ECLAIRAGE Nouvelle politique régionale
Fribourg aux oubliettes

Adieu centres culturels, halles polyvalentes et autres infrastructures de développement! La Nouvelle politique régionale, censée remplacer la LIM et ses corollaires dès 2007, donne des sueurs froides au conseiller d’Etat Michel Pittet, aux parlementaires fribourgeois et aux secrétaires régionaux du Sud. Eclairage sur ce projet de loi fédérale, en consultation jusqu’à la fin août.


Exit l’aide fédérale aux investissements de montagne! Depuis 2001, le Département fédéral de l’économie, le Secrétariat d’Etat à l’Economie et des experts travaillent à réformer la panoplie de la politique régionale, jugée inadaptée et opaque. Président du Conseil d’Etat fribourgeois et directeur de l’Economie, Michel Pittet a potassé le projet de loi, en consultation depuis le mois d’avril.

– Quelle sera la réponse du Conseil d’Etat à cette consultation?
Michel Pittet: Nous n’avons pas encore arrêté notre position. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas accepter cette Nouvelle politique régionale. Mais je ne sais pas si nous opterons pour une non-entrée en matière, donc pour le statu quo, ou si nous ferons des contre-propositions. Dans ce dernier cas, je proposerais personnellement une évolution de la loi actuelle sur l’aide aux investissements dans les régions de montagne (LIM). On peut la cibler davantage sur la création d’emplois, via des infrastructures comme les pépinières d’entreprise ou les centres au service de filières. Je pense aussi qu’il faut absolument maintenir l’arrêté Bonny, qui est un instrument capital.

– La Nouvelle politique régionale (NPR) fait donc fausse route...
Oui. Elle est censée abroger la LIM dès 2007 et mettra ainsi un terme à trente ans d’investissements et de discussions de fond que les régions ont fait sur leur développement. Maintenant, on nous dit qu’il faut aider les grands centres et développer des projets suprarégionaux. On a l’impression qu’il s’agit d’une politique nationale, non plus régionale. Qu’on se comprenne: je pense, comme la Conférence des directeurs de l’économie de Suisse occidentale, que la collaboration intercantonale doit s’intensifier. Mais cela doit s’inscrire dans le cadre d’une politique de croissance, qui n’a rien à voir avec le soutien aux régions défavorisées tel qu’il est prévu par la Constitution fédérale.
Cela dit, peut-on vraiment croire que l’Intyamon va profiter du développement de Lausanne, par exemple? On voit bien qu’il faut préserver les chances, pour les régions décentralisées, d’accueillir des entreprises, de créer des emplois et des revenus. Cela passe par la construction d’infrastructures. La qualité de vie figure parmi les premiers critères d’implantation des patrons: le recrutement de cadres et de main-d’œuvre en dépend.

– Que faites-vous de la fondation prévue par la NPR pour aider les régions défavorisées?
A mon avis, cette fondation est une voie de garage, une façon douce de faire régresser l’aide aux régions de montagne, puisque le fonds de cette institution ne sera pleinement constitué qu’en 2030. Ce sont les cantons qui vont en partie l’alimenter: ils vont chercher à faire des économies, et tout ça va finir en queue de poisson. Par ailleurs, cette fondation sera indépendante, de sorte que le contrôle démocratique ne s’exercera plus. Nous serons à la merci de ce secrétariat central, qui va comme toujours se créer des tâches et enfler.

– Mais la fondation accordera des subventions à fonds perdus, alors que la LIM octroyait des prêts...
Un prêt permet de combler une grosse lacune financière sans avoir à prospecter. Par contre, une subvention, forcément plus faible, ne dispense pas de cette recherche. Les prêts donnent donc une impulsion plus forte que les subventions. Sans crédits LIM, par exemple, le Centre culturel et sportif de la Glâne aurait eu du mal à démarrer. Ajoutons que les prêts, contrairement aux subventions, reviennent dans les caisses. Qui, par contre, peut promettre que le rendement du capital de la fondation pourra assurer son exploitation et les aides qu’elle octroiera, comme il est prévu? Il faudra une gestion très parcimonieuse!

– Outre le maintien de la LIM, vous voulez aussi que l’arrêté Bonny soit reconduit...
Oui. Il faut sans doute actualiser ses critères d’application. Mais sans cet arrêté, qui permet des exonérations fiscales fédérales, quantité d’entreprises ne se seraient jamais implantées dans le canton. Dernièrement, nous avons eu à nous battre contre Singapour, qui proposait à une entreprise de lui offrir le terrain et des exonérations pendant vingt-cinq ans. Sans Bonny, nous n’aurons plus aucune chance.

– Comment voyez-vous les débats parlementaires sur cette loi?
Au début du mois prochain, le Conseil d’Etat organisera une concertation avec les parlementaires fribourgeois. Il faudra rester soudés: les régions urbaines sont prédominantes au Conseil national.

Le changement en deux mots

Destinée à freiner l’exode des populations de montagne, la politique régionale actuelle repose sur la Loi sur l’aide aux investissements dans les régions de montagne (LIM), en vigueur depuis 1974 et révisée en 1997. Sur sa base, 54 régions LIM ont été instituées en Suisse. De 1974 à la mi-2003, elles ont promu 8150 projets, pour un total d’aide avoisinant 2,9 milliards de francs.
Au fil du temps, ce dispositif a été complété par divers outils, comme l’arrêté Bonny (1978), Interreg (1995) et Regio Plus (1997), qui échoient en 2006-2007. Mais le fossé entre les zones centrales et les zones périphériques a continué de grandir, note le Département fédéral de l’économie dans le rapport explicatif de sa Nouvelle politique régionale (NPR).
Raison pour laquelle ce projet de loi, inspiré par un rapport d’experts, ne se focalise plus sur les régions défavorisées et sur la réduction des disparités. Il s’agit désormais de s’appuyer sur les agglomérations et les centres forts nationaux (70% de la population) pour induire le développement des régions périphériques.
D’où une stratégie fédérale à deux niveaux, qui sera soumise aux parlements en 2005, pour entrer en vigueur en 2007. La «politique des grandes entités territoriales» allouera 30 millions de francs par année à des programmes pluriannuels votés par les Chambres fédérales. Celle des «petites entités territoriales» reposera sur une fondation alimentée par un transfert du fonds LIM actuel et par les cantons. Cette fondation attribuera 40 millions par année à des projets, non à crédit, mais à fonds perdus.
Avec un total de 70 mio, la subvention annuelle prévue équivaut à l’effort actuel fourni par la politique régionale. Toujours moins soutenu, cet effort représente 69 millions par année, de 1997 à 2003.


Propos recueilli par
Stéphane Sanchez

3 août 2004

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