Christian
Charrière ne sera plus coureur cycliste. A 27 ans, après
six années passées dans les pelotons, le résident
du Mouret nétait pas prêt à accepter nimporte
quelle condition. Le manager de la formation Phonak Urs Freuler ne voulant
plus de lui, et sans proposition intéressante dune équipe
de première division, Christian Charrière a déposé
le maillot. Un équipement jaune et vert quil troque désormais
contre une scie à bois et une bonne paire de gants. Sans regrets
ni rancurs, il se tourne vers un nouvel avenir fort dune
expérience inoubliable.
Christian Charrière, comment vous sentez-vous, maintenant que
votre décision est définitive?
Très bien! Cette décision na pas été
prise sur un coup de tête, elle a été mûrement
réfléchie. Au début de cette saison, je savais
déjà quil sagissait peut-être de la
dernière. Jai fait mon maximum, en sachant que ça
pouvait tourner dun côté comme de lautre. Mais
ma «retraite» ne me pose aucun problème.
Vous avez toujours déclaré que vous nalliez pas
continuer à tout prix
Ma ligne de conduite a été claire dès le départ.
Si je continuais, cétait dans une équipe de première
division, avec de bonnes structures. Je savais bien quen posant
ces exigences, je risquais de me retrouver sans équipe. Mais
je préférais arrêter, plutôt que de faire
lannée de trop. Dans une ambiance qui ne me plaisait pas,
je naurais pas fait du bon travail.
Votre discours aurait-il été différent si vous
naviez que 20 ans?
Bien sûr! Je me permets de parler ainsi, car jai six ans
de professionnalisme derrière moi. Jai participé
à de nombreuses courses, avec des équipes bien structurées.
Si je débutais dans le métier, les choses seraient différentes.
Quel regard jetez-vous sur votre carrière?
Jai passé six années fantastiques. Je ne regrette
pas davoir pu vivre cette expérience et je nen garde
que des bons souvenirs.
Quels sont vos plus beaux moments?
Ma 14e place du classement général du Tour de Romandie,
en 1997. Il y a aussi le Tour de Suisse 2000, où jai pu
suivre Jan Ullrich et son maillot jaune jusquà larrivée.
Pendant mes premières années en Italie, jai été
au service de leaders qui ont gagné de grandes courses.
Cette année, il y a létape du col dEze à
Paris-Nice. Puis, dernièrement, létape du Tour de
Suisse remportée par mon coéquipier Alexander Moos. Un
moment extraordinaire! Travailler pour un gars reconnaissant comme Alex,
cest un énorme plaisir.
A linverse, quels ont été les pires moments?
Il y en a toujours
Les chutes sont très pénibles,
surtout ma deuxième en Espagne. Mais franchement, jaime
mieux retenir les bons souvenirs. Les mauvais moments me viennent moins
vite à lesprit.
Quest-ce qui va le plus vous manquer?
La vie de coureur en général. Partir aux courses, la compétition,
rentrer à la maison et sentraîner
Ce serait
mentir de dire que ça ne va pas me manquer. Mais je naurai
peut-être pas le temps de trop y réfléchir.
Avez-vous des regrets?
A propos de cette année, non. Si je devais la refaire, je ne
changerais rien. La seule chose que je regrette, cest la façon
dont on a agi avec moi.
Vous parlez dUrs Freuler, le manager de Phonak, qui na pas
souhaité vous garder, contre lavis de son directeur sportif
Alvaro Pino ma soutenu jusquau bout. Mais les dirigeants
de Phonak ne se sont pas alignés sur son avis. Je suis très
déçu de leur attitude.
Que vous reprochait Urs Freuler?
Ces arguments nétaient absolument pas valables! En fait,
il ma bien fait comprendre que les «Welsches» nétaient
pas les bienvenus à Phonak. Il ma même dit: «Avec
les coureurs romands, sil ny a pas de problèmes maintenant,
ils arriveront par la suite.» Que pouvais-je faire là contre?
Quavez-vous appris, pendant ces six ans de professionnalisme?
Mes deux saisons en Italie mont ouvert aux autres et jai
développé des capacités dadaptation. Jai
aussi appris la discipline, la rigueur, et à me fixer des objectifs.
