
autres tombent
Mme Benita Ferrero-Waldner (commissaire européenne
aux relations extérieures) a mis les pieds dans le plat lorsquelle
a dit quen cas de refus de lextension de la libre circulation
aux nouveaux Etats membres, les autres accords tomberaient. Car je crois
quon peut dire que ce ne sera pas le cas. Mais cela namènerait
rien de bon.
»Cette extension de la libre circulation des personnes est normale
puisquau sein de lUE, il y a désormais dix nouveaux
Etats qui ont les mêmes droits et les mêmes devoirs que
les quinze premiers. Et il est clair que si le peuple suisse choisissait
de dire non, lUE se demanderait si cela est acceptable de pratiquer
une politique différenciée entre les anciens et les nouveaux
Etats. Tout laisse à penser quelle ne ladmettra pas.
Cest un peu comme si un Etat disait: Daccord pour
conclure un accord avec la Suisse, mais avec les seuls cantons alémaniques.
»Il ne faut cependant pas verser dans le catastrophisme, car lUE
est assez souple en règle générale. Elle regarde
ses intérêts. Mais elle devrait marquer le coup en cas
de rejet populaire. Elle manifesterait vraisemblablement sa mauvaise
humeur dune manière ou dune autre. Notamment les
nouveaux Etats, qui seraient sans doute fort fâchés de
ne pas bénéficier des mêmes accords que les quinze
anciens.