MAGAZINE
Irak
Questions
autour dune guerre annoncée
Curieusement,
la possible guerre contre lIrak est perçue dans lopinion
comme la suite de la guerre contre lAfghanistan et donc comme la
continuation de la «guerre» contre le terrorisme. Or, sil
est évident que le renversement du régime taliban avait
un lien direct avec le 11 septembre 2001 en raison du sanctuaire que ce
régime accordait aux leaders dAl-Qaïda et à Ben
Laden en premier lieu, il en va tout autrement pour lIrak, personne
nayant pu clairement établir de lien direct entre le régime
irakien et Al-Qaïda.
La
machine américaine est bel et bien sur le sentier de la guerre
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Ladministration
américaine a habilement utilisé lattaque contre
le World Trade Center pour crédibiliser et justifier le bien-fondé
dune attaque contre le régime de Saddam Hussein. Dans son
message sur létat de lUnion, le 29 janvier 2002,
le président Bush présente la lutte contre l«axe
du mal» (Irak, Corée du Nord, Iran) comme le deuxième
volet de la guerre contre le terrorisme. Selon la nouvelle «stratégie
nationale de sécurité» de ladministration
américaine, il sagit là de la première application
de la doctrine de la guerre préventive. Le terrorisme est toujours
présenté comme la menace principale, mais quil devra
passer, pour frapper plus fort que le 11 septembre, à un niveau
qualitatif et quantitatif supérieur qui, selon le Pentagone,
ne peut quimpliquer des armes de destruction massive nucléaires,
chimiques ou biologiques. Laction préventive vise à
empêcher toute acquisition de telles armes par les terroristes.
L«axe du mal» nest pas une nouveauté
dans la stratégie américaine: il est formé de trois
Etats appartenant à la liste des Etats voyous, et ceux qui le
constituent ont fait lobjet de la vindicte américaine bien
avant le 11 septembre 2001. Mais pourquoi seule laction contre
lIrak prendrait-elle la forme dune attaque militaire, et
pas laction contre la Corée du Nord? La question est dautant
plus brûlante que ce pays devient de plus en plus une menace pour
la sécurité internationale.
En ce qui concerne lIrak, G.W. Bush, suite à léchec
de la politique des sanctions et aux obstacles mis au travail des inspecteurs
onusiens de larsenal irakien, a clairement affiché sa volonté
de finir le travail inachevé de la guerre du Golfe en 1991. Donc,
le seul élément nouveau de cette politique guerrière
est de profiter des circonstances pour habiller dune trompeuse
rationalisation des objectifs préexistant aux événements
du 11 septembre. Et, grosso modo, lopinion américaine est
favorable à cette guerre préventive.
Lectures divergentes
Du côté européen, à part la Grande-Bretagne
de Tony Blair, les gouvernements, hésitants, se posent certaines
questions. Et lopinion est nettement plus partagée quaux
Etats-Unis. Les questions ne portent bien sûr pas sur le fait
que lIrak soit en possession darmes de destruction massive.
Le dossier en a été très bien établi par
le Pentagone et Whitehall, surtout en ce qui regarde les armes biologiques.
Les preuves quant à la possession darmes nucléaires
immédiatement opérationnelles sont moins évidentes.
Cet armement de destruction massive aux mains de Saddam Hussein est
une menace réelle, mais pourquoi Washington brouille-t-il la
nature de cette menace et en fait-il un épouvantail universel?
Pourquoi une guerre se-rait-elle lunique moyen de léloigner?
Il est vrai que grâce à la persévérance de
plusieurs hommes politiques de lUnion européenne, et notamment
du président Chirac et du ministre allemand des affaires étrangères
Joshka Fischer, une résolution du Con-seil de sécurité
(No 1441) a été adoptée, qui a donné une
nouvelle chance à léquipe dinspecteurs de
Hans Blix de contrôler létat exact de larsenal
irakien et de prendre ensuite des mesures drastiques pour le neutraliser.
Mais la lecture de cette résolution par Washington et par lUnion
européenne est radicalement différente. Outre-Atlantique,
on veut quil en résulte un désarmement rapide et
expéditif. Moscou et Bruxelles y voient le début dun
processus qui devra être suivi de nouvelles mesures de contrôle
qui empêcheront lutilisation et la diffusion des armements
incriminés.
Malgré la résolution 1441 du Conseil de sécurité,
on saperçoit que les divergences parmi les opposants à
Saddam sont réelles et même profondes, et ces fissures
de la politique du camp anti-Saddam font le jeu de ce dernier, malheureusement.
En outre, la priorité absolue que Washington met sur lélimination
du leader irakien repousse à larrière-plan la résolution
de la grave crise israélo-palestinienne qui senlise dangereusement.
Lopinion finirait presque par loublier, alors quelle
sert de prétexte à Al-Qaïda pour poursuivre ses attaques
aveugles contre des civils, dont les drames de Bali et de Moscou sont
les manifestations les plus récentes. Il ne fait pas de doute
que la non-volonté, ou pour le moins la volonté très
molle de Washington de résoudre rapidement cette crise ne fait
qualimenter la spirale de la violence aveugle du terrorisme international.
