VEVEYSE Correspondance Arménie - Châtel-Saint-Denis

Le français pour échanger

IDans le village de Gogaran, au nord de l’Arménie, une trentaine d’élèves consacrent une partie de leur temps libre à l’apprentissage du français. A la clef, une correspondance scolaire avec une classe de Châtel-Saint-Denis. Visite à l’occasion d’un camp d’été à l’école de Gogaran.


Ce qui motive les jeunes «Gogarantsi»? L’envie de se faire de nouveaux amis à l’étranger (photo L. Bersier)

 

Sur la scène, sous les encouragements rythmés de leur équipe respective, deux jeunes filles s’affairent à préparer en deux minutes un petit chef-d’œuvre de salade qu’elles présenteront au jury. Fières et très adroites, elles s’affrontent lors du traditionnel concours «Allez les filles!» qui clôt la semaine de colonie dans ce village de montagne du nord de l’Arménie. Les autres épreuves sont tout aussi «féminines»: dresser une belle table, trier le riz, créer une jolie coiffure, repasser...
Cette semaine de camp a fait la part belle à la langue de Molière: atelier de théâtre, animations-santé données par deux étudiantes de Genève, apprentissage de chants en français. Aznive Aslikian, enseignante de français à l’école de Gogaran, a organisé une semaine d’activités pour les enfants de son groupe de français. En plus des vingt jeunes francophiles, une dizaine d’écoliers du village de Medzavan, à deux heures de route de là, sont également invités. Ils sont accueillis pour la semaine dans des familles de Gogaran.
Mesrop, 10 ans, est le plus jeune élève du groupe de français. La plupart des autres, qui ont jusqu’à quinze ans, le dépassent d’une bonne tête. Ils sont une trentaine en tout à suivre le cours facultatif de français. Pendant l’année scolaire, Aznive Aslikian monte chaque semaine depuis la ville voisine de Vanadzor avec le minibus du vendredi soir pour donner trois fois deux heures de français, les vendredi et samedi soir et le dimanche matin. Elle est payée par l’association Komitas Action Suisse-Arménie (KASA), qui a financé également la reconstruction de l’école.

Des amis à l’étranger
Depuis que le groupe a entrepris une correspondance scolaire avec la classe de Denis Bergmann à Prayoud, à Châtel-Saint-Denis (La Gruyère du 24 avril 2005), le cours de français a connu un engouement sans précédent. Ce qui motive les jeunes «Gogarantsi»? Les réponses à cette question ressemblent beaucoup à celles de leurs homologues veveysans : l’envie de connaître des enfants d’un autre pays, d’avoir des nouveaux amis à l’étranger, de connaître leur culture et leurs coutumes. Ils aimeraient par ailleurs en savoir plus sur l’histoire, la religion et les personnalités connues en Suisse (chanteurs, artistes, poètes, écrivains, metteurs en scène). Et surtout: «Quand est-ce que ce sera possible d’aller les voir en Suisse?»
Avec Aznive Aslikian, ils ont appris, outre des bases en français, un peu de géographie de la Suisse, sa situation dans l’Europe, la capitale et les villes principales, ainsi que nos 4 langues et... les banques et les montres! Certains ont même cru comprendre qu’il n’y avait pas d’armée en Suisse, neutralité oblige!
Ces adolescents très sages deviennent lyriques lorsqu’ils sont invités à parler de leur propre pays. Nariné, 13 ans: «C’est vrai qu’il y a des difficultés, mais je crois que nous aurons un beau pays, parce que les poètes disent que ça ira mieux!» Pour Gevorg, 15 ans, «l’Arménie a une belle nature, beaucoup de pierres et d’endroits intéressants. Les gens sont accueillants et chaleureux. Les montagnes donnent une belle vue, il y a des endroits sacrés. L’Arménie a une histoire riche.» Et Alik de résumer: «L’Arménie est un musée sous le ciel.»

