GRUYÈRE Spéléologie

Dans le ventre de la Gruyère

Depuis 1997, le Groupe de spéléo de Lausanne explore les grottes et les gouffres situés au pied du Folliu Borna, sur les hauts d’Albeuve. Les explorateurs ont découvert un réseau profond de 550 mètres et espèrent le prolonger encore. En camp durant les deux dernières semaines, ils ont accepté de nous faire découvrir les dessous de la Gruyère.


Dans le réseau du Folliu Borna, les explorateurs du Groupe spéléo de Lausanne descendent jusqu’à – 550 mètres. Douze heures sont alors nécessaires pour atteindre le fond et remontert
(photos M. Demierre)

 

«Tu peux venir. Les pieds en avant.» Une fois assis à l’entrée du tunnel rocheux, on se rend compte que la pierre ne glisse pas comme le plastique d’un toboggan. Pour avancer, il faut se contorsionner, baisser la tête, se pousser avec les mains. Des exercices auxquels sont habitués les guides du jour: trois membres du Groupe spéléo de Lausanne. Ils ont accepté de nous emmener dans les entrailles de la Gruyère, dans le réseau de galeries du Folliu Borna, au-dessus d’Albeuve.
La lumière du soleil disparaît rapidement et il faut s’habituer à la luminosité crue de la lampe frontale, rivée au casque. Quelques mètres à peine après l’entrée, elle éclaire les premières difficultés techniques de la descente. Un rappel de quelques mètres pour rejoindre le niveau inférieur. Petite explication de Michel Demierre sur l’utilisation du descendeur, accessoire métallique qui permet de bloquer la corde, pour autant qu’on l’utilise correctement. «Tu tiens le descendeur dans la main gauche. Tu fais un s avec la corde et tu le refermes jusqu’à ce que ça fasse clic. OK, maintenant tu te pends dans le vide et tu appuies sur la poignée.»
Pas facile quand on est spéléologue débutant de descendre de façon continue. La lampe frontale découvre donc par à-coups les parois alentour et le sol où se termine ce premier rappel. Devant, Florian Ballenegger disparaît déjà dans le prochain puits. «L’accès au réseau est beaucoup plus facile depuis qu’on a découvert ce Gouffre de la voie lactée, explique pourtant Michel Demierre. Avant, nous passions par une autre entrée, mais elle était nettement plus étroite.» Au total, cette zone qui s’étend au pied du Folliu Borna compte une cinquantaine de trous explorés, plus où moins profonds.

De l’étroit au vertige
Au fur et à mesure de la progression, des cavités plus grandes donnent l’occasion de respirer plus profondément. Ce qu’il y a d’étonnant en spéléologie, c’est qu’on peut se sentir à l’étroit, coincé entre deux parois rocheuses, à viser l’endroit le plus large où les hanches vont pouvoir passer, et trois secondes après se retrouver sur une petite vire sculptée par l’eau, qui se découpe dans un noir sans profondeur. Heureux qu’il y ait des mains courantes où s’assurer pour lutter contre le vertige.

