Ce matin, vous étiez sereine au moment de prendre le train pour
Berne. Avez-vous gardé la même sérénité
dans la défaite?
Il y a eu quelques émotions durant cette journée.
Mais je reste très sereine. Je me réjouis aussi pour ce
qui va venir après ça. En outre, je ne considère
pas cette non-élection comme une défaite. Arriver jusque
là, cest déjà un succès.
Vous y croyiez encore en vous levant ce matin?
Jai toujours cru en mes chances. Il faut y croire, sinon
on nest pas une bonne candidate.
Avez-vous craint à un moment dêtre élue grâce
à un vote massif de protestation de lUDC?
En tout cas, cela ne me gêne pas si lon dit que je
nai pas été élue à cause du vote blanc
de lUDC.
Mais comment lauriez-vous pris si ce scénario sétait
produit?
Ecoutez, il faut respecter la décision dun Parlement.
Quavez-vous dit à Micheline Calmy-Rey au moment où
le verdict est tombé?
Je lai félicitée. Et surtout, je lai
assurée de mon souhait de pouvoir collaborer avec elle pour le
cas où elle hérite du Département de lintérieur.
Comme présidente de la Conférence des directeurs des affaires
sociales, jai de bons contacts avec Mme Dreifuss. Et jespère
pouvoir collaborer sur les mêmes bases avec Micheline Calmy-Rey.
Comment avez-vous vécu cette campagne?
Jai pu vivre une campagne magnifique. Il ny a pas eu
de coup bas. Le moment le plus important a été les auditions
devant les groupes. Cétait la phase la plus politique.
Jai pu y être jaugée comme une candidate de valeur
équivalente à ma collègue. Cest là
aussi que jai gagné du terrain. Après est revenu
sur le tapis un débat surtout médiatique sur la question
de la représentation des régions.
Justement, comment avez-vous ressenti toute cette polémique sur
votre pedigree?
Il nest pas mauvais que le débat ait lieu. Jespère
quon en tire quelques enseignements, principalement sur la question
de lintégration. Dans un monde où la mobilité
est devenue dactualité, on doit reconnaître que ce
nest pas lorigine qui prime, mais le lieu où lon
est implanté, où lon a son activité, où
lon a développé son réseau de connaissances.
Ce qui ma un peu inquiétée les derniers jours, cest
quon essaie de diviser la Suisse romande entre le bassin lémanique
et les autres régions. Nous devons vraiment avoir une bonne cohésion
entre les cantons romands si nous voulons avoir un poids au niveau suisse.
Votre candidature a souvent été présentée
comme un faire-valoir pour élire une femme romande. En fin de
compte, vous avez rempli votre rôle, puisque Micheline Calmy-Rey
est élue
Seules quelques personnes lont suggéré. Je
ne lai jamais perçu comme cela. Les auditions devant les
groupes ont prouvé que nous étions deux candidates de
même valeur. La seule chose qui nous différenciait vraiment,
cétait notre origine. Voulait-on plutôt quelquun
du bassin lémanique et dune grande ville? Ou acceptait-on
une candidate dune ville moyenne et dun canton déjà
représenté au Conseil fédéral?
Etes-vous tout de même fière davoir permis lélection
dune femme?
Je suis surtout fière que le parti socialiste ait été
capable de présenter deux candidates considérées,
même par les partis bourgeois, comme de bonnes candidates, qui
répondent au profil du poste.
Vous avez beaucoup fréquenté les travées du Palais
fédéral ces dernières semaines. Y avez-vous pris
goût?
Il est clair que la politique au niveau fédéral mintéresse.
En politique cantonale, nous voyons à quel point nous dépendons
des décisions prises à Berne. Mais il est trop tôt
pour dire si je serai candidate à une autre élection.
Il faut dabord me laisser le temps de respirer un peu.
Ce
sera pour une autre fois
Fribourg nentrera pas dans lhistoire comme le
premier canton à compter deux conseillers fédéraux.
Au terme dun combat à la régulière, la Genevoise
Micheline Calmy-Rey a battu hier assez nettement Ruth Lüthi au
cinquième tour (131 voix à 68).
La campagne en vue de la succession de Ruth Dreifuss sest
longtemps cantonnée à une question de sexe. Le siège
féminin acquis, on a vu monter la polémique sur le pedigree
de Ruth Lüthi. Ces derniers jours, laffaire sest transformée
en véritable croisade dans certains médias lémaniques.
Hier toutefois, au moment de lélection, ces éléments
sont restés dans lombre. Les réflexes régionaux
ont certes fonctionné comme à laccoutumé.
Mais cest dabord le comportement de lUDC qui a monopolisé
lattention. Le parti de Christoph Blocher a joué à
la perfection le rôle du martyr.
Comme toujours, les deux premiers tours ont servi de rounds dobservation.
Mais ils ont aussi permis de tirer de nombreux enseignements. Dabord,
les chances de voir un candidat inofficiel lemporter ont été
réduites à zéro. Le Neuchâtelois Jean Studer
nobtenait pas les dix voix minimales pour passer au troisième
tour. Quant à la Tessinoise Patrizia Pesenti, ces treize maigres
voix lassuraient juste dun dernier tour pour lhonneur.
Autre enseignement, le candidat de lUDC Toni Bortoluzzi recueille
de nombreuses voix en dehors de son parti: 69 au premier tour, alors
que son groupe est formé de 52 parlementaires. Certes, sa candidature
saffaisse dès le deuxième tour (58 voix). Mais il
faut y voir un avertissement dans la perspective des élections
fédérales de lan prochain. Le renouvellement des
mandats de Joseph Deiss et Ruth Metzler seffectuera dans la douleur.
Enfin, les deux premiers tours confirment que la lutte pour le siège
se cantonnera à un duel entre Micheline Calmy-Rey et Ruth Lüthi.
En prenant la tête dès le départ, la Genevoise assume
son rôle de favorite. Les 61 voix recueillies par Ruth Lüthi
au premier tour prouvent que sa candidature ne se bornait pas à
un rôle de faire-valoir.
Reste quau fil des tours la Genevoise a maintenu son avance. Lécart
somme toute assez restreint entre les candidats a empêché
toute manuvre tactique. Tout cela a débouché sur
le face-à-face attendu au cinquième tour entre les deux
femmes socialistes.
Les 42 voix de retard de la Fribourgeoise au quatrième tour ne
lui laissaient guère despoir. Ses dernières chances
passaient par un report massif des voix de lUDC sur son nom. Un
scénario qui pouvait séduire le parti de la «vraie
droite»: histoire daugmenter sa pression sur le siège
de Joseph Deiss, histoire aussi de semer la zizanie dans les travées
du Palais fédéral. Mais avant même que les parlementaires
ne passent au vote, Ueli Maurer, le président de lUDC,
a coupé tout suspense en montant à la tribune pour inciter
ses troupes à voter blanc.
Au final, la Genevoise lemporte largement (131 voix à 68).
Fribourg nentrera pas dans lhistoire en étant le
premier canton à compter deux conseillers fédéraux.
Mais, en restant debout jusquau dernier round, Ruth Lüthi
na pas démérité. Ce beau parcours était
loin dêtre acquis au moment où elle sest portée
candidate. Cela lui aura aussi permis de gagner une stature nationale.
Une stature qui pourrait linciter à relever un nouveau
défi: reconquérir le siège socialiste au Conseil
des Etats.
Propos recuillis parPhilippe
Castella /
5 décembre 2002