Produits du terroir
Le jambon brigue une AOC

L’Association des maîtres-bouchers fribourgeois a entamé des démarches en vue de l’obtention d’une Appellation d’origine contrôlée pour le jambon de la borne. Selon les professionnels de la viande, cette tradition n’est perpétuée que dans le canton de Fribourg. Une étude commandée par le Département de l’agriculture renforce cette affirmation.


Le jambon de la borne est une spécialité typiquement fribourgeoise, estiment les maîtres-bouchers du canton (C. Haymoz)

La route est longue, tortueuse, parsemée d’embûches. Ils sont nombreux pourtant, les défenseurs des produits «traditionnels» à l’emprunter. Normal, elle mène vers leurs deux «Graal»: l’Appellation d’origine contrôlée (AOC) et l’Indication géographique de provenance (IGP). Ainsi, dès l’année prochaine, c’est l’Association des maîtres-bouchers fribourgeois qui va se lancer dans l’aventure. Elle souhaite faire reconnaître le «jambon de la borne» en tant que spécialité cantonale. «Mais nous n’en sommes qu’au départ», précise son président, le Châtelois François Blanc.
Deux documents ont amorcé la démarche. A l’occasion d’une conférence, en avril dernier, l’ancien président des maîtres-bouchers, Christian Deillon, relevait: «Les produits fumés à la borne relèvent d’une grande tradition, encore bien vivante dans notre canton, alors qu’elle s’est éteinte autour de nous.» Un discours qui n’a pas laissé insensible Frédéric Brand, le responsable juridique des dossiers AOC-IGP auprès de l’Office fédéral de l’agriculture. Qui les encourage à déposer une demande. «Le jambon de la borne est quelque chose d’extrêmement typique au canton de Fribourg. Vous ne trouvez nulle part ailleurs en Suisse cette manière de faire commune à tant de bouchers», explique-t-il.
Une affirmation que vient renforcer une étude commandée par le Département de l’agriculture, portant sur le lien du terroir fribourgeois avec le fameux jambon. Ce travail, rendu en octobre dernier, rappelle que si les Fribourgeois ont fumé leurs jambons – dès le Moyen Age – c’est avant tout pour des raisons de conservation. Et de souligner qu’avec le climat régnant dans le canton, fumer la viande restait la meilleure solution. Le séchage, en effet, n’était pas adapté à nos latitudes.
L’étude rappelle également le lien entre le jambon de la borne et la bénichon, fête traditionnelle et typiquement fribourgeoise s’il en est. Mais au-delà de cette tradition automnale, l’enquête relève encore les «nombreuses constantes dans le savoir-faire, notamment dans les procédés de salaison et de fumage». Et de souligner le «souci d’authenticité» des bouchers. Car aujourd’hui, plus rien – «si ce n’est la volonté de perpétuation, le désir du consommateur ou le goût spécifique du produit» – ne les oblige à faire du «véritable» jambon de la borne. Les méthodes de conservation ne les y forcent effectivement plus.

AOC ou IGP?
Reste savoir si le «jambon de la borne» va briguer une AOC ou une IGP. «Nous voulons tenter l’AOC, mais nous manquons de grossistes en porcs fribourgeois», estime pour sa part Christian Deillon. François Blanc juge lui aussi qu’il sera «difficile de n’avoir que des porcs fribourgeois». D’autant plus difficile que, pour l’heure, il n’est guère possible d’articuler un chiffre sur le nombre de jambons transformés chaque année.
Certains bouchers affirment pourtant qu’il y aurait assez de matière première dans le canton… Gérant de l’Association charcuterie vaudoise AOC-IGP – qui a récemment reçu une IGP pour la Saucisse aux choux vaudoise – Didier Blanc, en est convaincu lui aussi: «Il y a largement assez de porcs dans le canton de Fribourg. Ce serait un massacre de renoncer à l’AOC pour cette raison.» Encore faudra-t-il réussir à convaincre tous les bouchers fribourgeois. Première esquisse de réponse le 20 mars 2003, à l’occasion de l’assemblée générale de la profession.
Et puis il faudra également convaincre les bouchers des cantons voisins – notamment Vaud et le Valais – qui pourraient s’opposer à une demande d’AOC. A ce propos, Didier Blanc relève: «Notre attitude dépendra de celle des Fribourgeois par rapport au boutefas, glisse-t-il. Car on arrivera toujours à trouver un Vaudois qui fabrique du jambon de la borne, comme on trouvera toujours un Fribourgeois qui fabrique du boutefas…»
Quand on vous disait que la route serait longue, tortueuse, parsemée d’embûches…

Patrick Pugin / 5 décembre 2002