COMMENTAIRE

Visite du Pape
La séduction de l’absolu

Une fois encore la magie a opéré. Le vieux pape malade, paralysé dans sa chaise roulante, a électrisé les foules. Les 14000 jeunes rassemblés dans la patinoire de BernArena lui ont réservé un accueil à la hauteur de sa figure historique. Et la séduction a dépassé le cercle des 70000 fidèles venus dimanche participer à la messe sur la prairie de l’Allmend: la presse suisse, qu’on a rarement prise en défaut de «papophilie», est tombée en admiration devant le miracle Jean Paul II.
Il est incontestable que l’affectivité dont la figure papale est aujourd’hui chargée doit beaucoup à la compassion que suscite ce corps souffrant, exposé au regard voyeur des caméras. Mais au-delà de la figure charismatique, il est une fracture que le succès des journées bernoises rend plus béante encore. Car où sont, dans le quotidien catholique, ces jeunes qui ont passé ce week-end dans l’émotion d’une rencontre extraordinaire? La question s’impose à ceux qui connaissent la réalité vécue sur le terrain. D’un côté, ces heures d’exaltation partagées en présence d’un guide emblématique. De l’autre, une indifférence généralisée, une religion pratiquée à la carte, une incompréhension face à un message perçu comme dogmatique.
Comment expliquer ces paradoxes? Dans Le Temps, le sociologue Roland Campiche utilise une jolie formule pour évoquer la fascination exercée par Jean Paul II sur ces jeunes généralement éloignés des préoccupations religieuses. «Il ne faut pas sous-estimer la séduction de l’impossible, dit-il. Le pape incarne un absolu qui correspond aux aspirations d’une partie de la jeunesse en quête de pureté. Le message qui demande un dépassement de soi trouve un écho à un âge où l’on cherche des points de repère.»
On peut se réjouir de ces milliers de jeunes enthousiasmés par la figure de ce pape hors du commun. On doit s’interroger sur les suites de ces journées, sur les relais mis en place pour que l’élan soit prolongé vers la base. La visite de Jean Paul II et la ferveur qu’elle a suscitée seront-elles les graines de cette réévangélisation qui a été l’un des objectifs majeurs de ce pontificat?
C’est une évidence: cette «séduction de l’impossible» trouve un écho au sein de nombreuses communautés nouvelles, bien représentées dans la patinoire bernoise. Parviendra-t-elle à toucher plus largement ces milliers de jeunes aujourd’hui éloignés des références proposées par l’Eglise?

Patrice Borcard
8 juin 2004

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