Balade dans le Jurassique
Vincent Ballenegger se prépare au prochain rappel. Bref instant de répit qui donne l’occasion d’observer le monde qui nous entoure. Les gouttelettes d’eau scintillent au-dessus de nos têtes comme des cristaux précieux. Là où elles ont suivi le même chemin depuis plusieurs centaines ou milliers d’années, elles ont laissé des petites stalactites de quelques centimètres ou encore un joli drapé. Témoin de la longue histoire des Préalpes, une ammonite sculptée sur une dalle rappelle les épisodes océaniques qui ont vu se déposer ces roches calcaires, du temps où les dinosaures étaient rois.
Par moments, le chemin choisi par les spéléologues suit le ruisseau souterrain. Une occasion de se désaltérer. «Si on passe par en haut ça ne mouille pas, si on passe par en bas il pleut, indique Michel Demierre. Mais c’est plus joli par en bas.» Va pour la pluie, protégé par la combinaison, qui a perdu son jaune pétant et son bleu roi du début pour une couleur uniformément boueuse. La roche ressemble ici à un véritable emmental, avec des trous et des galeries qui se croisent. La lumière de Florian Ballenegger éclaire déjà le prochain ressaut, le dernier de l’escapade de ce jour.
«Moins 150 mètres», annoncent les spéléologues. La suite, plus technique, n’est pas accessible aux non-initiés. Les explorateurs du Groupe spéléo de Lausanne descendent eux jusqu’à –550 mètres dans ce réseau qu’ils explorent depuis 1997. Douze heures sont alors nécessaires pour atteindre le fond et remonter, plus encore s’ils décident de poursuivre leur découverte et d’équiper une nouvelle zone.
Mais pour un premier essai, la remontée de 150 mètres sera déjà bien suffisante. Un système de poignée, de pédale et de bloqueur permet de se hisser sur les cordes de rappel. Le temps d’attente entre chacun permet au froid de s’introduire dans les vêtements humidifiés. Entre deux ascensions, on repasse dans l’autre sens les obstacles rencontrés à l’aller. Instant de panique quand le descendeur accroché au baudrier reste coincé entre deux plaques de calcaire. Ouf! les hommes d’expérience sont là pour parer à la situation!

Un Gruyère d’alpage
Des traces de boue sur le nez et le front, on ressort du gouffre après cinq heures à crapahuter au cœur des rochers. Le soleil joue à cache-cache avec les nuages, mais quel bonheur de sentir sa chaleur. Encore quelques minutes de marche avant de rejoindre le chalet de Chenau où les spéléologues sont en camp pour deux semaines. Après s’être débarrassés des bottes de caoutchouc, combinaisons, sous-combinaisons, gants et casques, on refait encore une fois le parcours, en paroles. Le tout accompagné d’un café et de Gruyère fabriqué par Charly Bochud, propriétaire de l’alpage.

Davantage d’informations: www.speleo-lausanne.ch et www.scpf.org

Cette eau qui ronge la roche

Les réseaux de cavités comme celui du Folliu Borna résultent de la dissolution lente de la roche carbonatée par les eaux météoriques, qui se chargent d’acide humique en traversant les couches végétalisées du sol.
Cette érosion chimique, appelée karstique, modèle le paysage, en surface comme en profondeur. Son action est encore accentuée par une érosion mécanique due à l’écoulement des eaux. Quelques dizaines de milliers d’années sont nécessaires à la mise en place d’un karst.
Si on garde les pieds sur le plancher des vaches, on pourra observer des petits effondrements en entonnoirs appelés dolines, des surfaces de plateaux calcaires sculptés désignées sous le nom de lapiez, ou encore des gouffres et des grottes pour ne citer que les plus connus. En s’enfonçant sous terre, domaine de la spéléologie, on découvrira des puits, des galeries fossiles, des méandres (galeries étroites et hautes, à tracé sinueux), des stalactites, des stalagmites…
Toutes les cavités créées par la dissolution carbonatée sont alors organisées en un réseau. Et, bien que souterrain, il se comporte comme un réseau hydrographique, avec des affluents primaires, secondaires, etc. qui rejoignent un collecteur principal. Le débit de ce dernier représente la totalité de l’eau souterraine drainée dans le massif. La vitesse d’écoulement est directement liée à la différence d’altitude entre les points d’engouffrement et l’exutoire.
Certains réseaux atteignent des dimensions considérables. Le Mammoth cave system, aux Etats-Unis, atteint plus de 580 kilomètres de galeries pénétra-bles. En Suisse, le Hölloch (SZ) se développe sur 189 kilomètres. D’autres réseaux battent des records en s’enfonçant très profondément: en Haute-Savoie, le gouffre Mirolda descend à 1733 mètres.


Sophie Roulin
30 août 2005

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