Cétait
quelques jours avant Noël. Oscar Moret sapprêtait à
célébrer son nonantième anniversaire. Installé
dans sa chambre de la Maison bourgeoisiale de Bulle, où il sétait
retiré depuis mars 2002, le musicien évoquait son parcours,
racontait quelques épisodes dune vie pleine. Mais alors
que les sens le quittaient, tandis que la vie perdait de son goût,
Oscar Moret parlait des infirmités de lâge avec une
parfaite sérénité. Mais il avait hâte de
«voir le bout du tunnel»: «Je dis parfois en mamusant
que le plus beau jour de la vie, cest le dernier
»
Ce dernier jour, tant attendu, est tombé un Vendredi-Saint. Cet
homme qui avait un sens aigu du sacré naurait pas été
insensible au symbole, lui qui était né trois jours avant
Noël! Oscar Moret sest paisiblement éteint hier matin,
alors que le soleil pointait ses premiers rayons. Avec lui disparaît
le dernier représentant dune génération musicale.
Car Oscar Moret formait, avec Pierre Kaelin et Bernard Chenaux, un triumvirat
qui assuma lhéritage de Joseph Bovet. Son nom restera attaché
à toute une culture dont il fut lun des plus talentueux
acteurs. Ils seront nombreux à lui rendre hommage ce lundi de
Pâques, en léglise de Bulle. Avant que sa dépouille
ne prenne le chemin du cimetière dEstavannens, où
il a désiré rejoindre cette terre quil a chantée
de manière originale.
Pédagogue
dabord
Il manquera, Oscar Moret. Il nétait pas un concert, une
fête cécilienne, une manifestation musicale sans que se
manifeste sa frêle silhouette. Avec lâge, lhomme
sétait à ce point identifié à son
uvre quil semblait personnifier la musique. Et jusquau
dernier jour, cette musique fut une compagne rassurante et exigeante.
Alors que le monde lui échappait, Oscar Moret saccrochait
encore à lécoute de Ravel, de Penderecki ou de Stravinski.
Car, sil acceptait le titre de «fils spirituel» de
Joseph Bovet, il le fut à sa manière, originale, loin
des chapelles et dun esprit carriériste.
Le nom dOscar Moret sera souvent cité lorsquil sagira
de dresser la liste de ceux qui ont travaillé à lidentité
musicale du pays de Fribourg. Durant près de sept décennies,
dès laube des années trente, il a construit un uvre
à plusieurs facettes, dont la moindre nest pas celle du
pédagogue. Lorsquon linterrogeait sur ce qui fut,
pour lui, lessentiel de sa carrière, il plaçait
en priorité son travail denseignant. Moret fut de ces instituteurs
envoyés en mission intérieure, un catéchisme musical
à la main. Cest au Pâquier, en 1932, que ce jeune
maître de vingt ans entra en sacerdoce. Il y crée une fanfare,
dirige le chur, commence à composer. Son talent et son
charisme lui ouvrent, dès 1942, les portes des écoles
de Broc, dont il devient le responsable de la formation musicale. Fidèle
aux coutumes du temps, Moret est au four et au moulin, à lorgue
et aux pupitres de direction de la fanfare et des churs du village.
Cinq ans après son arrivée, il rassemble tout son monde
autour de La Grande Coraule, un festival de Georges Aeby. Premier sommet
pour ce jeune homme à la passion communicative.
Vingt ans à
la Landwehr
La capitale ne pouvait se résoudre à laisser un tel talent
en province! Dès 1953, Oscar Moret est investi dimportantes
charges musicales. En pédagogue humaniste, il officie comme inspecteur
des classes de chant de Fribourg, où son sens du contact fait
merveille. Vient alors la direction de la Landwehr, entre 1953 et 1972,
une harmonie quil conduit vers des sommets musicaux. La machine
Moret tourne à plein régime. Rares sont les commissions
et les institutions qui ne fassent appel à son généreux
dynamisme. Durant vingt-cinq ans (1960-1985), il enseigne les bran-ches
théoriques au Conservatoire de Fribourg, durant trente ans, il
forme, avec son ami Bernard Chenaux, les directeurs des fanfares fribourgeoises.
