FRIBOURG Jo Siffert et Jean Tinguely

L’amitié de deux légendes

Il y a vingt ans, Jean Tinguely (1925-1991) installait une fontaine hommage à son ami Jo Siffert (1936-1971) sur les Grand-Places de Fribourg. L’Espace Jean Tinguely - Niki de Saint Phalle fait revivre l’amitié des deux hommes dans une exposition. Jo Siffert sera encore à l’honneur cet automne dans un long métrage documentaire.


Jo Siffert et Jean Tinguely sous l’objectif de Jean-Claude Fontana

En septembre 1971, Jean Tinguely, Niki de Saint Phalle et Bernhard Luginbühl créent une grande carte truffée de textes, d’images, de dessins et de symboles. Elle est destinée à Jo Siffert pour sa victoire sur le circuit de Zeltweg. Jo Siffert ne lira jamais le message de ses amis artistes. La vitesse a eu raison de lui le 24 octobre 1971 à Brands Hatch.
A la mort du pilote, Jo Siffert et Jean Tinguely se connaissent depuis plusieurs années. Ils ont été présentés par le coureur automobile Joachim Bonnier. Jo Siffert a permis à Jean Tinguely d’acquérir l’ancienne auberge de l’Aigle Noir de Neyruz en 1968, lorsque l’artiste s’installe dans le canton, après avoir vécu à Bâle et à Paris.

Siffert en photos
Jean Tinguely devient un spectateur passionné des courses automobiles, un amateur de vitesse qui aime aussi les voitures de sport: «J’aime la Formule 1 parce qu’elle est la rencontre la plus concentrée entre Homme et Machine, entre l’homme et la folie qui ne mène nulle part.» On peut lire ces mots de l’artiste sur le mur de l’exposition de l’Espace Jean Tinguely - Niki de Saint Phalle.
Le premier étage de l’exposition est consacré à Jo Siffert. Symboliquement placée entre la tenue de course du pilote et la tenue de travail de Tinguely, deux «costumes» de scène entrés eux aussi dans la légende visuelle fribourgeoise, une série de photographies de Jean-Claude Fontana, lui-même ami de Siffert, fait revivre quelques épisodes de la carrière de Jo Siffert. On le voit au volant de sa voiture, avec une couronne de laurier pour fêter une victoire… On peut aussi découvrir quelques-uns des trophées acquis sur les circuits, les modèles réduits de ses voitures et la carte de félicitations déjà mentionnée ici.
Mais la raison même de l’exposition se situe au rez-de-chaussée. On fête cette année le vingtième anniversaire de la création de la fontaine des Grand-Places, hommage de Tinguely à Siffert. «Après la mort de Jo Siffert, Jean Tinguely veut tout de suite lui rendre hommage avec une statue dédiée à la vitesse», explique Yvonne Lehnherr, la directrice du Musée d’art et d’histoire et de l’Espace Jean Tinguely - Niki de Saint Phalle. L’artiste veut implanter son œuvre au centre-ville. Les premiers lieux qu’on lui propose ne l’intéressent pas. «Il obtient finalement le feu vert du Conseil communal en 1982», poursuit la directrice.
Après avoir envisagé d’installer sa fontaine devant les bâtiments de l’Université, à la place de l’actuelle sculpture qui domine le parc des Bourgeois, Jean Tinguely opte pour les Grand-Places et pour l’emplacement où la fontaine est encore installée aujourd’hui. Devant l’Université, elle aurait été trop exposée aux vents et les jeux subtils de l’eau en auraient été affectés.

Œuvre de continuité
C’est que, dans les fontaines de Tinguely, l’eau joue un rôle aussi important pour la forme que la structure métallique qui fait le corps de l’œuvre, explique Caroline Schuster Cordone, collaboratrice du Musée d’art et d’histoire. Celle des Grand-Places ne fait pas exception. Les volutes d’eau provoquées par le mouvement de la machine sont essentielles, elles font l’œuvre autant que sa structure.
La création de la fontaine pour Jo Siffert s’inscrit dans une continuité pour Jean Tinguely. Il avait réalisé quelques années plus tôt la merveilleuse fontaine du Carnaval à Bâle, installée, elle aussi, au cœur de la cité rhénane. Une année avant l’inauguration de la fontaine Siffert, Tinguely inaugurait encore en collaboration avec Niki de Saint Phalle, à Paris cette fois, la fontaine Igor Stravinski.
Avant la mise en service de la fontaine fribourgeoise devant un public nombreux, le 30 juin 1984, de nombreux dessins préparatoires ont été réalisés par Jean Tinguely. Ce sont eux qui sont au cœur du rez-de-chaussée de l’exposition.

