«Tu peux venir.
Les pieds en avant.» Une fois assis à lentrée
du tunnel rocheux, on se rend compte que la pierre ne glisse pas comme
le plastique dun toboggan. Pour avancer, il faut se contorsionner,
baisser la tête, se pousser avec les mains. Des exercices auxquels
sont habitués les guides du jour: trois membres du Groupe spéléo
de Lausanne. Ils ont accepté de nous emmener dans les entrailles
de la Gruyère, dans le réseau de galeries du Folliu Borna,
au-dessus dAlbeuve.
La lumière du soleil disparaît rapidement et il faut shabituer
à la luminosité crue de la lampe frontale, rivée
au casque. Quelques mètres à peine après lentrée,
elle éclaire les premières difficultés techniques
de la descente. Un rappel de quelques mètres pour rejoindre le
niveau inférieur. Petite explication de Michel Demierre sur lutilisation
du descendeur, accessoire métallique qui permet de bloquer la
corde, pour autant quon lutilise correctement. «Tu
tiens le descendeur dans la main gauche. Tu fais un s avec la corde
et tu le refermes jusquà ce que ça fasse clic. OK,
maintenant tu te pends dans le vide et tu appuies sur la poignée.»
Pas facile quand on est spéléologue débutant de
descendre de façon continue. La lampe frontale découvre
donc par à-coups les parois alentour et le sol où se termine
ce premier rappel. Devant, Florian Ballenegger disparaît déjà
dans le prochain puits. «Laccès au réseau
est beaucoup plus facile depuis quon a découvert ce Gouffre
de la voie lactée, explique pourtant Michel Demierre. Avant,
nous passions par une autre entrée, mais elle était nettement
plus étroite.» Au total, cette zone qui sétend
au pied du Folliu Borna compte une cinquantaine de trous explorés,
plus où moins profonds.
De létroit
au vertige
Au fur et à mesure de la progression, des cavités
plus grandes donnent loccasion de respirer plus profondément.
Ce quil y a détonnant en spéléologie,
cest quon peut se sentir à létroit,
coincé entre deux parois rocheuses, à viser lendroit
le plus large où les hanches vont pouvoir passer, et trois secondes
après se retrouver sur une petite vire sculptée par leau,
qui se découpe dans un noir sans profondeur. Heureux quil
y ait des mains courantes où sassurer pour lutter contre
le vertige.
Balade dans le
Jurassique
Vincent Ballenegger se prépare au prochain rappel. Bref
instant de répit qui donne loccasion dobserver le
monde qui nous entoure. Les gouttelettes deau scintillent au-dessus
de nos têtes comme des cristaux précieux. Là où
elles ont suivi le même chemin depuis plusieurs centaines ou milliers
dannées, elles ont laissé des petites stalactites
de quelques centimètres ou encore un joli drapé. Témoin
de la longue histoire des Préalpes, une ammonite sculptée
sur une dalle rappelle les épisodes océaniques qui ont
vu se déposer ces roches calcaires, du temps où les dinosaures
étaient rois.
Par moments, le chemin choisi par les spéléologues suit
le ruisseau souterrain. Une occasion de se désaltérer.
«Si on passe par en haut ça ne mouille pas, si on passe
par en bas il pleut, indique Michel Demierre. Mais cest plus joli
par en bas.» Va pour la pluie, protégé par la combinaison,
qui a perdu son jaune pétant et son bleu roi du début
pour une couleur uniformément boueuse. La roche ressemble ici
à un véritable emmental, avec des trous et des galeries
qui se croisent. La lumière de Florian Ballenegger éclaire
déjà le prochain ressaut, le dernier de lescapade
de ce jour.
«Moins 150 mètres», annoncent les spéléologues.
La suite, plus technique, nest pas accessible aux non-initiés.
Les explorateurs du Groupe spéléo de Lausanne descendent
eux jusquà 550 mètres dans ce réseau
quils explorent depuis 1997. Douze heures sont alors nécessaires
pour atteindre le fond et remonter, plus encore sils décident
de poursuivre leur découverte et déquiper une nouvelle
zone.
Mais pour un premier essai, la remontée de 150 mètres
sera déjà bien suffisante. Un système de poignée,
de pédale et de bloqueur permet de se hisser sur les cordes de
rappel. Le temps dattente entre chacun permet au froid de sintroduire
dans les vêtements humidifiés. Entre deux ascensions, on
repasse dans lautre sens les obstacles rencontrés à
laller. Instant de panique quand le descendeur accroché
au baudrier reste coincé entre deux plaques de calcaire. Ouf!
les hommes dexpérience sont là pour parer à
la situation!
Un Gruyère
dalpage
Des traces de boue sur le nez et le front, on ressort du gouffre
après cinq heures à crapahuter au cur des rochers.
Le soleil joue à cache-cache avec les nuages, mais quel bonheur
de sentir sa chaleur. Encore quelques minutes de marche avant de rejoindre
le chalet de Chenau où les spéléologues sont en
camp pour deux semaines. Après sêtre débarrassés
des bottes de caoutchouc, combinaisons, sous-combinaisons, gants et
casques, on refait encore une fois le parcours, en paroles. Le tout
accompagné dun café et de Gruyère fabriqué
par Charly Bochud, propriétaire de lalpage.
Davantage dinformations:
www.speleo-lausanne.ch et www.scpf.org
Cette
eau qui ronge la roche
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Les réseaux
de cavités comme celui du Folliu Borna résultent
de la dissolution lente de la roche carbonatée par les
eaux météoriques, qui se chargent dacide
humique en traversant les couches végétalisées
du sol.
Cette érosion chimique, appelée karstique, modèle
le paysage, en surface comme en profondeur. Son action est encore
accentuée par une érosion mécanique due
à lécoulement des eaux. Quelques dizaines
de milliers dannées sont nécessaires à
la mise en place dun karst.
Si on garde les pieds sur le plancher des vaches, on pourra
observer des petits effondrements en entonnoirs appelés
dolines, des surfaces de plateaux calcaires sculptés
désignées sous le nom de lapiez, ou encore des
gouffres et des grottes pour ne citer que les plus connus. En
senfonçant sous terre, domaine de la spéléologie,
on découvrira des puits, des galeries fossiles, des méandres
(galeries étroites et hautes, à tracé sinueux),
des stalactites, des stalagmites
Toutes les cavités créées par la dissolution
carbonatée sont alors organisées en un réseau.
Et, bien que souterrain, il se comporte comme un réseau
hydrographique, avec des affluents primaires, secondaires, etc.
qui rejoignent un collecteur principal. Le débit de ce
dernier représente la totalité de leau souterraine
drainée dans le massif. La vitesse découlement
est directement liée à la différence daltitude
entre les points dengouffrement et lexutoire.
Certains réseaux atteignent des dimensions considérables.
Le Mammoth cave system, aux Etats-Unis, atteint plus de 580
kilomètres de galeries pénétra-bles. En
Suisse, le Hölloch (SZ) se développe sur 189 kilomètres.
Dautres réseaux battent des records en senfonçant
très profondément: en Haute-Savoie, le gouffre
Mirolda descend à 1733 mètres.
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