Interview de Ruth Lüthi
«J’ai cru en mes chances»

Révélé par son premier livre, Alexandre Jollien revient sous le feu des projecteurs avec «Le métier d’homme». L’auteur y poursuit son «combat joyeux» pour transformer une faiblesse infligée en une force créée. Son humanisme, il le partagera avec le public, ce mercredi à Bulle.


Avec l’une sortante et l’autre non élue, le Conseil fédéral ne comptera plus qu’une seule Ruth
(photos Keystone)

– Ce matin, vous étiez sereine au moment de prendre le train pour Berne. Avez-vous gardé la même sérénité dans la défaite?
Il y a eu quelques émotions durant cette journée. Mais je reste très sereine. Je me réjouis aussi pour ce qui va venir après ça. En outre, je ne considère pas cette non-élection comme une défaite. Arriver jusque là, c’est déjà un succès.

– Vous y croyiez encore en vous levant ce matin?
J’ai toujours cru en mes chances. Il faut y croire, sinon on n’est pas une bonne candidate.

– Avez-vous craint à un moment d’être élue grâce à un vote massif de protestation de l’UDC?
En tout cas, cela ne me gêne pas si l’on dit que je n’ai pas été élue à cause du vote blanc de l’UDC.

– Mais comment l’auriez-vous pris si ce scénario s’était produit?
Ecoutez, il faut respecter la décision d’un Parlement.

– Qu’avez-vous dit à Micheline Calmy-Rey au moment où le verdict est tombé?
Je l’ai félicitée. Et surtout, je l’ai assurée de mon souhait de pouvoir collaborer avec elle pour le cas où elle hérite du Département de l’intérieur. Comme présidente de la Conférence des directeurs des affaires sociales, j’ai de bons contacts avec Mme Dreifuss. Et j’espère pouvoir collaborer sur les mêmes bases avec Micheline Calmy-Rey.

– Comment avez-vous vécu cette campagne?
J’ai pu vivre une campagne magnifique. Il n’y a pas eu de coup bas. Le moment le plus important a été les auditions devant les groupes. C’était la phase la plus politique. J’ai pu y être jaugée comme une candidate de valeur équivalente à ma collègue. C’est là aussi que j’ai gagné du terrain. Après est revenu sur le tapis un débat surtout médiatique sur la question de la représentation des régions.

– Justement, comment avez-vous ressenti toute cette polémique sur votre pedigree?
Il n’est pas mauvais que le débat ait lieu. J’espère qu’on en tire quelques enseignements, principalement sur la question de l’intégration. Dans un monde où la mobilité est devenue d’actualité, on doit reconnaître que ce n’est pas l’origine qui prime, mais le lieu où l’on est implanté, où l’on a son activité, où l’on a développé son réseau de connaissances. Ce qui m’a un peu inquiétée les derniers jours, c’est qu’on essaie de diviser la Suisse romande entre le bassin lémanique et les autres régions. Nous devons vraiment avoir une bonne cohésion entre les cantons romands si nous voulons avoir un poids au niveau suisse.

– Votre candidature a souvent été présentée comme un faire-valoir pour élire une femme romande. En fin de compte, vous avez rempli votre rôle, puisque Micheline Calmy-Rey est élue…
Seules quelques personnes l’ont suggéré. Je ne l’ai jamais perçu comme cela. Les auditions devant les groupes ont prouvé que nous étions deux candidates de même valeur. La seule chose qui nous différenciait vraiment, c’était notre origine. Voulait-on plutôt quelqu’un du bassin lémanique et d’une grande ville? Ou acceptait-on une candidate d’une ville moyenne et d’un canton déjà représenté au Conseil fédéral?

– Etes-vous tout de même fière d’avoir permis l’élection d’une femme?
Je suis surtout fière que le parti socialiste ait été capable de présenter deux candidates considérées, même par les partis bourgeois, comme de bonnes candidates, qui répondent au profil du poste.