Mouvement spécifique
On peut voir des dessins d’avant l’œuvre, certains très précis, d’autres qui ne sont que des idées jetées sur la page, des dessins réalisés pendant la construction et des dessins postérieurs à la construction de la fontaine. Quelle que soit l’époque des dessins, on perçoit dans chacun d’entre eux ce mouvement qui fait la spécificité de la fontaine.
Il faut retourner sur les Grand-Places et passer un peu de temps avec elle pour se souvenir de l’importance du mouvement dans l’art de Tinguely. Il joue sans cesse avec lui et le spectateur, devant la fontaine du Carnaval de Bâle ou devant celle de Fribourg, se laisse assez longuement fasciné. Le mouvement, évidemment, rattache Jean Tinguely à Jo Siffert. Mouvement, vitesse, machine, une trilogie partagée.

Fribourg, Espace Jean Tinguely - Niki de Saint Phalle, Jean Tinguely & Jo Siffert: témoignages d’une amitié, jusqu’au 10 octobre. Ouvert du mercredi au dimanche entre 11 h et 18 h, le jeudi jusqu’à 20 h

Un nouveau regard sur Siffert

Un long métrage documentaire consacré à Jo Siffert, à voir cet automne sur les écrans, est en cours de montage. «Nous voulions apprendre une histoire que nous ne connaissons pas. Nous sommes nés trop tard pour avoir été marqués par la carrière de Jo Siffert.» Christian Davi, producteur du film Remember Jo Siffert, qui sortira en octobre si tout va bien, explique les raisons pour lesquelles la jeune société Hugofilm, à Zurich, a décidé d’accepter la proposition du réalisateur Men Lareida et de se lancer dans la production d’un film consacré au grand pilote. «L’intérêt du film est double: c’est d’un côté le récit d’une vie extraordinaire et de l’autre le portrait d’une époque.»
L’amitié entre Jo Siffert et Jean Tinguely n’a bien sûr pas échappé aux réalisateurs, et plus largement la proximité des artistes avec le pilote de course. Mais l’approche est plus vaste. Le film couvrira toute la vie de Siffert. L’équipe de tournage a rencontré la famille du pilote, ceux qui ont vécu près de lui sur les courses automobiles, des coureurs, «une multitude de gens qui l’ont connu à des époques différentes de sa vie».
C’est le producteur Christian Davi qui a mené les entretiens en français. Il a découvert de nombreux témoins qui, dit-il, «ont encore une vraie fascination pour Jo Siffert». «C’est étonnant, il est vraiment resté dans les mémoires. Ce que l’on a découvert de plus marquant, c’est l’importance qu’a conservée Jo Siffert pour tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés.»
Près de la fontaine des Grand-Places, en Basse-Ville, chez des particuliers, l’équipe de tournage a fait le tour de Fribourg. Elle a découvert avec stupéfaction que ceux qui ont connu Siffert ont conservé une large iconographie de leur idole: «Il y a des trésors de souvenirs chez certains des personnages que nous avons rencontrés.» Le contact avec les témoins a été excellent, poursuit Christian Davi: «Tout le monde a été très ouvert. Le seul problème que nous avons rencontré, c’est que certains ne se jugeaient pas assez importants pour parler de Siffert. Ils nous disaient que d’autres étaient plus proches de lui. Mais quand nous leur avons dit que ces autres étaient aussi dans le film, ils ont accepté.»
Hugofilm, qui produit le documentaire, est une jeune société zurichoise active depuis une année dans la production: elle n’est pas complètement inconnue à Fribourg puisque l’un de ses films, Ma famille africaine, qui a reçu une mention spéciale du jury au Festival de films de Fribourg cette année. Remember Jo Siffert bénéficie de l’aide de la commune et du canton de Fribourg, de la TSR et de la DRS, du canton de Zurich enfin.

Remember Jo Siffert, documentaire de Men Lareida, 90 min., sortie cet automne

 

Charly Veuthey
22 mai 2004

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