Après toutes vos années passées à la TSR,
vous rempilez à la direction de la Fondation Médias et
Société. En quoi consiste cette organisation?
Guillaume Chenevière. Au début de ma retraite, en 2001,
jai présidé une ONG fondée par lancien
président de Radio Canada et dont le but était la défense
du service public radio-télévisé en sappuyant,
si possible, sur la société civile. Les intentions étaient
bonnes, mais cette organisation navait pas de structures et peu
de moyens. Jai pensé alors que si lon veut défendre
le service public, il faut dabord reconnaître limportance
de la radio et de la télévision pour la société.
Or, cette idée nest pas très claire, ni ici, ni
dans les pays en développement.
Défendre le service public, cest immanquablement se placer
face aux chaînes privées.
La Banque mondiale a rédigé une très bonne étude
sur le rôle de la radio et de la télévision, mais
elle ne retient que deux formules possibles: les radios et télévisions
dEtat, donc mauvaises, dun côté, et, de lautre,
les radios et télévisions commerciales, indépendantes
et par conséquent de bonne qualité. Malheureusement, cest
loin dêtre aussi simple: les radios et télévisions
commerciales ne sont souvent ni indépendantes ni de bonne qualité.
Quant à la télévision de service public, rappelons-le,
elle na pas pour mission dêtre le porte-parole dun
gouvernement, mais de permettre dentrer en contact avec la réalité
dun pays, sa culture, et avec tout ce qui est utile à la
vie. On ne peut pas dire, simplement, que les uns sont bons et les autres
mauvais par essence.
Il est nécessaire de remonter plus en amont. Nous avons eu lidée,
avec laide de plusieurs organismes (voir encadré) dévaluer
la valeur sociale des radios et télévisions. Nous avons
dabord cherché à savoir, parmi des interlocuteurs
sur les cinq continents, sil était judicieux de considérer
la télévision sous langle du développement
social et de la démocratie. Partout la réponse a été
oui.
Et vous avez pensé à une certification de type ISO.
Etonnement, tous les domaines dactivités ont des normes
ISO 9001, les entreprises, les hôpitaux, etc., sauf les médias.
Nous avons donc conçu un standard adapté aux médias
selon la méthode ISO. Ce standard, que nous avons nommé
ISAS BC 9001, doit être un instrument afin de mieux administrer
les médias et, par conséquent, de leur permettre de répondre
de façon plus efficace à leur engagement envers la société.
Nous avons présenté pour la première fois cette
norme au Forum mondial des médias électroniques qui sest
tenu à Genève, en décembre de lannée
dernière, lors du Sommet mondial de la société
de linformation. Dans ce cadre, nous avons rencontré des
dirigeants de radios et de télévisions de 122 pays. Tous
ont reconnu que des standards internationaux seraient utiles.
Ces normes ne concernent pas le contenu diffusé.
Nous nous sommes concentrés uniquement sur lorganisation
des radios et télévisions, et non sur les émissions,
car nous pensons quil est très difficile de créer
des standards de qualité sur le contenu qui soient acceptés
par tous. Avec les normes ISO, vous ne dites pas ce que les entreprises
doivent faire, mais vous édictez des critères qui introduisent
un système dauto amélioration.
Où en êtes-vous dans votre travail?
Nous avons rédigé ces normes et elles sont actuellement
soumises à une vérification extérieure, indépendante.
Nous avons également contacté les premières sociétés
intéressées. Si nous arrivons à décrocher
une centaine de grands diffuseurs dans le monde, notre but sera atteint.
Jai bon espoir de convaincre bientôt la télévision
de Hong Kong. Nous allons de lavant en Inde, au Mexique et nous
espérons obtenir une dizaine de télévisions avant
la fin de cette année.
Il nen demeure pas moins que les télévisions du
service public marchent très souvent dans les pas des chaînes
commerciales.
La commercialisation des chaînes de télévision est
un vrai problème. Dun côté, il nest
pas concevable que les télévisions de service public se
contentent de niches, dun rôle marginal; de lautre,
elles ont des tâches à accomplir coûte que coûte,
par exemple, atteindre les minorités, présenter une vision
avec différents points de vue, etc.
Si vous êtes les exclus de tous les systèmes, même
de la télévision, vous avez légitimement le sentiment
que lon nie votre existence même. Beaucoup ne comprennent
pas que les médias soient si étrangers à leurs
vrais problèmes. Tout est tellement découpé, morcelé
dans notre vision des faits, mais aussi dans lorganisation des
télévisions, qui nont plus de temps à consacrer
à un travail suivi, en profondeur. Je crois que nous avons besoin
de retrouver des valeurs centrales au fonctionnement de la société
et de les défendre absolument.
La
TSR ouvre ses portes au public les samedi 6 novembre (de 9 h à
18 h) et dimanche 7 novembre (de 9 h à 17 h). Renseignements
sur www.tsr.ch
De
Luther à Popper
Dans un texte court
paru en 1994, le philosophe Karl Popper exprimait son inquiétude
devant la puissance de la télévision. Pour lui, les chaînes
de télévision, trop nombreuses et devant diffuser durant
trop dheures pour assurer une bonne qualité de leurs émissions,
produisent de la violence et lintroduisent «dans des foyers
qui, autrement, ne la connaîtraient pas.» Popper en appel
à la nécessité pour les télévisions
de subir un contrôle, comme tout pouvoir dans une démocratie.
Ce contrôle ne consiste pas en une censure dEtat, mais plutôt
en une autorégulation par, notamment, linstitution dune
sorte de brevet pour les producteurs et dun conseil éthique
interne à la profession, comme chez les médecins.
Lélaboration
de normes de qualité va-t-elle, selon vous, dans le sens de la
proposition de Popper?
Guillaume Chenevière. Oui, en quelque sorte, notre travail va
dans cette direction. Mais il y a une dimension supplémentaire.
Lors dun débat que nous avons organisé, le philosophe
allemand Peter Sloterdijk a développé cette idée
intéressante: vous les professionnels de la télévision,
nous a-t-il dit, vous pensez devoir dire la vérité de
façon indépendante. En réalité, vous êtes
plus proche de Luther que vous ne le croyez. Quand limprimerie
a été inventée, Luther a dit quelle allait
être un instrument fabuleux pour répandre la grâce
de Dieu. En fait, cest ce que vous faites avec la télévision.
Vous êtes là pour répandre la bonne nouvelle, pour
dire tous les jours quil se déroule un combat entre le
bien et le mal et quil vaut la peine de faire triompher le bien.
Mais aujourdhui, cest quoi la bonne nouvelle? Les médias
sont à la fois un instrument de vérité et de connaissance
des faits, mais ils sont aussi soumis à lattente du public.
La
Fondation Médias et Société en quelques mots
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La Fondation
Médias et Société est soutenue financièrement
par la Direction du Développement et de la Coopération.
LOffice fédéral de la communication, lUnesco
et la Fondation Hoso Bunka de Tokyo, ont cofinancé la
recherche de base sur laquelle sappuie le standard ISAS
BC 9001.
ISAS BC 9001 mesure comment les sociétés de radio-diffusion
répondent aux critères définis par ISO
9001 ainsi quà des critères particuliers,
tel la satisfaction du public, la qualité et lexactitude
de linformation, lindépendance éditoriale
et la transparence de la gestion, la présentation des
minorités nationales, etc.
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