– Vous avez beaucoup fréquenté les travées du Palais fédéral ces dernières semaines. Y avez-vous pris goût?
Il est clair que la politique au niveau fédéral m’intéresse. En politique cantonale, nous voyons à quel point nous dépendons des décisions prises à Berne. Mais il est trop tôt pour dire si je serai candidate à une autre élection. Il faut d’abord me laisser le temps de respirer un peu.

Ce sera pour une autre fois
Fribourg n’entrera pas dans l’histoire comme le premier canton à compter deux conseillers fédéraux. Au terme d’un combat à la régulière, la Genevoise Micheline Calmy-Rey a battu hier assez nettement Ruth Lüthi au cinquième tour (131 voix à 68).
La campagne en vue de la succession de Ruth Dreifuss s’est longtemps cantonnée à une question de sexe. Le siège féminin acquis, on a vu monter la polémique sur le pedigree de Ruth Lüthi. Ces derniers jours, l’affaire s’est transformée en véritable croisade dans certains médias lémaniques.
Hier toutefois, au moment de l’élection, ces éléments sont restés dans l’ombre. Les réflexes régionaux ont certes fonctionné comme à l’accoutumé. Mais c’est d’abord le comportement de l’UDC qui a monopolisé l’attention. Le parti de Christoph Blocher a joué à la perfection le rôle du martyr.
Comme toujours, les deux premiers tours ont servi de rounds d’observation. Mais ils ont aussi permis de tirer de nombreux enseignements. D’abord, les chances de voir un candidat inofficiel l’emporter ont été réduites à zéro. Le Neuchâtelois Jean Studer n’obtenait pas les dix voix minimales pour passer au troisième tour. Quant à la Tessinoise Patrizia Pesenti, ces treize maigres voix l’assuraient juste d’un dernier tour pour l’honneur.
Autre enseignement, le candidat de l’UDC Toni Bortoluzzi recueille de nombreuses voix en dehors de son parti: 69 au premier tour, alors que son groupe est formé de 52 parlementaires. Certes, sa candidature s’affaisse dès le deuxième tour (58 voix). Mais il faut y voir un avertissement dans la perspective des élections fédérales de l’an prochain. Le renouvellement des mandats de Joseph Deiss et Ruth Metzler s’effectuera dans la douleur.
Enfin, les deux premiers tours confirment que la lutte pour le siège se cantonnera à un duel entre Micheline Calmy-Rey et Ruth Lüthi. En prenant la tête dès le départ, la Genevoise assume son rôle de favorite. Les 61 voix recueillies par Ruth Lüthi au premier tour prouvent que sa candidature ne se bornait pas à un rôle de faire-valoir.
Reste qu’au fil des tours la Genevoise a maintenu son avance. L’écart somme toute assez restreint entre les candidats a empêché toute manœuvre tactique. Tout cela a débouché sur le face-à-face attendu au cinquième tour entre les deux femmes socialistes.
Les 42 voix de retard de la Fribourgeoise au quatrième tour ne lui laissaient guère d’espoir. Ses dernières chances passaient par un report massif des voix de l’UDC sur son nom. Un scénario qui pouvait séduire le parti de la «vraie droite»: histoire d’augmenter sa pression sur le siège de Joseph Deiss, histoire aussi de semer la zizanie dans les travées du Palais fédéral. Mais avant même que les parlementaires ne passent au vote, Ueli Maurer, le président de l’UDC, a coupé tout suspense en montant à la tribune pour inciter ses troupes à voter blanc.
Au final, la Genevoise l’emporte largement (131 voix à 68). Fribourg n’entrera pas dans l’histoire en étant le premier canton à compter deux conseillers fédéraux. Mais, en restant debout jusqu’au dernier round, Ruth Lüthi n’a pas démérité. Ce beau parcours était loin d’être acquis au moment où elle s’est portée candidate. Cela lui aura aussi permis de gagner une stature nationale. Une stature qui pourrait l’inciter à relever un nouveau défi: reconquérir le siège socialiste au Conseil des Etats.

Propos recuillis parPhilippe Castella / 5 décembre 2002

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