CYCLISME
Christian Charrière
«J’arrête sans aucun regret»

«Les Welsches ne sont pas les bienvenus à Phonak.» Ce leitmotiv d’Urs Freuler, manager de la formation suisse, Christian Charrière l’a appris à ses dépens. Sans équipe «valable» pour la saison 2003, le Gruérien a décidé de mettre un terme à sa carrière de coureur cycliste. Retour sur six années de professionnalisme.


Christian Charrière: «La vie de coureur, partir aux courses, la compétition, s’entraîner... Ce serait mentir de dire que ça ne va pas me manquer»
(C. Dutoit)

Christian Charrière ne sera plus coureur cycliste. A 27 ans, après six années passées dans les pelotons, le résident du Mouret n’était pas prêt à accepter n’importe quelle condition. Le manager de la formation Phonak Urs Freuler ne voulant plus de lui, et sans proposition intéressante d’une équipe de première division, Christian Charrière a déposé le maillot. Un équipement jaune et vert qu’il troque désormais contre une scie à bois et une bonne paire de gants. Sans regrets ni rancœurs, il se tourne vers un nouvel avenir fort d’une expérience inoubliable.

– Christian Charrière, comment vous sentez-vous, maintenant que votre décision est définitive?
Très bien! Cette décision n’a pas été prise sur un coup de tête, elle a été mûrement réfléchie. Au début de cette saison, je savais déjà qu’il s’agissait peut-être de la dernière. J’ai fait mon maximum, en sachant que ça pouvait tourner d’un côté comme de l’autre. Mais ma «retraite» ne me pose aucun problème.

– Vous avez toujours déclaré que vous n’alliez pas continuer à tout prix…
Ma ligne de conduite a été claire dès le départ. Si je continuais, c’était dans une équipe de première division, avec de bonnes structures. Je savais bien qu’en posant ces exigences, je risquais de me retrouver sans équipe. Mais je préférais arrêter, plutôt que de faire l’année de trop. Dans une ambiance qui ne me plaisait pas, je n’aurais pas fait du bon travail.

– Votre discours aurait-il été différent si vous n’aviez que 20 ans?
Bien sûr! Je me permets de parler ainsi, car j’ai six ans de professionnalisme derrière moi. J’ai participé à de nombreuses courses, avec des équipes bien structurées. Si je débutais dans le métier, les choses seraient différentes.

– Quel regard jetez-vous sur votre carrière?
J’ai passé six années fantastiques. Je ne regrette pas d’avoir pu vivre cette expérience et je n’en garde que des bons souvenirs.

– Quels sont vos plus beaux moments?
Ma 14e place du classement général du Tour de Romandie, en 1997. Il y a aussi le Tour de Suisse 2000, où j’ai pu suivre Jan Ullrich et son maillot jaune jusqu’à l’arrivée. Pendant mes premières années en Italie, j’ai été au service de leaders qui ont gagné de grandes courses.
Cette année, il y a l’étape du col d’Eze à Paris-Nice. Puis, dernièrement, l’étape du Tour de Suisse remportée par mon coéquipier Alexander Moos. Un moment extraordinaire! Travailler pour un gars reconnaissant comme Alex, c’est un énorme plaisir.

– A l’inverse, quels ont été les pires moments?
Il y en a toujours… Les chutes sont très pénibles, surtout ma deuxième en Espagne. Mais franchement, j’aime mieux retenir les bons souvenirs. Les mauvais moments me viennent moins vite à l’esprit.

– Qu’est-ce qui va le plus vous manquer?
La vie de coureur en général. Partir aux courses, la compétition, rentrer à la maison et s’entraîner… Ce serait mentir de dire que ça ne va pas me manquer. Mais je n’aurai peut-être pas le temps de trop y réfléchir.

– Avez-vous des regrets?
A propos de cette année, non. Si je devais la refaire, je ne changerais rien. La seule chose que je regrette, c’est la façon dont on a agi avec moi.

– Vous parlez d’Urs Freuler, le manager de Phonak, qui n’a pas souhaité vous garder, contre l’avis de son directeur sportif…
Alvaro Pino m’a soutenu jusqu’au bout. Mais les dirigeants de Phonak ne se sont pas alignés sur son avis. Je suis très déçu de leur attitude.

– Que vous reprochait Urs Freuler?
Ces arguments n’étaient absolument pas valables! En fait, il m’a bien fait comprendre que les «Welsches» n’étaient pas les bienvenus à Phonak. Il m’a même dit: «Avec les coureurs romands, s’il n’y a pas de problèmes maintenant, ils arriveront par la suite.» Que pouvais-je faire là contre?

