Le
petit train sélance dans le boyau dans un bruit assourdissant.
«Cest le TGV
train à grandes vibrations»,
plaisante Philippe Benoît, le directeur du site touristique des
Mines de sel de Bex.
Le convoi parcourt sous terre un kilomètre et demi en dix minutes.
Mais lallure paraît bien soutenue, le tunnel est étroit,
à peine plus large que ce train miniature où se serrent
les passagers. Par intermittence, une lampe éclaire le goulot,
laissant apparaître le défilement de la roche, à
quelques centimètres de la «carlingue» des wagons.
Creusées à partir du XVIIe siècle, les mines de
sel de Bex représentent au total un réseau souterrain
de près de 50 km de galeries, dont la majeure partie a été
réalisée à la main. Les traces des outils sont
encore visibles sur la pierre. A coups de marteau et de cisette, sorte
de pieu métallique muni dun manche pour éviter de
se blesser les doigts, les mineurs progressaient ainsi de un à
quatre mètres par
mois, selon la résistance de la
roche. Travail colossal qui fait dire que cest le sel de la sueur
des mineurs qui a contribué à la salinité de la
roche. Parfois pour de maigres résultats. La mine de Bex ne contient
pas de sel gemme (sel compact). Son or blanc est en effet mêlé
à la roche dont on doit lextraire.
Mer
Morte artificielle
La récolte du sel prisonnier du rocher sest faite
depuis lorigine sur le même principe: grâce à
leau où il se dissout. Au départ, seule leau
des sources naturellement chargée de sel était captée
et exploitée. Ensuite, les hommes se sont mis à amener
de leau douce sous la terre où elle dissout le sel, avant
dêtre acheminée vers lextérieur. Depuis
les années 1960, de leau sous pression est envoyée
dans les profondeurs. Un lac de 3000 m2, au «rez-de-chaussée»
de la mine, constitue un réservoir de 200000 m3 deau salée
(saumure). Sa densité est la même que celle de la mer Morte.
Une mer Morte enterrée, en quelque sorte, au-dessus de laquelle
le visiteur passe.
La mine est un monde en soit. Etonnant univers minéral, à
la fois inquiétant à des centaines de mètres
sous la surface et harmonieux, emprunt dune sorte de sérénité
dépouillée. A labri de lextérieur,
la température y est stable, autour de 18°C. A tel point
que le vin rouge du cru y vieillit et quun élevage de champignons
de Paris y a élu domicile. La teneur en humidité de lair
est de 90%. Mais elle se fait discrète, la roche en absorbant
une bonne part, si bien que latmosphère nen est pas
oppressante.
Le matériel, lui, en souffre. Avec le sel, il est confronté
à une corrosion galopante. Le gros du travail actuel des mineurs
est dailleurs consacré à lentretien des machines.
Seul le bois est à labri de ce fléau. Exposés
dans la mine, les tuyaux en troncs de mélèze vieux de
deux siècles, qui servaient à acheminer lair dans
les galeries ou leau salée vers lextérieur
sont, eux, bien préservés. Lhumidité participe
même à leur conservation.
Divers outils, comme du matériel de pesage, des pompes hydrauliques,
des foreuses du XXe siècle sont exposés, retraçant
les avancées des techniques. Au détour dune galerie
éclairée, suspendues à la voûte, comme fantomatiques,
une quinzaine de lampes de mineurs rappellent les ouvriers qui ont hanté
ces lieux durant trois siècles. La première date du XVIIIe
siècle, la dernière des années cinquante. Aujourdhui,
seules quatre personnes travaillent dans la mine même, tandis
quune vingtaine est employée par la société
à la saline du Bévieux, où le sel est extrait de
leau.
Démonstration
enflammée
Le cauchemar de tout mineur, le grisou, est aujourdhui domestiqué.
Ce gaz responsable de terribles explosions (il sagit du méthane)
est prisonnier dans une poche. Un robinet permet au guide de len
faire sortir et de lenflammer. La longueur de la gerbe renseigne
sur la pression atmosphérique! Enfin, des capteurs ultrasensibles
sont disposés dans les galeries, susceptibles de donner lalerte
bien avant tout risque dexplosion. De quoi balayer les dernières
appréhensions avant de se lancer dans un étonnant voyage
dans les profondeurs.