Il est de la commission musicale des fanfares fribourgeoises, expert
lors des girons et des fêtes cantonales. Le nom dOscar Moret
rayonne dans tout le monde musical romand. En 1986, il reçoit
le Prix Stephan Jaeggi, décerné par la Société
fédérale de musique.
Plus de 500 compositions
Pédagogue, directeur, mais aussi compositeur. Et il est probable
que le temps donnera toute sa mesure à cette troisième
facette de son activité. Lorsque la Bibliothèque cantonale
publie en 1995 le catalogue de ses compositions, lauteur lui-même
est étonné par leur nombre. Quelque 500 pièces
trahissent une production variée, instrumentale dans un premier
temps, chorale dans un deuxième. Une constance dans luvre
dOscar Moret: sa musique plonge ses racines dans la tradition
catholique et la chanson populaire. Par tempérament, il ne sest
pas contenté de «répéter», il a innové,
ressuscité, restauré. Au-delà de la joie primesautière
que dégagent nombre de ses compositions, il est une profondeur
dans la musique «morétienne», héritière
de la tradition grégorienne. Il nest pas étonnant
que ses plus grandes pages instrumentales Cantus Sariniae, Diptyque
de la nativité, Musiques pascales, Gaudeamus sabreuvent
à la source du plain-chant. Cest en compositeur latin quOscar
Moret signe ces partitions, aux rythmes très travaillés,
aux harmonies souvent raffinées, sans chercher à être
contemporaines.
«Tout art qui a la volonté de tenir doit tendre à
luniversel. Mais il gagne en solidité sil trouve
ses racines dans le particulier.» Ce credo, Oscar Moret la
notamment appliqué à ses compositions chorales. Mais il
y ajoute une touche doriginalité, puisée dans la
fréquentation dHonegger, Debussy ou Poulenc. Avec le temps,
le style dOscar Moret évolue, gagne en sobriété
pour silluminer, récemment encore, dans un modeste
In paradisum, dont la douce plénitude nest pas sans rappeler
lart dun Fauré. Comme cette messe il en laisse
trois Missa in honorem sancti Petri, composée en 1987,
qui ressuscite toute lambiance grégorienne dans une instrumentation
originale, avec timbales et cymbale suspendue
Le grégorien dun côté, le patois de lautre.
Dans la lignée dun Bartok, Oscar Moret a «restauré»
la musique populaire. A ce folklore défiguré par les lourdeurs
patriotiques et affadi par une douceâtre nostalgie, le musicien
a injecté une sève nouvelle. Des dizaines de pièces
en patois prouvent le travail novateur du compositeur bullois. Originalité
de cette production, le seul opéra patois jamais écrit:
le Chèkrè dou tsandèlè monté à
Treyvaux en 1985. Ce sont pourtant ses Tsancholè, dont il était
le plus fier. «Cest, je crois, ce que jai le mieux
réussi», disait-il, il y a quelques mois. Ces lieder en
patois enregistrés par Michel Brodard sont assurément
le meilleur de sa production, de fines pierres taillées dans
la roche de la musique populaire. Une uvre authentique, dont la
spécificité tient dans lâpreté rythmique
qui colle au patois, où lharmonie jaillit des couleurs
de la langue.
Pour lun de ces lieder, Dêri ré dè chélâ
(Dernier rayon de soleil) Oscar Moret avait signé le texte. Cest
avec ses propres mots que nous prendrons congé de cette personnalité
attachante, qui laisse une trace profonde dans la culture régionale.
A sa famille, à son épouse Hélène et à
ses enfants va notre sympathie.