Au ménage et aux champs
Ils sont timides au début, surtout les garçons. Mais ils se donnent la peine de sortir leur plus beau français pour raconter leur vie quo-tidienne. Lorsque les idées deviennent trop complexes, Aznive Aslikian se charge de la traduction.
Issus de familles de 2 à 4 enfants, ils partagent souvent leur foyer avec une tante ou l’un des grands-parents. Contrairement à de nombreux endroits en Arménie, ici, peu de pères de famille sont partis travailler en Russie. La journée de ces jeunes? Ecole de 9 h à 14 h, six jours par semaine, puis leçons et jeux ou télé. La plupart des enfants doivent également aider au ménage (les filles) ou aux champs.
La semaine a été bien remplie: excursions et visites de lieux historiques, chants et danses arméniennes, sport, repas en commun. Des activités certainement bienvenues au milieu des trois mois de vacances d’été. L’animation à l’école attire aussi les autres enfants du village, un peu envieux, et même quelques jeunes adultes qui, à la fin de la journée, viennent faire un tour, une partie de volley ou de ping-pong, ou simplement discuter et fumer leur cigarette sur le parvis de l’école. Un peu désœuvrés et visiblement en recherche de contact avec les visiteurs étrangers.

Portrait express

Avant le tremblement de terre de 1988, qui a ravagé le nord du pays, le village de Gogaran, comptait 1750 habitants. Situé dans la province de Lori, à 1850 m d’altitude, il vivait de l’agriculture (seigle blé, pomme de terre, choux, betterave sucrière) et de l’élevage de bovins et d’ovins. Une usine de couture, abandonnée aujourd’hui, employait une centaine de personnes. Les maisons de deux étages en pierre étaient chauffées et meublées, reliées au gaz et au téléphone dans 85% des cas. Le village comptait deux magasins d’alimentation et un grand magasin, une école secondaire, un jardin d’enfants et une infirmerie.
Le 7 décembre 1988, l’épicentre du tremblement de terre (7 sur l’échelle de Richter) se trouve à 3 km du village. Toutes les maisons ont été détruites, 119 personnes sont mortes, dont 87 dans l’école qui s’est effondrée. De nombreuses personnes gardent des séquelles.
Aujourd’hui, le nombre d’habitants se situe autour des 1200. Des maisons ont été reconstruites, notamment par les Russes, les Allemands et les Italiens. Les projets russes sont cependant restés en suspens après l’effondrement de l’Union soviétique. Environ la moitié de la population vit encore dans des habitations provisoires, parfois de simples wagons. L’école a été reconstruite à l’aide de fonds suisses et inaugurée en octobre 2002. Elle accueille environ 300 élèves de 7 à 17 ans, répartis en 15 classes.


Quel avenir pour les jeunes?

Il n’est pas inhabituel d’apprendre une troisième langue en Arménie, après le russe qui est encore très largement enseigné et parlé dans cette ancienne république soviétique. L’anglais gagne du terrain, certaines écoles proposent aussi l’allemand ou le français dès la 2e, 3e ou 4e année. Mais à moins de faire des études, les jeunes auront peu d’occasions de les utiliser.
La scolarité obligatoire de dix ans s’effectue à l’école du village qui accueille les niveaux primaires et secondaires. Après? A 17 ans, les jeunes peuvent poursuivre des études dans un «institut» (école supérieure, universitaire ou non), pour une durée de quatre ou cinq ans, puis une formation supérieure. La plupart des jeunes filles du groupe de français ont l’intention de
faire des études, pour devenir journalistes, enseignantes, médecins ou juristes. Les garçons ont manifesté plus d’attirance pour une carrière dans le sport, notamment le foot et la lutte, sport traditionnel en Arménie.
Mais la réalité est brutale: l’an passé, selon Aznive Aslikian, seules deux jeunes filles du village sont parties étudier, l’année d’avant, une seule. La faute au manque de moyen et aux examens d’admission. Et lorsqu’ils ne vont pas à l’institut, ces jeunes n’ont pas vraiment d’autre possibilité d’apprendre un métier. Reste l’agriculture et l’élevage au domicile familial, des (tout) petits boulots, et l’espoir de trouver, un jour, un travail en ville.


Antoinette Prince
30 août 2005

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