Des
couloirs déserts, des outils abandonnés, deux hommes qui
mangent en silence, à distance. En une soixantaine dimages
noir et blanc, les deux photographes de La Gruyère, Claude Haymoz
et Christophe Dutoit, proposent une saisissante visite du couvent des
capucins de Bulle. Les deux derniers pères vont le quitter à
la fin de lété. Cette Fin de chapitre fait lobjet
dun livre, paru aux Editions gruériennes, et dune
exposition visible au Musée gruérien jusquau 19
septembre.
Ces photos respirent le calme. Celui dun autre monde, dun
autre temps. Le capter nallait pas de soi pour des photographes
de presse, qui ont sillonné les couloirs du couvent doctobre
2003 à avril 2004: «Nous sommes habitués à
lévénementiel et là, nous nous sommes retrouvés
dans un endroit où il ne se passe rien», relève
Christophe Dutoit. Mais les murs et les objets, eux, ont des choses
à raconter.
Claude Haymoz a été chargé de saisir les gestes
des pères Michel et Léon. Il a fixé des instants
fragiles, la préparation dune célébration,
une prière. Une miche de pain est posée sur la table.
Le père Michel Favre saisit un livre, dans la bibliothèque
ou, dans la cuisine, verse du lait dans une cruche. Quelques pas furtifs
sur le parquet. Des gestes modestes, qui prennent une force étonnante.
Parce que, dans leur simplicité, on les sent lourds dune
histoire de trois siècles qui sachève.
Christophe Dutoit, de son côté, sest attaché
aux lieux, qui ont accueilli jusquà une quinzaine de capucins.
Des lieux vastes, fermés au public, aujourdhui presque
vides mais qui ont gardé de touchantes traces de vie. Par ces
outils soigneusement alignés sur un atelier, ce jardin désert,
ces tiroirs qui ne doivent plus guère être ouverts. Et
ces couloirs, ces chaises vides, ces graffitis dans la sacristie. Une
quinzaine de cannes sont restées pendues à une barrière.
Deux roses fanent dans un vase de verre. Là encore, tout est
modestie et sobriété. Atmosphère de temps suspendu,
presque doubli. De silence surtout, seulement troublé par
le murmure du passé.
Ex-voto
et incunables
Lexposition du Musée gruérien reprend ce principe
de sobriété dans la présentation des images. Mais
elle sattache aussi à montrer des objets en faisant ressortit
le côté brillant de Notre-Dame de Compassion, dû
à la tradition du pèlerinage(lire encadré). Quatre
cellules sont ainsi présentées. La première contient
trois pietàs, la deuxième des ex-voto. «Ceux de
Notre-Dame de Compassion sont les plus anciens du canton», précise
Denis Buchs, conservateur du Musée gruérien. Il en existe
aujourdhui environ 150, dont dix seulement dans leur état
dorigine.
Dans les deux dernières cellules sont exposés des objets
liturgiques (dont un magnifique ostensoir de 1725) et des livres issus
de la bibliothèque des capucins. Parmi eux, trois incunables,
le plus ancien daté de 1471. Dans un coin de lexpo défile
en outre un diaporama, évoquant lactivité des capucins
lors des missions. Elles donnaient lieu à dimportantes
processions dans les villages. Les pères ne devaient alors pas
se douter que leur présence à Bulle sachèverait
dans le silence, un demi-siècle plus tard.
Bulle,
Musée gruérien, du 4 juillet au 19 septembre. Du mardi
au samedi, 10 h-12 h, 14 h-17 h. Dimanche, 14 h-17 h. Le livre est en
vente au 026 919 69 00, par e-mail: nicole.bort@lagruyere.ch, au Musée,
ou, dès mercredi, dans les librairies du canton.
Des
pères proches du peuple
|
Avant même
que les capucins ne sinstallent à Bulle, la chapelle
Notre-Dame de Compassion était un célèbre
lieu de pèlerinage. Grâce surtout à Dom
Claude Mossu, un religieux oratorien appelé en 1641 pour
donner un rayonnement à la chapelle. Elle a été
érigée au milieu du XIVe siècle, lors de
la construction dun hôpital sur les lieux du couvent
actuel. A la mort de Claude Mossu, les capucins sinstallent
à Bulle et sont chargés de la gestion du pèlerinage.
Le Gouvernement leur accorde un permis détablissement
définitif en 1679. Ce pèlerinage explique pourquoi
le retable du maître-autel, peuplé dune quinzaine
de statues, est aussi riche. Alors que le reste de la chapelle
correspond aux principes daustérité.
Les capucins sont toujours restés proches des gens de
la région. Ivan Andrey, responsable du recensement du
patrimoine religieux du canton et auteur de la préface
du livre, rappelle à ce sujet une anecdote: «Henri
Gremaud raconte quils offraient chaque année aux
paysans un sachet de fleur de foin bénit, que ceux-ci,
en arrivant au chalet dalpage, brûlaient dans la
chaudière afin de la désensorceler.»
Pour retracer lhistoire des capucins en Gruyère,
les Editions gruériennes envisagent, pour 2006, la publication
dun autre ouvrage. Réalisé en collaboration
avec le Musée gruérien, le Service des biens culturels
et lUniversité de Fribourg, il visera une approche
globale, à travers lhistoire des bâtiments,
du pèlerinage, du rayonnement des capucins ou encore
de la religion populaire.
|
Une
I Editorial I Veveyse/Glâne
I Fribourg I Sports
Droits
de reproduction et de diffusion réservés © La Gruyère
2003 Usage strictement personnel