– Qu’avez-vous appris, pendant ces six ans de professionnalisme?
Mes deux saisons en Italie m’ont ouvert aux autres et j’ai développé des capacités d’adaptation. J’ai aussi appris la discipline, la rigueur, et à me fixer des objectifs.

– Auriez-vous été différent sans cette expérience?
Je ne sais pas. Je pense que ces traits de caractère font partie de moi, donc je serais la même personne. Mais maintenant, j’ai un bagage supplémentaire qui n’est pas négligeable pour la suite.

– Justement, comment l’envisagez-vous?
J’aimerais reprendre le métier que j’ai appris, celui de menuisier. Actuellement, je cherche du travail. Je compte commencer le plus vite possible.

– Pendant cette période d’inactivité, les jours ne sont-ils pas trop longs?
Je ne suis pas du genre à rester en pyjama toute la journée! J’ai toujours été actif. Maintenant, je fais d’autres sports, pour le plaisir de se dépenser.

– A l’image de Daniel Paradis, allez-vous vous lancer dans une carrière en VTT?
J’ai une grande admiration pour ce qu’a réalisé Daniel. Mais je ne pense pas que je ferai pareil. Je ne tiens pas à participer à des courses de VTT. En tout cas, pas tant que j’aurai l’étiquette d’ancien coureur professionnel.

– Que peut-on vous souhaiter pour le futur?
Que je trouve autant de satisfactions dans mon avenir que j’en ai eu pendant ma carrière de coureur cycliste.

«Je ne crois pas aux martyrs
Avec Bourquenoud, Fragnière, Haymoz – déjà retraité du vélo – ou Paradis, le canton de Fribourg, et surtout la Gruyère, a connu une période faste vers le milieu des années nonante. Depuis, le désert. Pire encore, personne ne semble pointer le bout de sa roue à l’horizon du cyclisme suisse. Comment expliquer pareille disette? «Je ne pense pas que les clubs aient changé leurs structures, note Christian Charrière. Mais c’est vrai, il y a un sacré creux dans le canton. Le vélo est un sport tellement dur que les jeunes se tournent facilement vers des activités plus fun.»
La réputation sulfureuse du cyclisme, baigné dans les affaires de dopage depuis 1998, y est peut-être pour quelque chose… «La mauvaise réputation du vélo est faussement établie, coupe le coureur fribourgeois. Les autres sports de haut niveau ne sont pas meilleurs. C’est difficile de dire quel sport est le plus touché. Dès qu’il y a de l’argent… Pour moi, le dopage n’a jamais été un sujet tabou et j’ai la conscience tranquille. J’ai toujours fait confiance au système, même si je sais que les contrôles ont du retard sur certains produits. Mais les coureurs sont de grands garçons et connaissent les conséquences de leurs actes.»
Certains, comme le Français Cédric Basson, ont tenté de s’élever contre le système, dénonçant un dopage généralisé. Exclus du peloton, ils sont en quelque sorte devenus des martyrs. Une attitude que réprouve le Gruérien: «Notre rôle n’est pas de jouer les justiciers, mais de faire notre travail le mieux possible. D’ailleurs, je ne crois pas du tout aux martyrs. S’ils ont été écartés des pelotons, c’est qu’ils l’ont bien voulu. De plus, ceux qui jouent les saintes nitouches ne sont pas forcément les plus honnêtes.»
Dans le cyclisme actuel, mis à part des coureurs d’exception comme Armstrong ou Ullrich, les cyclistes ont tendance à se spécialiser de plus en plus. Qu’en pense le jeune retraité? «J’ai l’impression que dans le cyclisme professionnel, mieux vaut être bon dans un domaine et gagner des courses, que polyvalent et ne gagner nulle part. Moi, je faisais partie des polyvalents. C’est un des aspects qui m’ont finalement désavantagé.»
A l’avenir, Christian Charrière tient à se fixer des objectifs dans d’autres domaines, se tourner vers d’autres buts. Le Fribourgeois va- t-il maintenir le contact avec le milieu? «Je me tiendrai au courant et je compte bien garder les amis que je me suis faits. En plus, je suis bien conscient d’avoir bénéficié de l’aide de nombreuses personnes pour arriver là ou je suis allé. Je trouve normal qu’un jour je m’investisse dans un club pour rendre la pareille.»

Karine Allemann / 17 décembre 2002

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