VEVEYSE De Granges à… Emounaz
Dans l’omnibus de Janda

Mathématicien, astrologue, psychothérapeute, Jean-Daniel Biolaz est aussi écrivain. La publication de son troisième livre, «Omnibus pour Emounaz», confirme son talent «d’artisan-écriveur», comme il dit. Depuis trente-huit ans, «Janda» vit avec «une foutue maladie», la sclérose en plaques. Son livre est un hymne à la vie.


Jean-Daniel Biolaz en partance pour «Emounaz»…

 

Après un recueil de poèmes (Lisières, 1979), puis «une petite chronique aiguë d’une réalité peu ordinaire» (Jusqu’à la moëlle, 2001), Jean-Daniel Biolaz publie son troisième livre: Omnibus pour Emounaz (Editions d’En Bas). Avec un sous-titre qui annonce la couleur: «Carnets d’un voyageur sur place 2001-2003».
Depuis trente-huit ans, «Janda», comme le surnomment ses amis, voyage plus dans sa tête que sur les chemins du monde. Il n’avait que 20 ans et – ironie du sort, il venait d’escalader le Mont-Blanc – quand il a été frappé par «une foutue maladie», la sclérose en plaques, qui l’a exilé du monde mobile, comme l’explique Grégoire Mayor dans la très belle préface du livre.
Ne cherchez pas Emounaz dans le bottin valaisan du téléphone! Ce village n’existe pas… Jean-Daniel Biolaz, qui cultive l’art du calembour, n’a pu résister à la tentation, lui qui est originaire du Valais de surcroît, de jouer avec la sonorité des lettres. Emounaz, c’est le nom de sa maison à Granges. C’est aussi «la transposition phonétique d’un terme hébreu dont la traduction est: confiance, espoir, et qui symbolise le geste de l’enfant tendant la main à celui ou celle qui va l’aider à se dresser, monter une marche, ou va accueillir son élan». Pour Grégoire Mayor, Emounaz, c’est un pays intime. «A première vue une terre inconnue bien que proche. Une contrée dans laquelle les gestes et les actions sont plus lents qu’ailleurs, plus limités, mais où le verbe jaillit et libère».
«Depuis mon invalidité, dit Janda, mon périmètre s’est rétréci. Mais en même temps, je me suis aperçu qu’il contenait plus de choses. J’ai le souvenir vivant du temps où je marchais. Je rêve aussi que je cours et que je vole!» «Virevoltes, pirouettes, plongés et planés, mon imagination est ma liberté», écrit-il. Ou encore: «Beau dimanche d’automne. Ça respire et ça rayonne vers le dedans. Je me sens si proche des arbres sous la fenêtre que je redresse le tronc»…
Aucune complaisance ni tristesse dans ces petits textes ciselés qui ne cachent pourtant rien des vicissitudes du handicap. Mais l’humour leur donne une saine distance: «Entre la rage de vaincre, qui m’anime à cinq ou six heures du matin, lorsque je m’efforce de passer la deuxième chaussette récalcitrante, et la victoire sur la rage après mes exercices du matin, il y a un pont – le sentiment de la chose faite et bien faite. Parfois j’aborde l’exécution des tâches avec l’impression de tenir sur ce pont-là.»
S’il ne peut galoper sur les routes du vaste monde, l’auteur d’Omnibus pour Emounaz n’en part pas moins en voyage, à sa façon. «A des amis qui partent, j’offre ma compagnie sous la forme d’un caillou. Avec mission de me rapporter, à leur retour, un autre caillou de là-bas. C’est comme ça que j’ai voyagé dans les montagnes de l’Himalaya, parcouru la Tunisie et la Grèce, marché sur les chemins de St-Jacques-de-Compostelle!» dit-il en exhibant sa collection de petites pierres précieuses…
Professeur de maths, astrologue, gestalt-thérapeute, Janda Biolaz n’est pas du genre à se laisser abattre ni plaindre. Et encore moins à invectiver les étoiles. Même si les révoltes, bien humaines, sont là: «Je sens la vie aller et venir, partir et revenir. Quand j’ai mal, je la fuis jusqu’à la maudire.»
Reste une foi inébranlable en la vie, justement! Ce beau livre, que Janda a mis en forme avec la complicité de son épouse Françoise, est là pour le rappeler à la majorité des «mobiles» que nous sommes. Porté par une écriture toute pleine d’air, ce livre se dévore d’un trait. Légers, les mots interpellent pourtant en profondeur. On est renvoyé à la relativité des choses. A la force et à la fragilité de la vie. A notre capacité d’adaptation aux coups de crocs du destin, qui peut basculer d’un jour à l’autre.
«Un de ces derniers matins où la bise soufflait fort, j’admirais un couple de milans royaux se royaumer dans l’atmosphère. L’un d’eux, porté par le vent, est resté sur place au-dessus de la petite colline voisine pendant au moins deux minutes. Comme lui, je voyage sur place, face au vent, aux courants». C’est la conclusion du livre. Elle donne envie d’être un oiseau…

Omnibus pour Emounaz, carnets d’un voyageur sur place 2001-2003.
Editions d’En Bas

 

Marie-Paule Angel
8 juin 2004

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