COMMENTAIRE

Avec Ruth Lüthi
Le trou noir Fribourgeois

Le principal obstacle à l’élection de Ruth Lüthi au Conseil fédéral avait un nom: Joseph Deiss. La présence de deux Fribourgeois au Gouvernement, bien que la Constitution le permette, aurait été pour le moins surprenante. Aussi, l’échec de la conseillère d’Etat n’est pas une véritable surprise. Elle est le miroir d’une réalité des forces politiques et régionales. Mais Ruth Lüthi a reçu quelques lots de consolation: en l’espace de deux semaines, elle est passée du rôle de candidate alibi à celui de favorite. Accédant à un statut qui pourrait peser lourd lors de prochaines échéances électo-rales…
La campagne a révélé des questions qui méritent un prolongement. D’abord, la «romandité» de Ruth Lüthi. Elle renvoie à la question de l’identité de Fribourg, ce canton latin, bilingue, culturellement composite, qui cherche sa place dans l’espace géographique ainsi que des alliances au niveau politique. La polémique, abondamment alimentée par la presse, reflète dans le miroir cantonal le difficile débat que les Fribourgeois entretiennent entre eux, sur leur rôle au carrefour des cultures, sur leur fonction de pont entre les langues, sur leur propre
cohabitation… De beaux mots pour les discours de cantine, qui ne résistent pas à la réalité des faits, la récente affaire du Tribunal fédéral administratif en avait déjà apporté une preuve.
Cette question «culturelle» n’a servi en réalité que de paravent à un débat plus politique, et chargé d’intérêts. Cette campagne fut l’occasion d’une radiographie des tensions qui régissent l’espace romand. Elle a éclairé les fronts et les forces en présence. L’arc lémanique – «la Suisse des grandes villes» – s’est clairement placé en opposition à la région du Mittelland – une «Suisse minoritaire» – laissant le canton de Fribourg dans un trou noir, flottant dans un espace helvétique en pleine recomposition.
L’échec de Ruth Lüthi au seuil du Conseil fédéral aura au moins eu le mérite d’éclairer cette délicate position du canton de Fribourg, qui doit sérieusement réfléchir à la place qu’il souhaite occuper à l’avenir.

Patrice Borcard / 5 novembre 2002

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