Sur
la scène, sous les encouragements rythmés de leur équipe
respective, deux jeunes filles saffairent à préparer
en deux minutes un petit chef-duvre de salade quelles
présenteront au jury. Fières et très adroites,
elles saffrontent lors du traditionnel concours «Allez les
filles!» qui clôt la semaine de colonie dans ce village
de montagne du nord de lArménie. Les autres épreuves
sont tout aussi «féminines»: dresser une belle table,
trier le riz, créer une jolie coiffure, repasser...
Cette semaine de camp a fait la part belle à la langue de Molière:
atelier de théâtre, animations-santé données
par deux étudiantes de Genève, apprentissage de chants
en français. Aznive Aslikian, enseignante de français
à lécole de Gogaran, a organisé une semaine
dactivités pour les enfants de son groupe de français.
En plus des vingt jeunes francophiles, une dizaine décoliers
du village de Medzavan, à deux heures de route de là,
sont également invités. Ils sont accueillis pour la semaine
dans des familles de Gogaran.
Mesrop, 10 ans, est le plus jeune élève du groupe de français.
La plupart des autres, qui ont jusquà quinze ans, le dépassent
dune bonne tête. Ils sont une trentaine en tout à
suivre le cours facultatif de français. Pendant lannée
scolaire, Aznive Aslikian monte chaque semaine depuis la ville voisine
de Vanadzor avec le minibus du vendredi soir pour donner trois fois
deux heures de français, les vendredi et samedi soir et le dimanche
matin. Elle est payée par lassociation Komitas Action Suisse-Arménie
(KASA), qui a financé également la reconstruction de lécole.
Des
amis à létranger
Depuis que le groupe a entrepris une correspondance scolaire avec
la classe de Denis Bergmann à Prayoud, à Châtel-Saint-Denis
(La Gruyère du 24 avril 2005), le cours de français a
connu un engouement sans précédent. Ce qui motive les
jeunes «Gogarantsi»? Les réponses à cette
question ressemblent beaucoup à celles de leurs homologues veveysans
: lenvie de connaître des enfants dun autre pays,
davoir des nouveaux amis à létranger, de connaître
leur culture et leurs coutumes. Ils aimeraient par ailleurs en savoir
plus sur lhistoire, la religion et les personnalités connues
en Suisse (chanteurs, artistes, poètes, écrivains, metteurs
en scène). Et surtout: «Quand est-ce que ce sera possible
daller les voir en Suisse?»
Avec Aznive Aslikian, ils ont appris, outre des bases en français,
un peu de géographie de la Suisse, sa situation dans lEurope,
la capitale et les villes principales, ainsi que nos 4 langues et...
les banques et les montres! Certains ont même cru comprendre quil
ny avait pas darmée en Suisse, neutralité
oblige!
Ces adolescents très sages deviennent lyriques lorsquils
sont invités à parler de leur propre pays. Nariné,
13 ans: «Cest vrai quil y a des difficultés,
mais je crois que nous aurons un beau pays, parce que les poètes
disent que ça ira mieux!» Pour Gevorg, 15 ans, «lArménie
a une belle nature, beaucoup de pierres et dendroits intéressants.
Les gens sont accueillants et chaleureux. Les montagnes donnent une
belle vue, il y a des endroits sacrés. LArménie
a une histoire riche.» Et Alik de résumer: «LArménie
est un musée sous le ciel.»
Au
ménage et aux champs
Ils sont timides au début, surtout les garçons. Mais
ils se donnent la peine de sortir leur plus beau français pour
raconter leur vie quo-tidienne. Lorsque les idées deviennent
trop complexes, Aznive Aslikian se charge de la traduction.
Issus de familles de 2 à 4 enfants, ils partagent souvent leur
foyer avec une tante ou lun des grands-parents. Contrairement
à de nombreux endroits en Arménie, ici, peu de pères
de famille sont partis travailler en Russie. La journée de ces
jeunes? Ecole de 9 h à 14 h, six jours par semaine, puis leçons
et jeux ou télé. La plupart des enfants doivent également
aider au ménage (les filles) ou aux champs.
La semaine a été bien remplie: excursions et visites de
lieux historiques, chants et danses arméniennes, sport, repas
en commun. Des activités certainement bienvenues au milieu des
trois mois de vacances dété. Lanimation à
lécole attire aussi les autres enfants du village, un peu
envieux, et même quelques jeunes adultes qui, à la fin
de la journée, viennent faire un tour, une partie de volley ou
de ping-pong, ou simplement discuter et fumer leur cigarette sur le
parvis de lécole. Un peu désuvrés et
visiblement en recherche de contact avec les visiteurs étrangers.
Portrait
express
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Avant
le tremblement de terre de 1988, qui a ravagé le nord
du pays, le village de Gogaran, comptait 1750 habitants. Situé
dans la province de Lori, à 1850 m daltitude, il
vivait de lagriculture (seigle blé, pomme de terre,
choux, betterave sucrière) et de lélevage
de bovins et dovins. Une usine de couture, abandonnée
aujourdhui, employait une centaine de personnes. Les maisons
de deux étages en pierre étaient chauffées
et meublées, reliées au gaz et au téléphone
dans 85% des cas. Le village comptait deux magasins dalimentation
et un grand magasin, une école secondaire, un jardin
denfants et une infirmerie.
Le 7 décembre 1988, lépicentre du tremblement
de terre (7 sur léchelle de Richter) se trouve
à 3 km du village. Toutes les maisons ont été
détruites, 119 personnes sont mortes, dont 87 dans lécole
qui sest effondrée. De nombreuses personnes gardent
des séquelles.
Aujourdhui, le nombre dhabitants se situe autour
des 1200. Des maisons ont été reconstruites, notamment
par les Russes, les Allemands et les Italiens. Les projets russes
sont cependant restés en suspens après leffondrement
de lUnion soviétique. Environ la moitié
de la population vit encore dans des habitations provisoires,
parfois de simples wagons. Lécole a été
reconstruite à laide de fonds suisses et inaugurée
en octobre 2002. Elle accueille environ 300 élèves
de 7 à 17 ans, répartis en 15 classes.
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Quel
avenir pour les jeunes?
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Il
nest pas inhabituel dapprendre une troisième
langue en Arménie, après le russe qui est encore
très largement enseigné et parlé dans cette
ancienne république soviétique. Langlais
gagne du terrain, certaines écoles proposent aussi lallemand
ou le français dès la 2e, 3e ou 4e année.
Mais à moins de faire des études, les jeunes auront
peu doccasions de les utiliser.
La scolarité obligatoire de dix ans seffectue à
lécole du village qui accueille les niveaux primaires
et secondaires. Après? A 17 ans, les jeunes peuvent poursuivre
des études dans un «institut» (école
supérieure, universitaire ou non), pour une durée
de quatre ou cinq ans, puis une formation supérieure.
La plupart des jeunes filles du groupe de français ont
lintention de
faire des études, pour devenir journalistes, enseignantes,
médecins ou juristes. Les garçons ont manifesté
plus dattirance pour une carrière dans le sport,
notamment le foot et la lutte, sport traditionnel en Arménie.
Mais la réalité est brutale: lan passé,
selon Aznive Aslikian, seules deux jeunes filles du village
sont parties étudier, lannée davant,
une seule. La faute au manque de moyen et aux examens dadmission.
Et lorsquils ne vont pas à linstitut, ces
jeunes nont pas vraiment dautre possibilité
dapprendre un métier. Reste lagriculture
et lélevage au domicile familial, des (tout) petits
boulots, et lespoir de trouver, un jour, un travail en
ville.
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