HUMEUR

Avec Pierre Sansot

L’éloge des vies ordinaires

Il en va des livres comme des rencontres. Les plus impromptus sont souvent les plus riches. Arrivés de manière imprévue dans votre quotidien, perturbant des habitudes établies, ils vous déstabilisent avant de vous intriguer, puis, souvent, de vous passionner. Ainsi en est-il de ce livre déniché dans la pile d’un bouquiniste du marché, papier jauni parmi de vieux papiers. Le nom de son auteur a suffi à éveiller l’intérêt dans cet amoncellement de bouquins déjà lus. Pierre Sansot, énigmatique professeur à l’Université de Montpellier, a signé il y a quelques années un formidable livre (Du bon usage de la lenteur) qui prenait à contre-courant une société hypnotisée par le syndrome de la vitesse.
Le voilà qui s’occupe cette fois des Gens de peu, titre du volume paru au début des années 1990 déjà. Quinze ans après leur publication, ces pages sont d’une étonnante actualité. A l’heure où les «people» envahissent les médias et les blogs squattent les écrans de la pseudo-célébrité, au moment où le vedettariat est érigé en règle, cet éloge des «personnes quelconques» rassure et réjouit. Non, le passage, même furtif, sur un écran de télévision n’est pas la preuve de la réussite. C’est dans l’ombre que se cueillent les plus belles fleurs du bonheur. Sansot vante la noblesse des gestes ordinaires, la chaleur des fêtes populaires, la fantaisie des séances de loto. Il fait l’éloge du bricolage, de la pratique de l’accordéon, des apéritifs sous la tonnelle, des soirées de théâtre villageois…
Partant du principe, à la suite de Gœthe, que «nul n’est un grand homme pour son valet de chambre», ce livre distille une certaine philosophie de la modestie, celle qui imprègne les parties de cartes et l’univers du camping. La culture de «ces gens-là» est, aux yeux de Sansot, aussi défendable que celle qui s’habille de nœuds papillons et de costumes foncés.
Musarder au milieu des vies ordinaires, c’est aller à la rencontre de l’essentiel, de l’inépuisable, de l’invisible. On y fréquente une chaleur humaine qui a déserté les plateaux où se fabriquent, à la pelle, les stars d’un jour. Les pages remarquablement écrites de ces Gens de peu sont parcourues par le souffle d’une poésie puisée dans des bonheurs très domestiques, dans des rituels volés au quotidien. Une pinte de bon sang dans un monde de plus en plus préfabriqué.

Patrice Borcard
13 août 2005

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