MAGAZINE Animal de l’année

Le lézard agile en danger

Encore en léthargie profonde -il attend le printemps pour ouvrir un œil -le lézard agile ou lézard des souches a été proclamé Animal de l’année 2005 par Pro Natura. Jadis très commun, ce lézard fait partie des quatorze espèces de reptiles recensées en Suisse qui figurent sur la Liste rouge.

Animal de l’année pour Pro Natura, le lézard agile est sur la liste des reptiles menacés en Suisse (M. Partsch/Pro Natura)

Lacerta agilis: lézard agile ou lézard des souches. C’est cette petite bête d’une vingtaine de centimètres et ne pesant que dix grammes – même si, chacune de ses quatre à cinq années de vie, parfois dix, elle engloutit l’équivalent de quatre fois son poids – que Pro Natura a choisie comme Animal de l’année 2005. «Du côté des victimes malgré sa modestie», justifie la principale organisation suisse de protection de la nature.
«Les reptiles comme lui sont les grands perdants de nos paysages uniformes et “propres en ordre”. Ce qui est particulièrement triste, c’est que ce lézard a des exigences si modestes sur le plan du milieu de vie et du climat, qu’il devrait malgré tout bien prospérer en Suisse.» Le Lacerta agilis, cet adorateur de l’astre du jour, ne demande pourtant pas le Pérou: un coin au soleil, une bonne cachette, un trou où passer l’hiver sans être embêté, voilà qui suffit à son bonheur.

De commun à rare
Jusqu’au milieu du siècle passé, le lézard agile passait encore pour commun, banal. Son nom, lézard des souches, laisse entendre qu’il était répandu, lui qui colonisait prairies sèches, remblais de chemin de fer, talus, fossés et lisières de forêt dans une Suisse dont les coutures paysagères ne craquaient pas encore…
Ce petit lézard s’invitait souvent dans nos jardins moins bétonnés qu’aujourd’hui. On pouvait le voir jaillir comme un éclair d’un tas de bois ou d’un pierrier, déguerpir d’une souche d’arbre ou se faufiler dans un vieux tronc. Quand ils n’ont pas été systématiquement éliminés de notre paysage tiré au cordeau, les lézards sont victimes des herbicides ou subissent les modifications de leurs espaces, mis à mal par les faucheuses et les flammes qui embrasent les hautes herbes sèches des talus.

Un ennemi, le chat
Les menaces qui pèsent sur ce petit lézard s’appellent aussi implantation anarchique des constructions, agriculture intensive, utilisation soutenue du sol. Et densité trop élevée de chats domestiques! Dans les quartiers en pleine campagne, où il y a un ou deux chats par villa, il ne peut plus y avoir de lézard. Pour les chats, ce petit animal est un jouet. Le plaisir de tuer, car le chat ne mange pas sa proie quand elle est morte.
Une charge lourde, si on l’ajoute à celle des rapaces, hérons, oiseaux chanteurs et mammifères (renard, martre, sanglier) qui sont des prédateurs naturels du lézard, que d’autres reptiles ne se privent pas non plus de persécuter, tandis que des insectes, carabes et courtilières des jardins, se montrent très friands d’œufs de lézard.
Bilan de ce catalogue de doléances: «Pour un grand nombre de personnes, le lézard n’est plus qu’un souvenir des promenades dominicales de leur enfance», déplore Pro Natura, qui tire la sonnette d’alarme. Car seul l’orvet – qui n’est pas un serpent mais un lézard sans pattes – ne figure (pas encore) sur la Liste rouge des reptiles menacés (quatorze espèces recensées en Suisse).