«Kan le
bon Dyu vindrè mè dre dè modâ,
Dè tyitha por a dè bon ha bala Grevîre,
E totamon lé hô, fudrè bin li monta
Din le dêri chèlà douna bouna préyîre:
Dêri ré dè chélà! le dêri!
Ly è le furi ou Paradi.»
Patrice
Borcard
Témoignages
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«Infatigable,
humble, attachant»
Chanoine
Marius Pasquier, compositeur et ami, abbaye de St-Maurice: «Je
perds un ami incomparable, qui métait extrêmement
cher. A ladolescence déjà, nous déchiffrions
avec passion toutes les partitions qui nous tombaient sous la
main, moi au violon, lui au piano
Cette perte est pour
moi extrêmement douloureuse. Dun point de vue musical,
jappréciais beaucoup la qualité de ses uvres.
Tous deux élèves dAloys Fornerod, nous partagions
un esprit de parenté musicale. Et, au-delà de
la musique, Oscar était un véritable humaniste.»
Michel
Brodard, chanteur, La Roche: «Son
départ est une grande perte, tant il a marqué
le monde de la musique dans ce canton et au-delà. Comme
chef, comme compositeur, mais aussi par sa présence fidèle
à tous les concerts de la région. Lhomme
était touchant, attachant, bienveillant avec les gens.
Il était un modèle dhumanité, qui
a toujours fait toute chose avec grandeur dâme.
Cétait une nature heureuse, qui a donné
du bonheur partout autour de lui. A limage de ses Tsancholè,
que jai enregistrés, sa musique était très
personnelle. Non pas révolutionnaire, mais néanmoins
empreinte de modernité à maints égards.
Son âme, je crois, était ancrée dans la
musique contemporaine.»
André
Ducret, compositeur et musicien, Pont-la-Ville: «Etrangement,
je connaissais mieux lhomme que le musicien. Dans mes
souvenirs denfant, Oscar Moret est pourtant une des premières
images de musicien, quand il dirigeait la Landwehr. Je lai
toujours perçu comme un travailleur infatigable et humble.
Le type même de lanti-vedette. Je pourrais même
reprendre la formule quon utilise pour Haydn en parlant
du papa Moret. Car il y avait chez lui un grand souffle de simplicité.
Et un optimisme à toute épreuve. Il était
encore une personne de grande ouverture, au-dessus des chapelles
musicales.»
Nicolas
Fragnière, chef du chur mixte LEspérance
de Vuadens: «Ce
fut pour moi un immense plaisir de travailler avec Oscar Moret,
à loccasion de lenregistrement, en 1998,
dun disque qui lui était consacré. Il était
profondément humain et humble, bon enfant. Il navait
rien du compositeur dictatorial. Même dans la divergence
de vues, il demeurait chaleureux et affable. Sa disparition
va laisser un grand vide. Musicalement, il représente
pour moi le parfait mélange de la musique populaire et
de lécriture contemporaine.»
Michel
Corpataux, chef de churs, Riaz: «Oscar
Moret était un homme fabuleux, dune gentillesse
extraordinaire. Comme compositeur, il laisse un très
grand uvre, qui a fait évoluer la musique populaire
vers une écriture plus moderne que celle dun Joseph
Bovet. Sa contribution au répertoire choral en patois
est également remarquable.»
Edmond
Caille, chef du chur mixte dEstavannens: «Cétait
un homme dune extrême bonté, authentique.
Il était chaleureux, attentif aux autres. Depuis près
de quarante ans, il venait à Estavannens, où il
possédait un chalet. Cétait un ami du village,
proche des gens et des sociétés. Très souvent,
lors des offices, il venait sur la tribune et tenait lorgue.
Il était un improvisateur extraordinaire. Sa disparition
me touche beaucoup: il y a quelque temps, le jour de mes soixante
ans, je lui disais encore quil était pour moi comme
un deuxième père.»
Didier
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