Dans son réquisitoire,
le substitut du procureur général Raphaël Bourquin
abandonne le chef daccusation de viol, pour ne retenir que les
actes dordre sexuel avec une personne dépendante. Question
centrale: «Pourquoi un homme de 40 ans propose-t-il à une
apprentie de 17 ans de dormir dans son lit?» Ce faisant, laccusé
était moralement et pénalement coupable. Dès lors,
le représentant du Ministère public requiert 18 mois demprisonnement,
avec sursis pendant cinq ans. «Et pour être clair (précise-t-il),
jaurais exactement requis la même peine avant le rapport
sur la cure dhypnose.»
Strictement thérapeutique
Ce fameux rapport avait été demandé comme pièce
à conviction lors de la première séance du tribunal,
en novembre passé, par lavocate de la jeune fille. Mardi,
pour éclairer la lanterne des juges, le président Philippe
Vallet avait requis laudition dun expert neutre: le Dr Eric
Bonvin, qui préside lInstitut romand dhypnose. La
déposition de ce pratiquant et enseignant de lhypnose ne
fait pas dans la dentelle. Cette technique médicale, en vigueur
depuis 160 ans, utilise létat de transes pour modifier
les perceptions. En particulier, lhypnose ericksonienne, du nom
de son inventeur Milton Erickson, qui vécut aux Etats-Unis jusquen
1981, permet de soulager les peurs, angoisses et souffrances. Mais,
précise le Dr Bonvin, «dans un but strictement thérapeutique».
Lhypnose nest en aucun cas un sérum de vérité.
Aux USA et au Canada, où elle a été utilisée
dans le domaine judiciaire, cette pratique tend à être
retirée, à la suite de dérives. Lexpert conclut
par ces phrases sans appel: «Il faut être très prudent.
Beaucoup dindices doivent se recouper. La vérité
dun témoignage sous hypnose nest pas supérieure
à un témoignage ordinaire.»
Accusations maintenues
Voilà qui nétait pas pour arranger la plaignante.
Son avocate, Me Manuela Bracher-Edelmann, précise quelle
avait demandé la production de lexpertise dhypnose
non comme un sérum de vérité, mais comme un apport
déléments utiles. Elle maintient ses accusations:
la jeune fille, fragilisée, a bel et bien été victime
dun rapport de dépendance. Laccusé avait les
prérogatives dun maître dapprentissage. Il
a abusé de son pouvoir, en la contraignant à des actes
dordre sexuel. Lavocate souligne cette contradiction: laccusé,
qui disait sa répulsion pour les piercings de la jeune fille,
a finalement admis quelle avait dormi dans son lit. «Vous
laisseriez votre lit à une personne si répugnante?»
Allumeuse et
menteuse
Dans une longue plaidoirie, lavocate de laccusé,
Me Geneviève Chapuis-Emery, a décortiqué le fonctionnement
de ces rapports où son client ne fut que le pigeon. «Trop
bon, trop naïf, et finalement stupide», il était le
saint-bernard qui voulait porter secours à la jeune fille. Et
lavocate a brossé un noir portrait de la plaignante: «Il
faut oser le dire: cest une fille désaxée, délurée,
amorale. Cest une allumeuse, dans ses paroles et dans son comportement.
Une manipulatrice.» Et pourquoi? Par vengeance. Lavocate
en veut pour preuve que la jeune fille a mis en place un stratagème
au moment où laccusé, père de deux enfants,
avait décidé de partir en vacances avec une nouvelle compagne.
Dailleurs, lors de la cure sous hypnose, la première chose
dont elle parle est le viol, aussitôt suivie de ces mots: «Il
faut quil paie.»
Machiavélisme
Au moment de la dernière parole rituelle, laccusé
a abondé: «Jai été pris dans un engrenage
infernal.» Puis: «Je ne sais plus quoi faire. Tout ce que
jai fait partait dune bonne intention. Deux ans de ma vie
sont bousillés. Jamais je naurais imaginé un pareil
machiavélisme.»
Les juges ont partiellement suivi la plaidoirie de la défense,
qui demandait lacquittement pur et simple. Ils ont acquitté
le Gruérien au bénéfice du doute. Les conclusions
civiles 8000 francs demandés par la plaignante pour tort
moral ont été renvoyées à la connaissance
du juge civil.