On peut le protéger
Il n’y a pas qu’en Suisse que le lézard des souches est en péril: tout le nord-ouest de l’Europe est concerné. Les mesures de survie de l’espèce ne sont pourtant pas bien compliquées. Il faut privilégier l’exposition sud-ouest/sud-est des coteaux et lisières, laisser prospérer des lieux de végétation haute et clairsemée sur fond d’herbes sèches et préserver des endroits dénudés, sans végétation. Le maintien de couverts (empierrements, buissons, piles de bois, amas de branchages, déblais ou trous de rongeurs, tas de sable pour la ponte) est une autre mesure. Et puis, autant que faire se peut, il faudrait tenir les chats domestiques à l’écart de ces espaces à préserver, ou maintenir la densité de ces félins suralimentés dans une proportion supportable (pour le bien des oiseaux, aussi)…
Pro Natura observe que la quasi-totalité des lézards agiles est confinée dans des biotopes de transition où ils ne disposent plus que de quelques mètres carrés pour survivre. Si bien que, de plus en plus, à l’instar de ces renards qui, chassés de nos campagnes par la pression de l’homme, envahissent le centre des grandes villes, les lézards colonisent les terrains de golf, les pépinières et même les cimetières! «Cette observation peut faire croire que l’espèce est encore abondante et pas du tout menacée, alors que la comparaison avec la situation d’il y a une dizaine d’années montre une nette dégradation qualitative des milieux vitaux.»

Une queue qui se détache…

En Suisse, on trouve encore le lézard agile dans le nord des Alpes, le Valais et le Plateau. Partout, jusqu’à 1000 m d’altitude, sauf, curieusement, au Tessin, la région la plus ensoleillée du pays, exception faite d’une petite colonie isolée en Basse-Engadine, qui prospère, elle, à 1500 m. Si le lézard des souches n’a pas peuplé le Tessin, contrairement aux autres reptiles, c’est en raison de l’histoire de sa migration. Après la période glaciaire, il a colonisé la Suisse à partir du nord-est et du sud-ouest, mais n’a pas pu passer les hautes montagnes, ses propres exigences vitales et les rudesses du climat l’en ayant empêché. Le chemin de la plaine du Pô lui est donc resté fermé, explique Pro Natura.
On dénombre cinq espèces de lézards. Le lézard vivipare, le plus petit (15 cm, queue comprise), est tout brun. C’est le plus répandu, du Chablais valaisan à l’Engadine, où il se tient entre 1400 et 1900 m. Plus grand, notre lézard des souches est de couleur variable (pour le mâle en période de reproduction), avec une bande brune qui lui «coupe» le dos, de la tête à la base de la queue. En cas de danger, lorsqu’on l’attrape, il peut abandonner sa queue qui, en s’agitant, détourne l’attention du prédateur et lui permet de s’enfuir.
Le lézard vert, le plus coloré, avec sa gorge bleu turquoise, peut atteindre 36 cm. Très craintif, il peut monter jusqu’à 1700 m en Valais et 2000 m au Tessin. Le plus connu reste le lézard des murailles, qu’on peut entrevoir aussi bien sur les murs des vieilles maisons en ville qu’à près de 2000 m dans la vallée de Zermatt. L’orvet, enfin, que l’on confond trop souvent avec un serpent, est encore bien présent en Suisse, de la plaine à la montagne.

 

Araignées au menu

A sang froid, le lézard des souches a une température corporelle qui dépend de celle de l’air. En saison froide (mi-octobre à mi-mars), il hiberne, plongé dans une profonde léthargie. Pour ne se réveiller qu’au frémissement du printemps. Après l’accouplement, fin avril-mai, parfois sujet à des combats rituels inoffensifs entre deux mâles (dont la couleur, amours obligent, vire au vert pétard), la femelle pond entre neuf et quinze minuscules œufs qu’elle enterre dans le sol, le soleil jouant le rôle de «couveuse». A une température de 28 degrés, les œufs se développement en cinq semaines. Mais, si l’été est pluvieux, l’incubation peut prendre jusqu’à 60, voire 100 jours dans des conditions climatiques extrêmes. A peine éclos, les bébés lézards se débrouillent tout seuls.
Côté menu, le lézard agile n’est guère difficile: il gobe des insectes, avec une préférence pour les scarabées et leurs larves, les araignées, les chenilles, les sauterelles, les papillons… Les fourmis et les cloportes l’intéressent moins, de même que les escargots et les vers.

 

 

Marie-Paule Angel
15 février 2005

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