Cette question fut dailleurs explicite dans la bouche des représentants
musulmans qui participaient début octobre 2001 à un sommet
islamo-chrétien organisé à Rome. Leur discours
était le suivant: nous napprouvons pas les attaques contre
les Twin Towers, mais nous en comprenons la cause, qui est lécrasement
du peuple palestinien. Même sil est naïf de prendre
ce raisonnement au pied de la lettre, ne devrait-on pas couper lherbe
sous les pieds de ceux qui le tiennent et ainsi priver lopinion
des masses musulmanes dune motivation essentielle à leur
mobilisation pour un antiaméricanisme primaire?
Il faut malgré tout prendre acte avec réalisme de la logique
dune guerre militaire contre lIrak voulue par Washington.
Toutes les bases américaines du Golfe (Koweït, Bahrein,
Qatar, Arabie Saoudite, Oman, Emirats Arabes Unis) sont sur pied de
guerre. Il en va de même en Turquie, à Djibouti, à
Diego Garcia. En mer, deux des quatre porte-avions possibles sont sur
zone. Au total, environ 80000 hommes et des dizaines de milliers de
tonnes darmements américains cernent lIrak. Il est
vrai quune partie de ce dispositif a été déployée
depuis 1991 déjà et fait partie des suites données
à lopération Tempête du désert qui
a libéré le Koweït. Il nempêche que ces
bases ont été massivement renforcées, que lentraînement
des troupes est passé au stade intensif et que la machine américaine
est bel et bien sur le sentier de la guerre.
Les
chiffres dune guerre
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Dans
une de ses dernières livraisons, le très sérieux
hebdomadaire britannique The Economist fait état de plusieurs
études qui ont analysé les retombées économiques
et financières dune éventuelle guerre en Irak.
Lhypothèse la plus optimiste dune guerre rapide
et dune victoire dans les quatre à six semaines prévoit
des dépenses militaires directes de 50 milliards de dollars.
A cela, il faut ajouter les coûts de laprès-guerre
pour maintenir la paix et reconstruire le pays 120 milliards
de dollars. Dans lhypothèse la plus pessimiste (six
mois de combats), ces mêmes chiffres sélèveraient
respectivement à 140 et 1600 milliards de dollars. On imagine
très mal que les Etats-Unis prennent sur eux lentièreté
de ces coûts. LUnion européenne devra très
certainement apporter sa part de financement. Pourquoi alors,
malgré lénormité des coûts, est-il
probable que guerre il y aura? Tout simplement parce quune
non-guerre ne serait pas gratuite non plus. En effet, les acteurs
économiques américains, devant la possibilité
dune guerre qui ne viendrait pas, hésiteront à
investir, doù une probable déprime des marchés.
Par ailleurs, les prix du pétrole seraient à la
hausse, et tous ces éléments auraient pour conséquence
un ralentissement de la croissance. Tandis quavec une guerre
courte, les économistes prévoient aux Etats-Unis
une croissance de lordre de 2% en moyenne au premier semestre
2003, et proche de 4% dans la deuxième moitié de
lannée. Noublions pas non plus que les préparatifs
de la guerre font tourner à fond lindustrie militaire
américaine et toutes les productions annexes. Les raisons
économiques de mener cette guerre font donc quelle
devrait probablement avoir lieu, même si lampleur
des coûts de laprès-guerre est probablement
sous-estimée par Washington. Elle devient de plus en plus
inévitable aussi en raison des déclarations guerrières
du président et de lensemble de ladministration
américaine, qui se discréditeraient aux yeux de
leur électorat si ces paroles nétaient pas
suivies daction.
Ces chiffres ne donnent cependant aucune réponse aux inconnues
des retombées régionales dune guerre contre
lIrak. Les Etats-Unis seront-ils en mesure de limiter les
effets de cette guerre à lIrak seul? Le risque dune
interférence iranienne dans le sud chiite irakien, qui
avait convaincu Bush père de ne pas renverser le régime
de Bagdad en 1991, a-t-il disparu? Quelles en seront les retombées
sur le conflit israélo-palestinien? Comment réagira
le réseau Al-Qaïda envers lOccident et tous
les alliés des Etats-Unis?
Bien des questions restent donc ouvertes sur lissue réelle
dune guerre probable contre lIrak. Il nen reste
pas moins que le régime de Bagdad, tout le monde en convient,
est détestable et a des conséquences humanitaires
dramatiques sur la population irakienne. Mais lon peut continuer
de se demander si la guerre est la seule et la meilleure manière
de sy opposer et de mettre fin à la menace que constituent
les armements de destruction massive quil possède.
Il est permis de douter que cette guerre contribuerait à
«instaurer un équilibre des pouvoirs qui favorise
pour lhumanité tout entière des conditions
de liberté» qui est lobjectif de la «stratégie
nationale de sécurité» rendue publique récemment
par la Maison-Blanche. PAG
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