Cor des Alpes
Carbone patriotique

Appliquer le dernier cri de la technologie aéronavale à un instrument séculaire? Une idée insolite expoitée par le baroudeur yverdonnois Roger Zanetti. Mime, comédien, compositeur, cet ancien musicien de rue a récemment homologué un cor des Alpes en fibre de carbone. Il participera au prochain Festiv'Alp de Château-d'Œx.


Un pavillon et un corps télescopique en fibre de carbone: une idée simple que Zaneth pense déjà appliquer à la canne d'aveugle
(C. Haymoz)

Il a l'âme chevillée au cor, Roger Zanetti. Au cor des Alpes s'entend. A tel point que ce musicien-compositeur-comédien installé à Yverdon-les-Bains a donné à l'instrument séculaire une nouvelle peau: la fibre de carbone. Homologuée cette année, l'innovation a remporté la médaille d'argent au Salon des inventions de Genève, il y a trois ans. Un petit séisme dans le monde traditionnel des cornistes.
Tout commence en 1995. Zaneth vient de quitter la troupe des Mummenschanz, avec laquelle il a tourné durant trois saisons en Europe et aux Etats-Unis. Le spectacle de mime ne laisse aucune place à son cor: un comble pour ce sonneur invétéré, qui a renoué avec l'antique tradition des cornistes de rue et qui trimballait alors son instrument dans ses bagages depuis plus de 25 ans (voir ci-dessous). Lassé de n'être qu'un mime interprète, Zaneth s'inscrit au chômage et en profite pour se torturer l'esprit. «C'est lorsqu'on se met en position d'insécurité que les idées naissent», confie l'inventeur.

Compétences télescopées
Un beau jour, alors qu'il discute avec Jean-François Burkhalter, un ami constructeur de bateaux, Zaneth évoque son projet: fabriquer un cor des Alpes plus compact. Histoire de couper court aux fissures, fêlures et autres brisures que subit le fragile instrument lors de ses incessants déplacements. «Pourquoi ne pas utiliser la fibre de carbone?», lui suggère le concepteur des voiliers de Pierre Fehlmann. Aussitôt associés, les deux hommes développent pendant deux ans une nouvelle génération d'olifants.
Crève-cœurs, éclairs de génie: la technique de fabrication nécessite quelques tâtonnements et reste perfectible. La fibre de carbone, imprégnée de résine, est étendue sur un moule de fonte d'aluminium de la forme d'un pavillon. Une baudruche de caoutchouc en dessine la forme intérieure. A 140° C, la résine polymérise. Un procédé similaire permet de façonner les tubes coniques qui, une fois emboîtés, constitueront la hampe télescopique de l'instrument. Reste alors à démouler, poncer, polir, vernir. Un alphorn exige environ une semaine de travail. Zaneth en produit entre 20 et 50 par année, d'une valeur de 3000 à 3600 francs pièce. Un prix proche de ceux pratiqués sur le marché du cor traditionnel.

Cor conducteur
Démontable, l'instrument qui mesure plus de quatre mètres déployé, tient dans une housse de 75 centimètres. Le tout pèse 1,3 kg, contre 3,5 à 8 kg pour le cor orthodoxe, en sapin. Solide, aisément transportable, lavable, capable de flotter sur l'eau, la trompe peut notamment se muer en didjeridoo. Et chaque section conique de la hampe, ajoutée ou retranchée, en modifie la tonalité. Quant aux effets chorégraphiques possibles, ils sont multiples: on peut même jouer en soulevant l'instrument, ou jouer du coulisseau. Seul défaut, la fibre de carbone conduit très bien l'électricité. «Tout cor branché par temps d'orage est appelé à s'émouvoir», plaisante le facteur en guise d'avertissement.
Le son? «Des tests à l'aveugle ont confondu tous les auditeurs, explique Zaneth. La sonorité du cor en carbone est peut-être plus cristalline, un peu moins chaude. Mais tout dépend de la virtuosité du souffleur. Beaucoup m'ont dit qu'il est plus facile de jouer sur un cor en carbone. Je suppose que la colonne d'air entre plus vite en vibration.»

Quand la fibre joue
Bien sûr, l'inventeur a parfois le sentiment d'avoir malmené un symbole quasi tellurique, en lui donnant une légèreté presque aérienne. «Je casse une image. Celle du corniste montagnard, qui a les pieds sur terre, posé, et qui souffle dans son immense pipe en bois, la main gauche appuyée sur sa cuisse.» D'où la réaction «assez dure» que lui ont témoignée quelques membres de la Société des souffleurs de cor des Alpes.
Pourtant, l'inventeur considère plutôt sa création comme un instrument complémentaire. «Le cor de carbone intéresse surtout les musiciens professionnels qui affectionnent les cors naturels et qui voyagent ou qui aiment jouer en pleine nature. Ils sont séduits par sa mobilité.» Un argument que Zaneth a largement intégré à sa stratégie de marketing. Il emmène personnellement ses clients dans le cirque naturel du Creux-du-Van, un amphithéâtre de calcaire où le jeu des échos et des appels prend tout son essor. Ivres d'harmonies, les cornistes finissent leur expédition devant une fondue. Difficile de résister.

Zaneth sera en concert le 11 août
au World Music Festiv’Alp,
à Château-d’Œx, à 19 h

Stéphane Sanchez / 30 juillet 2002