Auriez-vous été différent sans cette expérience?
Je ne sais pas. Je pense que ces traits de caractère font partie
de moi, donc je serais la même personne. Mais maintenant, jai
un bagage supplémentaire qui nest pas négligeable
pour la suite.
Justement, comment lenvisagez-vous?
Jaimerais reprendre le métier que jai appris, celui
de menuisier. Actuellement, je cherche du travail. Je compte commencer
le plus vite possible.
Pendant cette période dinactivité, les jours ne
sont-ils pas trop longs?
Je ne suis pas du genre à rester en pyjama toute la journée!
Jai toujours été actif. Maintenant, je fais dautres
sports, pour le plaisir de se dépenser.
A limage de Daniel Paradis, allez-vous vous lancer dans une carrière
en VTT?
Jai une grande admiration pour ce qua réalisé
Daniel. Mais je ne pense pas que je ferai pareil. Je ne tiens pas à
participer à des courses de VTT. En tout cas, pas tant que jaurai
létiquette dancien coureur professionnel.
Que peut-on vous souhaiter pour le futur?
Que je trouve autant de satisfactions dans mon avenir que jen
ai eu pendant ma carrière de coureur cycliste.
«Je
ne crois pas aux martyrs
Avec Bourquenoud, Fragnière, Haymoz déjà
retraité du vélo ou Paradis, le canton de Fribourg,
et surtout la Gruyère, a connu une période faste vers
le milieu des années nonante. Depuis, le désert. Pire
encore, personne ne semble pointer le bout de sa roue à lhorizon
du cyclisme suisse. Comment expliquer pareille disette? «Je ne
pense pas que les clubs aient changé leurs structures, note Christian
Charrière. Mais cest vrai, il y a un sacré creux
dans le canton. Le vélo est un sport tellement dur que les jeunes
se tournent facilement vers des activités plus fun.»
La réputation sulfureuse du cyclisme, baigné dans les
affaires de dopage depuis 1998, y est peut-être pour quelque chose
«La mauvaise réputation du vélo est faussement établie,
coupe le coureur fribourgeois. Les autres sports de haut niveau ne sont
pas meilleurs. Cest difficile de dire quel sport est le plus touché.
Dès quil y a de largent
Pour moi, le dopage
na jamais été un sujet tabou et jai la conscience
tranquille. Jai toujours fait confiance au système, même
si je sais que les contrôles ont du retard sur certains produits.
Mais les coureurs sont de grands garçons et connaissent les conséquences
de leurs actes.»
Certains, comme le Français Cédric Basson, ont tenté
de sélever contre le système, dénonçant
un dopage généralisé. Exclus du peloton, ils sont
en quelque sorte devenus des martyrs. Une attitude que réprouve
le Gruérien: «Notre rôle nest pas de jouer
les justiciers, mais de faire notre travail le mieux possible. Dailleurs,
je ne crois pas du tout aux martyrs. Sils ont été
écartés des pelotons, cest quils lont
bien voulu. De plus, ceux qui jouent les saintes nitouches ne sont pas
forcément les plus honnêtes.»
Dans le cyclisme actuel, mis à part des coureurs dexception
comme Armstrong ou Ullrich, les cyclistes ont tendance à se spécialiser
de plus en plus. Quen pense le jeune retraité? «Jai
limpression que dans le cyclisme professionnel, mieux vaut être
bon dans un domaine et gagner des courses, que polyvalent et ne gagner
nulle part. Moi, je faisais partie des polyvalents. Cest un des
aspects qui mont finalement désavantagé.»
A lavenir, Christian Charrière tient à se fixer
des objectifs dans dautres domaines, se tourner vers dautres
buts. Le Fribourgeois va- t-il maintenir le contact avec le milieu?
«Je me tiendrai au courant et je compte bien garder les amis que
je me suis faits. En plus, je suis bien conscient davoir bénéficié
de laide de nombreuses personnes pour arriver là ou je
suis allé. Je trouve normal quun jour je minvestisse
dans un club pour rendre la pareille.»
Karine
Allemann /
17 décembre 2002