Creusons
le passé
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Au XVe siècle,
ce sont des chèvres qui auraient mis en évidence
des sources salées au-dessus de Bex. Les habitants commencent
alors à consommer le sel de ces sources. Denrée
précieuse, il sert notamment à la confection du
fromage.
Berne, qui domine Bex depuis 1476, confie lexploitation
des sources à des privés. La teneur en sel est
faible: pour obtenir entre 2 et 3 kg de sel, il faut faire évaporer
100 litres deau au feu de bois
Des avancées
technologiques permettront daugmenter cette densité.
En quête
de sources
Pour faire face à ses dépendances en sel,
Berne encourage la recherche de nouvelles sources salées,
y compris en creusant la roche. Le percement débute en
1680. Cinq ans plus tard, Berne devient propriétaire
de la mine. A cette époque, la conception de la mine
repose sur lidée (fausse) quun grand réservoir
deau salée existe dans la montagne. Après
le Révolution, le jeune Etat de Vaud poursuit cette production
vitale pour son économie que Berne songeait
à arrêter.
Dissoudre
le sel!
La quête de sources salées est finalement
abandonnée: à partir de 1823, les blocs de pierre
sont dessalés dans des bassins souterrains remplis deau.
En 1867, des gisements de sel gemme sont découverts à
Schweizerhalle (Bâle), bien plus aisé à
exploiter que celui de Bex!
Alors que le canton de Vaud est prêt à cesser lexploitation,
quatre particuliers reprennent la mine et recourent à
un nouveau procédé. Au lieu de transporter la
roche jusquaux dessaloirs, cest leau douce
de la Gryonne qui est amenée dans les salles. Là,
elle dissout le sel et la saumure est pompée vers lextérieur.
Des avancées techniques facilitent le travail: pompes
à turbine hydraulique, dynamite, électricité.
Au début du XXe siècle, le taux de sel décroît.
Au début des années 1920, la première sondeuse
sauve la mine: en forant la roche, elle permet de découvrir
de nouvelles sour-ces salées. Depuis 1960, lexploitation
se fait par forage par injection: de leau douce sous pression
est injectée dans les trous de forage. Elle remonte ensuite
chargée de sel.
Monopole
vaudois
Les mines de sel de Bex disposent toujours du monopole
de la vente de sel sur le canton de Vaud. Le sel importé
sur sol vaudois est ainsi soumis à une taxe que perçoit
la société pour le compte du canton. Ce monopole
a un revers: le sel de Bex nest pas vendu dans le reste
de la Suisse. Ainsi, Martigny, de lautre côté
du Rhône, fait venir son sel de déneigement de
Bâle
Près des deux tiers de la production actuelle de la mine
sont destinés au déneigement des routes. Le sel
alimentaire ne représente quun dixième du
volume vendu. La mine fournit aussi lindustrie (20% du
sel vendu) et lagriculture (6%).
Lentreprise emploie aujourdhui 46 personnes: 23
à la mine et à la saline, 9 à ladministration
et la vente, 14 animent le site touristique dont quatre
à lannée. Elle produit sa propre électricité,
grâce à une centrale sur lAvançon.
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Activités
souterraines
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Une exposition
de peintures a pris place sous la roche, jusquau 20 août.
Dans cet univers minéral, les tableaux colorés
de David, un peintre vaudois de 31 ans, prennent une force décuplée.
Les couleurs vives de ces images profitent du contraste avec
la roche. Rouge énergique, vert prairie, ocre ensoleillé,
bleu profond jouent avec les réminiscences et les souvenirs
de lumière extérieure que garde en lui le visiteur
«Il sagit dun travail abstrait, chacun y voit
ce que son imagination lui souffle», souligne le peintre.
La musique est aussi la bienvenue à la mine. Le contrebassiste
Mich Gerber y jouera le 9 septembre et le groupe de worldmusic
de Château-dx Sonalp y sera le 30 octobre.
Pour ceux qui veulent sillonner plus avant le dédale
minier, des randonnées souterraines sont possibles. De
durée (entre 3 h 30 et 5 h) et de difficultés
variées, elles sont assez onéreuses. Il faut compter
entre 700 et 900 francs pour un groupe, entre 30 et 90 francs
par personne à date fixe.
Renseignements
au 024 463 03 30 et sur www.mines.ch. Visite (environ
2 h), tous les jours jusquau 26 septembre. A partir du
28 septembre: fermé les lundis. Renseignements et réservations
pour les concerts: 021 963 02 77 ou www.valetta.ch
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